La rumeur enfle depuis les premiers jours de janvier sur l’identité de cet « armateur européen » qui serait en pourparlers avec Hyundai Heavy Industries (HHI), chantier du groupe de construction navale sud-coréen KSOE, pour une « série de grands porte-conteneurs », qu’Alphaliner a très rapidement attribués à CMA CGM.
On sait désormais, de source non contestable, que l’armateur français est non seulement l’instigateur de cette commande de douze navires de 18 000 EVP à double motorisation GNL au sud-coréen mais aussi qu’une autre série similaire a fait l’objet d’une lettre d’intention (Lettre of intent, LOI) auprès du grand constructeur public chinois CSSC, qui détient les deux sites Jiangnan Shipyard et Hudong-Zhonghua Shipyard, dont CMA CGM est un très bon client. Le modus operandi aurait pu égarer car il est typique d'Evergreen, qui répartit ses risques entre les trois principaux pays constructeurs de navires, Corée du Sud, Chine et Japon.
La taille – ces 18 000 EVP en « entre-deux » –, destinés à être opérés sur la ligne transpacifique, questionne. Le gabarit peut être lié à l’équipement en grands portiques STS des ports américains, possiblement limités pour traiter plus de 22 rangées de conteneurs en largeur (56 m) sur des navires longs de 366 m. Soit des unités bien plus compactes : le CMA CGM Vasco de Gama, livré en 2015 d'une capacité identique, mesurait 399 m et 54 m en largeur. Il était alors le plus grand de la flotte du Français...
Récemment, seuls Maersk (avec HHI) et Eastern Pacific (New Times shipbuilding) ont opté pour cette catégorie, tandis que d'autres à l'instar d'Hapag-Lloyd, Seaspan, Evergreen se sont plutôt positionnés sur des unités à 21 rangées.
Un investissement de 2,58 Md$
Pour la première série au GNL de HHI, CMA CGM aurait payé 215,36 M€ l'unité, selon les courtiers, soit une facture totale de 2,58 Md$. C'est moins que l'engagement financier pour les douze unités de plus petite taille (15 600 EVP) commandées en juillet dernier aux deux chantiers d’Hyundai d’Ulsan et de Mokpo pour lesquels l’armateur français avait payé 222 M$, soit près de 2,66 Md$. Le surcoût correspond éventuellement à la prime pour les créneaux de livraison anticipée (entre mai 2027 et juin 2028) à moins que le coût de l'acier se soit infléchi. Excepté la propulsion au GNL, les caractéristiques techniques ne sont pas connues mais les livraisons devraient s’échelonner entre fin 2027/début 2028 et décembre 2028.
Si les douze commandes qui ont fait l’objet d’une LOI chez CSSC se transforment en commande ferme, CGM CGM approchera des 100 navires en commandes (96). Avec un horizon de 2028. Hyundai Samho vient de lui livrer le CMA CGM Pointe Percee (8 048 EVP, 17 rangées), troisième unité d'une série de neuf navires propulsés au GNL que la société a commandés en février 2022 pour un montant d'environ 119 M$ par navire.
Arrivée des reefers
Cette série vient s’ajouter à dix de classe similaire (7 327 EVP) confiés à Samsung Heavy Industries (SHI). Le porte-conteneur sera intégré au service ACSA1, entre Asie et côte ouest-américaine, opérée avec une flotte élastique de 6 300 à 16 000 EVP dans le cadre d’Ocean avec Evergreen, sur lequel les deux autres partenaires (Cosco/OOCL) affrètent de l’espace.
CMA CGM a également réceptionné le reefer Sainte Anne (7 377 teu, GNL), un des quatre « frigos » de grande capacité (1 350 conteneurs de 40 pieds à température contrôlée) de la série des dix que construits SHI (commandes effectuées en septembre 2021 et en mars 2022). Il doit naviguer à terme aux Antilles et le long des côtes de l'Amérique latine. Hyundai Samho doit également lui livrer d'ici novembre neuf navires très similaires, également alimentés au GNL, dont deux déjà en service
De rumeurs en rumeurs
Les rumeurs de marché, que les transporteurs maritimes de conteneurs rechignent à commenter, pullulent depuis la fin de l’année dernière. Une des dernières spéculations est attribuée à l’armateur grec George Economou, qui avait fait parler de lui en 2024 pour s’être engagé sur quatre porte-conteneurs de 8 000 EVP avec le chantier coréen HJSC. L’affaire avait fait du bruit car il s’agissait d’une incursion dans le conteneur. On lui prête désormais l’intention de s’intéresser à des 11 000 EVP (dix navires ?) mais l'état d'avancement des négociations reste à la libre interprétation pour ce contrat, qui selon sa motorisation, pourrait représenter un engagement financier de 1,4 Md$, moyennant un prix entre 115-120 M$ et 132-138 M$ (pour le GNL).
Une série de navires de 24 000 EVP auprès du chantier naval chinois Hengli n’a toujours pas de « propriétaire ». Cette classe n'a pas reçu beaucoup de commandes depuis les derniers contrats signés en juin 2023 par CMA CGM avec le chantier privé Yangzijiang Shipbuilding Group (YZJ). Deux séries de ces géants seraient actuellement en négociation. Ils ont été attribués successivement au tawaïnais Yang Ming puis au transporteur israélien ZIM, les seuls du top 10 à ne pas avoir encore de navires de cette taille dans leur flotte, voire à ONE qui ne possède « que » six porte-conteneurs de grande dimension. Des cotations ont été demandées, dans cet appel au marché, pour une propulsion dual fuel avec le GNL, ce écarte l'hypothèse Evergreen et ONE, jusqu'à présent partisans du méthanol comme carburant alternatif. Le premier des trois grands transporteurs taïwanais a 23 mégamax – 11 de 20 100 EVP (Imabari) et 12 de 24 000 EVP –, tous à propulsion conventionnelle. Le carnet de commandes d'Evergreen compte 58 navires pour 560 000 EVP.
Un autre Taïwanais, Wan Hai Lines, serait en tractations pour une série de 16 000 EVP avec les trois grands constructeurs coréens HD Hyundai Group, Samsung et Hanwha Ocean.
En quête de propriétaires
Ce dernier, qui avait annoncé se retirer du segment des porte-conteneurs compte tenu des coûts élevés de l'acier et de la main d'œuvre, a déclaré à la Bourse de Corée avoir été reçu une commande d'une « compagnie maritime européenne ». Maersk, actuellement détenteur d’un carnet de commandes de 850 000 EVP avec 64 navires, est pressenti pour ce sextuor de 16 000 EVP à double carburant GNL. L'ex-DSME n'a pas pris de commandes depuis le début de 2022.
L'armateur danois contracterait également avec le Chinois New Times Shipbuilding (NTS) pour une série d'au moins six navires alimentés au GNL de taille similaire. Avec une livraison en 2028. Maersk a déjà dix navires de 16 800 EVP chez NTS dans le cadre de deux contrats d'affrètement de cinq navires conclus avec SFL et Seaspan.
Hapag-Lloyd a de son côté confirmé avoir signé deux contrats avec deux chantiers navals chinois pour un total de 24 nouveaux porte-conteneurs à propulsion duale au GNL, de 16 800 et 9 200 EVP, soit 312 000 EVP à livrer entre 2027 et 2029. Les navires seront configurés pour le biométhane. Un investissement de 4 Md$ pour lequel un financement à long terme de 3 Md$ a déjà été engagé : quelque 900 M$ du prix d'achat seront financés par les fonds propres de l'entreprise, 500 millions par deux banques sous la forme de prêts hypothécaires bilatéraux, 1,8 M$ par trois structures de crédit-bail et 1,1 Md$ par une facilité de crédit syndiqué soutenue par la China Export & Credit Insurance Corp. (Sinosure). La part de financement s'élève au total à environ 80 % du volume d'investissement, avec des échéances comprises entre 10 et 18 ans.
Hapag-Lloyd exploite aujourd'hui une flotte de 295 navires (en propriété et en affrètement) d'une capacité d'environ 2,28 MEVP. Son carnet de commandes confirmé compte 36 navires totalisant 466 000 EVP, soit 20 % de sa flotte en service. L'armateur allemand joue sa place de cinquième transporteur mondial.
Adeline Descamps