En juin, les tensions ont changé de registre

Dérèglements sociaux et climatiques, volatilité persistante, environnement macroéconomique adverse, taux de fret ennemis, peak season... Un coup d’œil dans le rétroviseur de juin.  

Quelle énergie folle faut-il déployer pour canaliser ce fond d’anxiété qui tient le monde par tous les bouts. Faut-il que le secteur maritime ait pris l’habitude de réprimer ses sensations pour vaquer ainsi (va la vie) à ses occupations courantes.

En juin, un coup d’œil dans le rétroviseur et la confrontation apparaît dans tous les angles, créant une pression souterraine sous-jacente. Que ce soit sur le front de la vraie guerre, celle en mer Noire ou qu'il s'agisse de tensions sociales ici et là.

En mer Noire, après les blés, l’exportation d’ammoniac (russe) est devenue un enjeu et la flotte clandestine de pétroliers chargeant du brut de l'Oural, un combat, se soldant par toujours plus d'exclusions. Le Lloyd's Register a retiré le mois dernier ses services à Gatik Ship Management. L'armateur indien est devenu l'un des plus actifs transporteurs de brut russe vers l'Inde au moyen d'une flotte clandestine.

Quant aux céréales, les flux se repositionnent toujours et encore, a fortiori depuis que Moscou a trouvé une parade aux sanctions bancaires, via la Banque agricole russe Rosselkhozbank, pour contourner son exclusion du système de paiement international Swift par l'Union européenne en juin 2022. La Russie donne le tempo et les céréales françaises, trop chères, trinquent.

Des tensions sociales

Sur le front social, en France, la proposition de loi visant à encadrer plus strictement le dumping social en transmanche a été votée à l'unanimité par le Sénat après avoir fait le plein à l'Assemblée nationale. « Il sera possible de renforcer des sanctions pénales et administratives. Les députés ont validé le principe de l’équivalence dans les temps de repos et de navigation et le retrait du transmanche du Rif, ce qui permettra de renforcer la protection des marins », s'est félicité le secrétariat d’État chargé de la Mer, Hervé Berville, parti en croisade sur ce sujet qui permet d’« envoyer un signal clair à l’extérieur, celui du refus de la France de céder face à des pressions concurrentielles inacceptables ».

Pour autant, le Sénat a aussi validé la retouche copie effectuée par la Commission des affaires sociales. Des corrections à la marge qui ne sont pas neutres.

Au Sud, des mouvements d’humeur chez Corsica Ferries et La Méridionale ont été évités de justesse. Mais le rejet de l'amendement qui aurait appliqué aux lignes méditerranéennes le même régime de sanctions que dans le détroit du Pas de calais, risque de rejaillir à un moment ou à un autre.

Outre-Atlantique, les ports ouest-américains ont été rattrapés par les mouvements sociaux, les négociations s'enlisant entre la Pacific Maritime Association (PMA), qui représente quelque 70 exploitants de terminaux dans les 29 ports de la côte ouest-américaine, et l'International Longshore and Warehouse Union (ILWU) et ses 22 000 dockers.

Il aura fallu que la National Retail Federation (NRF), qui représente notamment les grands distributeurs américains Walmart, Target, Home Depot, et la National Association of Manufacturers, sollicitent une médiation au plus haut niveau de l’État pour que la situation donne l’impression de se décanter.

Mais quelle haute saison ?

Après 13 mois de négociations, alors que les observateurs pariaient sur un enlisement de la situation « à la façon 2014-2015 », en référence à un très long et éprouvant rapport de force, les parties prenantes ont fini par trouver un accord.

Les chargeurs américains ont eu quelques accès de stress à l'approche de la haute saison, ce long couloir commercial qui mène aux fêtes de fin d’année. Mais quelle haute saison ? Les stocks restent en Europe et aux États-Unis à un niveau toujours très élevé tandis que les taux de fret continuent de bouder. « Ce déstockage insuffisant expliquerait en grande partie la peak season en faux plat que nous commençons à vivre », constate Arthur Barillas, directeur général du transitaire numérique Ovrsea.

Un second semestre difficile

Tous les analystes promettent en effet un second semestre difficile, la surcapacité menaçante, les seuils critiques de rentabilité atteints sur certains itinéraires (marché transpacifique, notamment), les dépenses d’exploitation écrasantes et un environnement macroéconomique mondial guetté par la récession.

Du côté des armateurs, on repousse à chaque fois plus loin l’échéance d’une reprise. Chez Hapag-Lloyd, la perspective du troisième trimestre a glissé vers la fin d’année voire 2024. Les chiffres sont têtus. L’indice XSI Asie-Europe du Nord de Xeneta s’établissait, dans la semaine du 23 juin, à 1 240 $ par conteneur de 40 pieds (contre 10 353 $ il y a un an).

Sur le transpacifique, depuis l’Asie vers la côte ouest des États-Unis, selon le Freightos Baltic Exchange (FBX), les taux étaient encore en perte de 15 % cette semaine-là, à 1 213 $. Pour les côtes américaines de l'Est et du Golfe, le FBX a chuté de 7 %, à 2 322 $. À nouveau, l’itinéraire Asie-Méditerranée apparaît comme un sanctuaire, où les taux se maintiennent au-delà de la barre des 2 000 $ et limitent la casse. Après des semaines consécutives de baisse, ayant servi un temps de refuge aux exploitants de porte-conteneurs qui y ont basculé des capacités, le marché transatlantique semble vouloir se stabiliser, les FBX et XSI étant stables à la mi-juin, à 2 082 $ et 2 050 $/EQP (équivalent quarante pieds), respectivement.

Mais où CMA CGM s’arrêtera-t-il ?

Les transporteurs maritimes semblent avoir mieux à faire, continuant de se constituer un petit patrimoine d’actifs couvrant toute la chaîne de valeur, amont et aval. Une assurance tous risques contre les futures secousses des cycles, qu’elles soient spectaculaires ou volatiles.

Mais où CMA CGM s’arrêtera-t-il ? Pas une semaine sans en entendre la petite musique de l’armateur français, qui donne un sens industriel à ses acquisitions et participations (La Méridionale, Brittany, Neoline), vient de mettre la main sur les terminaux à conteneurs de Bilbao et de Valence, et fait mousser les rumeurs au sujet de ses commandes au méthanol.

Avec 24 commandes à ce stade, tous à livrer d’ici 2027, parti bien plus tard dans la course de chevaux qu’est devenue la concurrence entre tous les carburants de demain, le groupe marseillais est au coude à coude avec Maersk en termes d’unités commandées mais peut-être déjà en première ligne en termes de capacités.

Quand MSC cessera-t-il d'acheter du tonnage d'occasion ?

Défiant un macro-environnement sombre pour le transport de conteneurs, le leader mondial, qui ne s’exprime pas beaucoup sur le thème du verdissement de sa flotte, fait en revanche parler le marché de l’occasion, sur lequel il fait des raids hebdomadaires. Les quatre dernières acquisitions de la semaine dernière portent à 311 le nombre de porte-conteneurs de seconde main achetés par l'armateur de Genève depuis août 2020, date à laquelle il s'est lancé dans une quête à la capacité avec rapacité.

Mais quand Maersk aura-t-il suffisamment de méthanol ?

Maersk opère une autre razzia, tissant la toile de l’avitaillement qui sera nécessaire à sa future flotte au méthanol. Avant sa récente commande de six autres unités, les dix-neuf navires au méthanol vert, que Maersk mettra en service entre 2023 et 2025, nécessiteront autour de 750 000 t de méthanol vert. Pour cela, il a signé plus de dix contrats d'achat à long terme à ce jour qui devraient lui assurer au moins 730 000 t de méthanol vert par an d'ici à la fin de 2025 (et 500 000 t supplémentaires après cette échéance).

Plus surprenant, l’ex-leader mondial a entrepris la conversion d’un navire existant. Une opération techniquement complexe qui ne semble pas rebuter l’armateur danois. Les précédents avec le GNL ont pourtant eu un effet particulièrement répulsif. L’expérience d’Hapag-Lloyd avec l’ex-Sajir aura coûté 35 M€ et sept mois de travaux.

Quel sera le niveau d'ambition ?

À l’approche du MEPC 80, le Comité de protection du milieu marin, qui se tient début juillet au siège de l’OMI à Londres, un autre grand moment attend le secteur maritime. Le rendez-vous sera déterminant pour donner le tempo et jalonner l’agenda réglementaire du shipping dans les décennies à venir.

Dans cette chapelle de l’ONU où seul le consensus fait foi, il sera décidé ou de s’en tenir aux objectifs décidés en 2018, hors des clous de l’Accord de Paris (réduction des émissions de 50 % d'ici 2050 par rapport à 2008), où de se donner pour contrainte le zéro nette émission en 2050.

En attendant, toutes filières confondues, les armateurs tentent de domestiquer un univers en rupture avec leur présent fossile en expérimentant tous azimuts. Pas une semaine ne se passe sans que ne soient relayés des lancements de projets, des campagnes de tests, des alliances industrielles ici au méthanol ou à l’ammoniac, là à la capture de carbone et à l’hydrogène… 

La taxe de nouveau à l'agenda international

En amont, dans un geste politique calculé, Paris a tenté un coup, profitant de recevoir le Sommet pour un nouveau pacte financier mondial les 22 et 23 juin pour accrocher un accord de principe sur l’introduction d’une taxe mondiale climatique. La proposition a fait splash mais a obtenu le ralliement de ceux qui étaient déjà convaincus, les mêmes qui sont partisans d’une ligne dure dans l'hémicycle de l'OMI.

L'affectation des revenus tirés d’une tarification du carbone, quelle que soit la forme, est un autre débat. En amont de ce tuilage de réunions, la Banque mondiale a publié une nouvelle étude dans laquelle elle liste les bénéficiaires et les destinations prioritaires. Une remise à niveau pour ceux qui se seraient absentés un certain temps ou auraient désespéré de la planète.

Canal de Panama à sec, Suez déborde de liquides

Le désastre écologique, lui, se précise toujours plus. L’autorité de gestion du canal de Panama, l’une des deux grandes voies de la navigation mondiale, formidable raccourci entre la Chine et la côte est des États-Unis, a multiplié les alertes à la sécheresse et prononcé des limites de charge. Les pluies divines ont offert un sursis a l'isthme centraméricain qui lutte contre la sécheresse depuis des années.

Panama est à sec mais son concurrent, Suez, déborde de liquidités. L’infrastructure, qui voit transiter 10 à 12 % du commerce mondial dans son couloir en forme de choke point long de près de 200 km, amasse le cash au grand bonheur de l’État égyptien qui fait le plein de devises étrangères.

Les dérèglements climatiques sanctionnent aussi le vrac sec, déjà sur le qui-vive avec une Chine qui peine à redémarrer. El Niño, couplé au réchauffement climatique, met la filière en alerte.

Des avancées dans les traités internationaux

Sur le plan réglementaire, quelques avancées ont été obtenues. Elles feraient presque grincer des dents sur le processus de ratification des traités internationaux. Seize ans après avoir été ouverte à la signature (2009), qui encadre strictement le recyclage des navires, la Convention internationale de Hong Kong va enfin entrer en vigueur le 1er juin 2025. Grâce à ladhésion du Bangladesh, deuxième destination mondiale pour le démantèlement des navires, et du Liberia, un des premiers registres mondiaux d'immatriculation.

Pour être promulgué, le texte devait être signé par 15 États représentant au moins 40 % de la flotte mondiale de navires de commerce et 3 % du tonnage de recyclage des dix années précédentes. Avec le Bangladesh et le Liberia, les 22 signataires totalisent une capacité de 45,81 % et 3,31 % du tonnage requis.

Le traité international pour protéger la haute mer est, lui, à l’étape d’avant. Vingt ans après l'ouverture des pourparlers, les États membres de l'ONU ont adopté le 19 juin le premier traité international sur ces espaces où aucun État n'est responsable de leur préservation. Il faut désormais qu'il soit ratifié par 60 pays pour entrer en vigueur. Last but not least, diraient les anglosaxons.

Une visite étonnante

En France, l’événement le plus marquant de la fin du mois de juin restera la visite de trois jours du président de la République à Marseille. L’événement, étonnant par sa durée, aura atteint l’effet recherché : ne pas passer inaperçu. À cette occasion les médias auront recyclé une data : celle de Marseille en que laboratoire de la politique d’Emmanuel Macron.

Quoi qu’il en soit, il aura été accueilli par un avertissement-menace des dockers que le président a complètement ignoré. Il s’est bel et bien présenté sur les quais comme il l’avait prévu au troisième jour de sa visite.

Il n’est pas venu sans rien. Ce fut même une déferlante d’annonces, certaines très étonnantes comme la possibilité d’installer des réacteurs nucléaires sur le foncier portuaire de Fos, zone Seveso seuil haut et dans une région sismique.

Ou encore la création d’une école dédiée à l'économie bleue avec le soutien de CMA CGM dont on ne sait strictement rien.

Quant à la création d’un Haropa du Sud, un grand port fluviomaritime qui irait de Lyon, port sec, à Marseille, le président, qui n’est pas sans connaître les antagonismes et les réticences à ce projet dont il est l’artisan, crante l’agenda à défaut de presser les négociations. Pour l’heure, les avancées du deuxième Conseil de coordination interportuaire et logistique (CCIL) de l'axe Méditerranée-Rhône-Saône paraissent encore peu palpables

Un effet Macron ?

Quoi qu’il en soit, il y a bel et bien eu un effet Macron. Le chef d’État aura délié quelques investissements. En marge de sa visite, Rodolphe Saadé, le PDG de CMA CGM, devenu visible depuis que les taux de fret ont défrayé la chronique, a fait part d'un investissement dans l’usine de production de cellules photovoltaïques de Carbon, qui doit voir le jour dans le périmètre du port de Marseille Fos. Mais le groupe marseillais n’a pas fait part ni du montant ni de la forme que prendrait cette participation dans ce projet à 1,5 Md€.

De son côté, TotalEnergies a fait valoir un engagement financier de 70 M€ pour permettre, à compter de 2024, à sa bioraffinerie de la Mède de traiter 100 % de ses déchets.

La voile en guest-star

In fine, la star du mois aura été la voile. La jeune filière en émergence a profité de sa grand-messe Wind for Goods pour témoigner de sa dynamique. Deux jours marathon pendant lesquels le secteur a tenté de démontrer que le vent de la considération avait enfin tourné, la propulsion vélique commençant à convaincre au-delà de la sphère des seuls néo-armateurs. Même le porte-conteneurs, le navire le moins facile à propulser à la voile, y a cédé. Charge à l'Histoire de ratifier ou pas.

Adeline Descamps

Shipping

Règlementation

Port

Marchés

Maritime

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15