Alors que des modèles d’exploitation autres s’invitent dans la ligne régulière, incarné par le lancement de Gemini, nouvelle alliance de Maersk et d'Hapag-Lloyd, Ocean Alliance reste sur la ligne de la massification. Ses quatre membres – le français CMA CGM, le chinois Cosco, le taïwanais Evergreen, et le hongkongais OOCL –, qui ont renouvelé pour cinq années supplémentaires leur collaboration opérationnelle avant l’échéance de leur contrat en cours en 2026, sont à la tête de la plus puissante alliance dans le transport maritime de conteneurs depuis la désolidarisation de Maersk et de MSC, les deux leaders mondiaux.
Le groupement, lancé en avril 2017 pour une période initiale de cinq ans puis prolongée jusqu'en janvier 2019, offre le plus grand réseau en termes de capacité contrôlant 31 % du trade Asie-Europe et 38 % des routes Asie-Amérique du Nord (transpacifique) mais seulement 13 % du marché transatlantique. Ces parts de marché sont appelées à évoluer au regard des carnets de commandes des troisième, quatrième et septième armateurs mondiaux de porte-conteneurs. D'ici 2028, ils doivent recevoir ensemble près de 2,8 MEVP avec 184 porte-conteneurs, dont plus d’1,3 MEVP (84 navires) fournis par la seule CMA CGM (881 000 EVP par le groupe Cosco et 557 000 pour Evergreen). Tous ne seront pas mis au service de l’alliance, les plus gros porteurs (de l’ordre de 30 à 40) devraient être exploités sur le trade Asie-Europe, où ils peuvent assurer trois boucles hebdomadaires.
390 porte-conteneurs, inédit
Alors qu’en 2023, la Day 7 Product (marque commerciale de l’offre) alignait une flotte de 353 porte-conteneurs déployant 4,28 MEVP, la Day 8 de 2024 avait réduit la jauge à 321 navires et 4,5 MEVP, dont 119 fournis par CMA CGM, traduisant une mise à l'échelle supérieure avec des navires de plus grande taille.
À compter d’avril 2025, les partenaires vont assurer 41 rotations sur lesquelles seront déployés 390 porte-conteneurs d'une capacité nominale estimée à près de 5 MEVP. Ces données sont à mettre en perspective avec leur puissance réelle : ensemble, ils pèsent 8,92 MEVP avec 1 399 navires. Ils réservent donc 56 % de leurs volumes et 36 % de leurs unités à leur alliance.
Retour aux sept boucles Asie-Europe
Par rapport à l’année 2024, l’offre de 2025 reviendra à sept boucles Asie-Europe du Nord (contre six l’an dernier) et quatre services Asie-Méditerranée tandis que les trois rotations vers l'Asie-Moyen-Orient et les deux Asie-mer Rouge vont dépendre de l'évolution de la situation régionale. Le fait majeur sur le trade Asie-Europe est la relance du service NEU3, qui avait été fermé en avril en raison des attaques des Houthis au large du Yémen. La situation sécuritaire critique en mer Rouge a contraint une très grande part de la flotte mondiale de porte-conteneurs à se déporter sur l'historique route, beaucoup plus longue (jusqu’à dix jours de navigation supplémentaires). La NEU3, opérée en temps ordinaires avec des porte-conteneurs de 14 500 à 21 400 EVP, aurait consommé beaucoup trop de grandes unités pour assurer la régularité du service.
Les quatre transporteurs ont annoncé deux versions pour le trade Asie-Europe (le cessez-le-feu n’était pas un sujet quand ils ont élaboré leur offre), l'une via le Cap de Bonne Espérance, et l'autre par le canal de Suez, la route couramment empruntée par les porte-conteneurs. Les ports français ne sont pas concernés par la NEU3 qui dessert Shanghai, et trois autres grands ports chinois (Xiamen, Hong Kong, Yantian) ainsi que des ports vietnamien (Cai Mep) et malaisien (Port Kelang). Seuls Rotterdam, Hambourg, Zeebrugge, Felixstowe (ou London-Gateway) sont couverts en Europe du Nord.
FAL1 de retour à Dunkerque
En revanche, Le Havre et Dunkerque seront touchés par deux des lignes Asie-Europe. Dès la mi-février, le service Asie-Europe du Nord FAL1 de CMA CGM (NEU4 pour Ocean Alliance) fait son retour à Dunkerque et intègre une escale au port coréen de Busan mais remplace le FAL3. Premier touché prévu le 17 février avec le CMA CGM Benjamin Franklin. Revenu sur les radars de l’emblématique ligne de CMA CGM en 2021-2022 après deux années d’interruption (2017-2019), l’escale avait disparu du FAL 1 en 2024, mais préservée sur le FAL 3 en tant que premier port touché avant le Havre et non plus avec des 18 000 EVP mais avec des 23 000 EVP.
Entre Asie et Méditerranée, Marseille Fos reste sur les radars d’un des deux services (Med 1 et Med 2) couvrant la Méditerranée occidentale, le Med 1, désormais exploité avec les 20 000 EVP de Cosco (retirés des lignes Asie-Europe du nord). La ligne Med 2 est opérée avec les porte-conteneurs de 15 000 EVP de CMA CGM au GNL.
Vingt-deux services sur le transpacifique
Pour le transpacifique, le réseau d'Ocean Alliance reste largement inchangé. Le groupement avance 22 services, soit deux de plus par rapport à l’an dernier, au profit de la côte ouest de l'Amérique du Nord desservie par 14 lignes alors que la côte Est de l'Amérique du Nord et le Golfe des États-Unis reste au niveau de 2024. Les deux nouvelles boucles sont en réalité déjà opérées par Cosco/OOCL (sous les marques SEA3 et PSX respectivement) et seront désormais mises au pot commun.
L’autre nouveauté est l'ajout de Yangpu à une rotation vers la côte est-américaine opérée avec des 10 000 EVP de Cosco. Le port situé sur l'île de Hainan, dans le sud-est de la Chine, vient de recevoir trois autres grues navire-terre (STS) en vue de l’extension du terminal YICT portée par la China Communications Construction Company (CCCC). Le « Yangpu Port Master Plan 2024-2035 » prévoit de porter la capacité de l’installation à 12 MEVP par an. YICT a manutentionné 2 MEVP en 2024 (+ 9 % p/r à 2023) et vise 1,5 MEVP supplémentaire d'ici à la fin de 2025. Les volumes sont principalement fournis par Cosco (actionnaire à 45 %) qui y fait escale dans le cadre de son réseau intra-asiatique avec des unités de 5 000 EVP. Une fois livrés, les cinq postes d'amarrage supplémentaires seront en mesure d'accueillir les dernières générations de grands navires. La province du Hainan est, elle, desservie par les lignes principales Est-Ouest de grande capacité et son développement s'inscrit dans le cadre de l'initiative « Belt and Road » (nouvelle route de la soie).
Marseille écarté du service Amerigo
À noter sur le flanc atlantique de la côte américaine, Marseille-Fos (terminal Eurofos) est écarté du service Amerigo (nom pour CMA CGM), qui reliait jusqu'à présent la Méditerranée (Algésiras, Livourne, Gênes, Fos-sur-Mer, Barcelone, Valence) et l'Amérique du Nord (New York, Norfolk, Savannah, Miami). La rotation révisée intègre Salerne en escale de départ ainsi que les ports italiens de La Spezia et de Vado Ligure mais fait l'impasse sur le port phocéen, Livourne et Barcelone.
Ces changements résultent de la sortie de Hapag-Lloyd, qui fournissait trois navires mais qui lance son propre service dans le cadre de sa nouvelle coopération Gemini avec Maersk. CMA CGM exploitera désormais la ligne avec ONE (un navire) et avec Cosco/OOCL (deux unités). Le Japonais ONE est le seul membre de la future Premier Alliance à déployer son propre tonnage sur le transatlantique. Il coopèrera sur trois des six services transatlantiques d'Ocean alliance, dont quatre sur l’Europe du Nord (Le Havre au programme) et deux sur la Méditerranée.
Dans la configuration du nouveau VSA, le transporteur français devient le plus puissant en fournissant trois navires, parmi lesquels les CMA CGM Ambition et Endurance de 7 814 EVP alimentés au GNL.
Contexte réglementaire en transition
Ocean Alliance, épargné par le mercato depuis la rupture entre MSC et Maersk et le rapprochement d’Hapag-Lloyd et de Maersk, est néanmoins concernée par la décision européenne de mettre un terme à leur cadre juridique qui leur permettait de déroger aux règles de la concurrence. Les controverses couramment associées à leur pouvoir de marché – puissance confinant avec une situation d'oligopole, gestion de la capacité au cordeau pour faire monter les taux de fret, fixation des prix réelle ou supposée entre eux –, ont régulièrement mis le sujet à l'agenda européen.
La puissance du groupement pourrait devenir problématique pour les autorités de la concurrence. Le cadre juridique européen permet aux groupements de compagnies qui ne dépassent pas un seuil de 30 % de part de marché sur un corridor maritime, de gérer conjointement la capacité. Or, cette règle ne serait pas respectée sur de nombreux corridors.
Adeline Descamps
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