Les chiffres restent têtus. L’Union européenne a beau multiplié les sanctions envers la Russie pour l’exclure du système financier international, geler ses avoirs et ses actifs, et la priver de ses rentes de charbon (embargo), de pétrole (à partir du 5 décembre pour le brut et le 5 février pour les produits pétroliers) et de gaz (non sanctionné mais possiblement plafonné, objet d’un engagement à s’en affranchir). Avant l'invasion de l'Ukraine en février, le gaz russe acheminé par gazoduc était la principale source d'approvisionnement de l'Europe. Près d’un an plus tard, le GNL figure parmi les meilleures ventes russes avec le diesel.
Les importations de gaz naturel liquéfié en provenance de Russie ont augmenté d'environ 40 % en un an. Et l’UE a payé très cher. De janvier à septembre, elle a dépensé un montant record de 12,5 Md€ pour se fournir en GNL russe, soit cinq fois plus qu'un an auparavant.
L'augmentation de la demande de pays tels que la France et la Belgique a contribué à faire de la Russie le deuxième fournisseur de GNL de l'Europe du Nord-Ouest cette année, loin derrière les Etats-Unis, grand gagnant de la déconfiture russe, mais qui s’est trouvé devant le Qatar, selon les données de suivi des navires et des ports. Parmi les nations européennes, seuls le Royaume-Uni et les États baltes ont cessé d'acheter du GNL russe.
Libres de tout contrôle gouvernemental
Rien de surprenant. L'une des rares options dont les pays disposent pour se procurer à court terme des quantités supplémentaires de gaz sur le marché mondial est d'acheter du GNL.
L’influence du gaz russe a totuefois bien été rabotée en volume mais pas en valeur (du fait des prix élevés du gaz cette année). Il représente désormais moins de 10 % de l'approvisionnement de la zone euro contre plus d'un tiers l'année dernière…Mais la part du GNL dans les livraisons de la Russie est proche de la moitié.
Et selon les données de suivi des navires, ils transitent par les ports belges, dont les arrivées ont plus que doublé entre janvier et octobre alors que dans le même temps, les importations françaises ont augmenté de 60 %. La plupart des approvisionnements mondiaux en GNL sont verrouillés par des contrats à long terme entre grandes multinationales, libres de tout contrôle gouvernemental.
Cohérence des décisions
Le géant public de l'énergie Gazprom, qui fournissait principalement l'Europe, par gazoduc (Nord Stream acheminait une grande quantité du gaz vers l'Allemagne ainsi que vers plusieurs autres pays de l'Ouest de l'Europe), a également commencé à envoyer du GNL. Bien que son gigantesque projet Sakhaline 2, dans l’Asie de l’Est (Extrême-Orient russe) expédie généralement ses volumes vers l'Asie, une nouvelle installation plus petite, située sur la côte russe de la mer Baltique, a effectué ses premières livraisons en Grèce.
La lecture des faits résiste parfois à la cohérence. Moscou a pourtant interdit les livraisons de GNL à l’Allemagne à la suite de la saisie de Berlin de la filiale de Gazprom en Allemagne, depuis nationalisée.
Le secteur du négoce a également craint que le gouvernement n'exige des paiements en roubles pour le GNL, comme il l'a fait pour le gaz acheminé par gazoduc au printemps dernier. Il s’agissait alors de la réponse économique la plus dure du Kremlin aux sanctions occidentales.
Arrivées massives de diesel
Dans le même temps, les négociants européens se précipitent pour remplir les réservoirs de la région avec du diesel russe avant que l'interdiction de l'UE ne commence en février, car là encore, les sources alternatives restent limitées.
Les chargements de diesel russe destinés à l’ARA (Amsterdam-Rotterdam-Anvers), notamment via les ports de North Sea Port (Flessingue et Gand surtout), ont atteint 215 000 barils par jour entre le 1er et le 12 novembre, soit une augmentation de 126 % par rapport à octobre, selon la société d’études spécialisée dans l’analyse des marchés de matières premières et de commodités Vortexa.
Réactions à venir
Ainsi, depuis le début du mois de novembre, le diesel en provenance de Russie a représenté 44 % des importations totales de carburant routier en Europe contre 39 % en octobre, selon les données de Refinitiv. Bien que la dépendance de l'Europe à l'égard du carburant russe a diminué par rapport à une part de plus de 50 % avant l'invasion de l'Ukraine par Moscou en février, la Russie reste le principal fournisseur de diesel du continent.
L’afflux précipité s’explique aussi par le fait que l’ICE Futures Europe, l'une des plus grandes bourses de contrats à terme dans les énergies, interdit le gasoil à faible teneur en soufre d'origine russe en prévision des sanctions de l'UE depuis le 30 novembre.
Adeline Descamps