Louis Dreyfus Armateurs, qui a emporté les contrats en janvier pour la construction, la propriété et l'exploitation pendant trois ans de trois navires de soutien à l’entretien des champs éoliens (SOV) pour le compte du fournisseur suédois d’électricité Wattenfall, vient de sélectionner l’architecte norvégien naval Salt et le chantier naval chinois ZMPC (Shanghai Zhenhua Heavy Industries). Ce dernier, filiale détenue par la China Communications Construction Company cotée à la Bourse de Shanghai, est bien davantage connu pour la fourniture de portiques à conteneurs et de RTG dont il revendique 75 % des parts du marché mondial que pour ses compétences dans les navires offshore. « Le chantier se développe depuis des décennies dans ce secteur, livrant avec succès des navires de transport de charges lourdes, des navires d'installation d'éoliennes [WTIV, NDLR], des câbliers [CLV, NDLR] et des navires de construction sous-marine », fait valoir LDA.
Salt, spécialiste norvégien des navires de service offshore (60 navires livrés depuis 2012, neuf en construction avec 2025 et 2026 pour date de livraison), est déjà l’architecte de deux des SOV de LDA, les Wind of Change (livré en 2019) et Wind of Hope (en 2021), à propulsion électrique hybride que la compagnie francilienne opère pour l’énergéticien danois Ørsted (lequel a reconduit l’an dernier les chartes-parties pour cinq ans).
C’est précisément le retour sur expérience opérationnelle de ces précédents qui a permis à l'armateur d'affiner son approche dans le cadre d'« une refonte complète » notamment en termes de fiabilité, efficacité, disponibilité et consommation d'énergie (pendant les opérations et le transit). « Les nouveaux SOV intégreront des composants européens haut de gamme, notamment pour les systèmes de passerelle, de DP [le positionnement dynamique contrôle les hélices, la propulsion et les propulseurs d'étrave d'un navire, NDLR] et de ligne de propulsion, garantissant des performances et une fiabilité de niveau I », indique la direction.
Capitaliser sur le retour d'expérience
Avec sa motorisation électrique hybride, le Wind of Change a établi une norme de marché dans l'industrie éolienne offshore, s’enorgueillit la société. « Les nouveaux navires représentent la prochaine génération ». Conçus pour opérer dans les conditions difficiles de navigation de la mer du Nord tout au long de l'année, les SOV vont gagner en maniabilité grâce à quatre propulseurs azimutaux, et à des performances supérieures de DP. Ils seront également équipés d'un système de passerelle dit avancé et d'une grue 3D à compensation de mouvement, pour la manutention des marchandises/matériaux entre le navire et les éoliennes (que LDA a éprouvé pour la première fois sur le Wind of Hope).
Dans ce segment, LDA a opté pour les plus grands du marché, capables d'embarquer 24 techniciens et trois membres d'équipage, pour des raisons « de confort et de standing, transformant les SOV en hôtels flottants. Les quartiers d'habitation, plus spacieux, ont été pensés pour les temps de repos », est-il précisé.
Appel d'offres compliqué
LDA avait été sélectionné par Wattenfall à l’issue d'un appel d'offres européen long (un an), « complexe et compétitif ». Le premier navire doit entrer en service à la mi-2027 pour opérer sur deux parcs situés à 70 km à l’ouest de l’île de Sylt en Allemagne, les DanTysk (capacité de 288 MW), en exploitation depuis 2014, et Sandbank, en service depuis 2017 avec une puissance similaire.
Le second est programmé pour la fin de l'année 2027 et desservira les parcs Nordlicht 1 (980 MW) et 2 (630 MW), à 85 km au nord de l’île de Borkum pour lesquels une décision d’investissement finale (FID) est encore attendue. Le troisième SOV (qui fait l’objet d’une option) est destiné à des projets futurs en mer du Nord. Les trois unités (90 m de long, 19,60 m, 96 POB) seront immatriculées sous pavillon français.
Un client pour son CTV commandé « en blanc »
Dans l’éolien, outre les SOV, LDA se positionne aussi sur les navires de transfert de personnels (Crew Transfer Vessel). Sur ce segment, LDA opère via sa coentreprise LD Tide créée en 2021 avec la Britannique Tidal Transit.
Il y a quelques jours, elle a placé un de ses deux CTV commandés en « spéculation » en juillet 2024 auprès de Siemens Gamesa pour le parc éolien en mer des îles d'Yeu et de Noirmoutier (61 éoliennes de 8 MW chacune) dont la mise en service est prévue pour cette fin d’année. Un premier CTV, l'Acti'vent, opère déjà pour le compte de l’opérateur germano-espagnol sur le parc de Fécamp depuis octobre 2023.
Pour ces deux derniers CTV en construction, la société a fait une entorse à son principe selon lequel elle ne commande que si elle a un client. Cet arbitrage fait un pari (jamais hasardeux chez LDA) sur la demande croissante pour ces navires essentiels lors des phases de construction et de mise en service des projets éoliens en mer. Les deux ont été confiés au Singapourien Strategic Marine (spécialiste des coques en aluminium), auquel LDA a déjà fait appel pour les 4e et 5e navires de transfert de sa flotte. Tous sont basés sur le design StratCat 27 (27 m de long et 9,10 m de large, 1,8 m d’opérabilité).
L'un d'entre eux, l’Esti'Vent, est exploité sur le marché spot, en plein essor en raison de la phase d’installation des parcs éoliens offshore. Il est probable que le second lancé « en blanc » le soit aussi s'il ne trouve preneur dans le cadre d'un contrat long terme.
Les trois premiers avaient été construits par le chantier français Ocea, dont deux sont exploités sur le parc éolien au large de St-Nazaire depuis 2022 pour EDF EN et GE Vernova.
Cap sur un nouvel horizon ?
Un autre avenir plausible a été posé sur la table de l'entreprise familiale – détenue à 100 % par Philippe Louis-Dreyfus (président du conseil de surveillance), son fils Édouard (à la présidence) et ses deux sœurs –, lorsqu'elle a annoncé à son personnel en juin qu’elle envisageait de faire entrer un partenaire (industriel ou financier) au capital.
En une petite décennie, l'opérateur historique dans le transport maritime de vrac s'est désengagé progressivement de cette activité pour se recentrer sur des activités de niche dans les services maritimes à valeur ajoutée pour le compte de grands partenaires industriels : dans le transport de composants d’avions pour Airbus, qui lui a renouvelé sa confiance dernièrement en lui confiant la construction et gestion d’une nouvelle flotte plus verte et plus innovante, dans la pose et la maintenance de câbles de télécommunications sous-marins pour Alcatel Submarine Networks dont l’État va reprendre 80 % du capital, dans certaines activités périphériques aux énergies marines renouvelables ou encore dans la logistique portuaire sur-mesure.
L’issue de l’opération, pilotée par Rothschild & Co et Oddo BHF, doit être connue en ce premier trimestre/semestre. L’intérêt du groupe maritime havrais Sogestran, qui s’est grandement développé ces dernières années, a été éventé. Les fonds français d’infrastructures Infravia et Antin et la britannique ICG seraient également sur les rangs.
Alors que la direction se disait en quête d’un partenaire minoritaire sans jamais avoir précisé le degré d’ouverture, la presse a laissé entendre à plusieurs reprises l’éventualité que la famille se retire complètement. Conformément aux pratiques de cette entreprise qui n’a jamais aimé se jeter sous les projecteurs, l'information est restée en l'état.
« Soit on trouve un partenaire qui partage nos valeurs, notre culture, nos plans de croissance et notre nécessaire besoin de réactivité dans la prise de décision en tant qu'entreprise familiale, sinon on continuera tout seul, avec peut-être un peu moins d'ambitions et en mettant sans doute un peu plus de temps », avait indiqué Édouard Louis-Dreyfus dans un entretien au JMM.
C'était au début du processus. Les positions peuvent avoir évolué quand bien même la génération à la barre déciderait de tourner la dernière page d’une histoire que les premières ont commencé à écrire il y a 160 ans.
Adeline Descamps
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