Comme annoncé ici, l'UE a annoncé ce 24 février son 16e train de sanctions contre la Russie trois ans après l’invasion de l’Ukraine. Avec toujours les mêmes arguments : faire plier l’économie russe ou du moins priver la Russie de ses ressources pour la guerre, ce qui revient au même. Les recettes pétrolières de la Russie contribuent à près de 200 Md$ (192 Md$) au budget fédéral qui en compte un peu moins de 400 Md$ (383 Md$).
Les nouvelles sanctions, qui viennent d’être adoptées par les ministres européens des Affaires étrangères, resserrent l’étau sur la flotte clandestine de pétroliers, ces navires armés par des sociétés opérant dans une transparence limitée et une considération sommaire des normes réglementaires, en inscrivant 74 autres tankers. Elles élargissent également les critères que l'UE pourra utiliser pour sanctionner les propriétaires et les exploitants de la flotte fantôme, y compris les capitaines. Dans la même veine, si la mesure est retenue, il est prévu d'étendre l'interdiction de transaction permettant à l’UE d’inscrire sur liste noire financière les institutions et prestataires de services de cryptoactifs à l'origine de transactions avec les navires sanctionnés de la flotte fantôme.
Mesures panoramiques
Mais le paquet contient aussi des mesures énergétiques, commerciales, industrielles, financières, ou portant sur le transport et les Infrastructures.
Au rang des restrictions à l'exportation, 53 nouvelles entreprises sont accusées d'intervenir en soutien au « complexe militaro-industriel russe » ou d'être impliquées dans le contournement des sanctions, dont les critères ont par ailleurs été durcis. Une trentaine est basée dans des pays autres que la Russie. Sont également intégrés 48 individus et 35 entités actives dans le contournement des sanctions, les plateformes d'échange de cryptoactifs russes et le secteur maritime.
Aluminium sur le ban
Au titre des mesures commerciales est inscrite, comme prévu, l'interdiction d'importer de l'aluminium russe, en plus de l'interdiction déjà en place concernant les importations de produits en aluminium transformés en provenance de Russie. Pour limiter l'impact de la filière, un mécanisme de quota est introduit, permettant l'importation de 275 000 t sur une période de 12 mois, ce qui équivaut à 80 % des importations de l'UE en 2024. La valeur des importations d’aluminium russe est estimée à 1,25 Md€ par European Aluminium, qui représente la filière au niveau européen.
Stockage temporaire de pétrole prohibé
Parmi les mesures énergétiques, l’UE a décidé de proscrire complètement le stockage temporaire ou le placement sous procédures de zone franche du pétrole brut ou des produits pétroliers russes dans les ports de l'UE. Pour rappel, il était jusqu'à présent autorisé si le pétrole respectait le plafond de prix et était destiné à un pays tiers.
Elle étend par ailleurs les interdictions dans la fourniture de composants clés aux projets gaziers russes de GNL, certains étant essentiels. Rosneft doit par exemple mettre en service son méga projet pétrolier Vostok et prévoit d'exporter environ 30 Mt de brut par an pour atteindre progressivement 100 Mt d'ici 2030. De même, la fourniture ou la prestation de logiciels d'exploration pétrolière et gazière ne sera plus possible sans risquer les sanctions.
Les ports sous contrôle
Dans le transport, l'UE étend l'interdiction de vol aux transporteurs de pays tiers effectuant des vols domestiques en Russie. La fourniture de composants aéronautiques aux compagnies aériennes russes ou pour des vols domestiques en Russie ne sera plus possible.
Dans la route, le paquet ajoute un amendement qui empêche l'augmentation de la participation russe au-delà de 25 % dans le capital des entreprises de transport routier de l'UE.
Les transactions avec certaines infrastructures russes sont également proscrites. Les deux aéroports de Moscou (Vnoukovo et Joukovski), quatre aéroports régionaux, les ports d'Astrakhan sur la Volga, de Makhatchkala sur la mer Caspienne ainsi que les ports maritimes d'Ust-Luga et de Primorsk sur la mer Baltique ainsi que Novorossiisk sur la mer Noire sont concernés. Ces trois derniers ont été largement sollicités pour le transport de pétrole russe sous sanction vers l'Inde et la Russie. Mais les raffineurs de ces deux pays, de plus en plus rebutés par les sanctions internationales, revoient leur sourcing. En témoigne la baisse des volumes provenant des trois ports russes occidentaux qui ont diminué de 17 % en janvier par rapport à l'année précédente.
Contrer les plans américains
Ces annonces interviennent alors que se tient un sommet européen pour réaffirmer le soutien à l’Ukraine. Les relations bilatérales entre Moscou et Washington, qui sont en train de négocier un cessez-le-feu qui s’apparenterait à une capitulation pour Kiev, inquiètent tout particulièrement les alliés européens de Kiev.
Emmanuel Macron, qui se pose en émissaire européen, est à Washington ce lundi 24 février pour tenter de faire infléchir Donald Trump sur son actuel scénario. Parallèlement, l’UE semble évoluer vers la possibilité de déployer, après la signature d’un cessez-le-feu, d’une force européenne, aérienne et maritime, à même de garantir la sécurité de l’Ukraine, ses villes, ports et infrastructures.
Londres, prêt à y contribuer, milite néanmoins pour une couverture aérienne américaine. Ce que le premier Ministre, Keir Starmer, aussi attendu dans le Bureau Ovale cette semaine, va tenter de vendre à son hôte américain.
Renforcement de l'arsenal outre-Manche
Le Royaume-Uni, qui a déjà sanctionné plus de 1 900 individus et entités, a émis parallèlement une nouvelle salve comportant une centaine de sanctions, visant des personnes et entités en Russie mais aussi de la Chine ou de la Corée du Nord. Une quarantaine de navires, accusés de faire partie de la « flotte fantôme », mais transportant du gaz russe, portent à 133 le total de tankers désormais visés par Londres. La dernière décision remonte à décembre, où 35 navires avaient été ajoutés à une liste qui en contenait déjà 100.
Le Royaume-Uni sanctionne également le ministre de la Défense nord-coréen, No Kwang Chol et d’autres généraux, pour avoir contribué aux renforts des troupes russes sur le front avec « plus de 11 000 » soldats dépêchés.
Enfin, une quinzaine de dirigeants rejoignent le cercle des oligarques mis au ban, parmi lesquels l’homme d’affaires Roman Trotsenko, à la tête d'Aeon, un fonds d'investissement et de gestion, dont la fortune est estimée par Forbes à plus d'1,6 Md$.
« Chaque ligne d’approvisionnement militaire interrompue, chaque rouble bloqué et chaque contributeur à l’agression de Poutine démasqué représente un pas vers une paix juste et durable », n'a pas lésiné David Lammy
Adeline Descamps
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