David Sagnard (Groupe Carpentier) : « Nous ne manquons pas de business mais de conducteurs… »

David Sagnard, président du groupe Carpentier.

Lauréat du Transporteur de l’année 2024, David Sagnard tient les rênes du groupe Carpentier (62) – désormais presque centenaire – depuis 2005. Le transporteur calaisien revient sur les événements qui ont façonné le groupe et sa stratégie gagnante, portée par une gestion en finesse et des valeurs humaines et rigoureuses pour assurer la croissance.

L’entreprise a commencé avec une activité d’extraction de matériaux de construction il y a 96 ans. Comment a-t-elle évolué vers le TRM et sur quelles activités ?

En 1928, Louis Octave Carpentier possédait un lopin de terre sur Calais. Son voisin souhaitait la lui acheter pour agrandir sa carrière d’extraction de matériaux de construction (sable et cailloux), mais Louis Octave, qui ne voulait pas vendre, a développé cette même activité, avec l’achat d’une grue et, comme il n’y avait pas vraiment encore de camions, d’une charrette avec chevaux. Puis sont venus deux-trois camions. Dans les années 50, la carrière commence à se tarir. La partie transport se sépare de l’activité de carrière en 1955. L’entreprise de TRM continue de se développer, tant bien que mal, avec 20-25 camions, orientée principalement vers le port de Calais, des transferts entre le port et les usines. Robert Carpentier, qui est le petit-fils de Louis Octave et mon beau-père, avait entamé les premières démarches dès les années 50 aussi pour travailler avec les sucriers Say et Béghin. Nos activités transmanche ont démarré dans les années 70, avec les premiers navires RoRo entre Calais et Douvres, afin de charger les wagons dans le ferry. Robert Carpentier a pris alors contact avec quelques entreprises britanniques pour faire de la traction à l’arrivée à Calais. Nous n’avons pas participé aux travaux du tunnel sous la Manche qui ont débuté en 1984 mais nous nous sommes placés pour les essais avec les camions organisés au début des années 90. Les véhicules étaient utilisés sur une activité classique en semaine puis, le vendredi soir, les conducteurs les amenaient dans le tunnel pour les louer à France Manche (Ex-Eurotunnel). Cela nous a permis de gonfler la trésorerie de l’entreprise et d’entreprendre de nouveaux projets.

Comment s’est développée l’activité transmanche à partir de l’ouverture du tunnel ?

De restaurateur, je suis arrivé dans l’activité transport le 7 juillet 1994 pour m’occuper du développement commercial de la structure, justement au moment où le tunnel venait d’ouvrir. Le grand regret de Robert Carpentier était de ne pas maîtriser les flux transmanche et de ne travailler qu’en sous-traitance pour les entreprises britanniques. Il m’a demandé de mettre en place une division transport avec nos propres moyens et m’en a laissé la pleine gestion. Nous avons pu entrer sur ce marché car le tunnel sous la Manche, qui venait tout juste d’ouvrir ses portes, proposait des tarifs très bas pour être attractif. Les traversées pouvaient alors coûter 90€ au lieu de 200 à 240 € par ferry. Et, aujourd’hui, les traversées par le tunnel tournent également autour de 200 à 240€. On a commencé avec les entreprises locales, en revanche, pour les retours, nous faisions avec les bourses de fret. La problématique du transmanche existe toujours aujourd’hui, il y a un différentiel de flux entre import et export, on s’en sortait en faisant du petit cabotage pour descendre sur Londres puis à vide jusqu’à Calais.

Vous avez développé de la logistique également. Comment s’intègre-t-elle dans votre stratégie ?

Dès les années 80, Robert Carpentier proposait du stockage pour l’industriel Beghin-Say (Tereos aujourd’hui), avec des entrepôts dotés de systèmes de gestion de captation de l’hydrométrie. Ils ont vite été saturés. À partir des années 2000, nous avons donc cherché à développer la logistique. Mais la mairie, en suivant le code de l’urbanisme, s’est opposé à la construction de nouveaux bâtiments sur le site historique. Nous avons donc recherché d’autres lieux pendant deux-trois ans. Finalement, Calais a bénéficié d’un privilège face au taux de chômage important et est devenue une zone franche. Nous avons donc acheté le terrain sur lequel nous sommes aujourd’hui implantés, avec la construction d’un premier bâtiment où nous avons placé toute l’activité Transport de vrac solide. Ce développement en zone franche nous a permis de bénéficier d’avantages sociaux et fiscaux : pendant cinq ans, nous ne payions de charges ni sur les salaires, ni sur les bénéfices de l’entreprise. Pour nous donner plus de moyens et commencer à nous constituer un capital afin, à terme, de racheter les parts de Robert Carpentier et de son frères et ses soeurs, la nouvelle génération a créé une SCI pour acheter le foncier et capitaliser sur l’entreprise d’exploitation. En 2006, même si le chômage a baissé, l’administration prolonge la zone franche pendant cinq ans. Nous avons donc créé une nouvelle structure, C+ Transports pour l’activité de transport international de la société Carpentier.

Vous êtes devenu l’un des leaders sur l’activité citerne dans la région Hauts-de-France. Comment cette activité a-t-elle été intégrée dans le groupe ?

En 2006-2007, la réglementation sur le transport en citerne a évolué et les clients sont devenus de plus en plus exigeants. Je suis parvenu à convaincre Robert Carpentier d’acheter des citernes pour le transport de sucre. On s’est donc lancé avec quatre-cinq citernes avec Beghin Say. Puis, en 2008, l’un de nos confrères et ami de Robert Carpentier, Transports Fromentin, spécialisés en transport intersites mais aussi en transport de sucre, faisait fait face à une défaillance financière. L’un de ses clients m’a contacté car il souhaitait nous confier l’intégralité de son flux. Avec Robert Carpentier, nous sommes donc allés voir Pierre et Michel Fromentin pour faire un deal : on prenait le business mais en utilisant leurs camions. Malheureusement, au bout de trois-quatre mois, l’entreprise a été placée en liquidation. Nous avons donc ensuite récupéré l’activité des Transports Fromentin, mais sans avoir écrasé l’entreprise, ce qui est important pour nous. Puis, la reprise des importants flux de transport de l’industriel Cristal Union Daddy a réellement développé notre activité de sucre alimentaire devenue l’un des fleurons du groupe, avec une cinquantaine de citernes. En 2015, j’ai créé Carpentier Silo pour regrouper ces activités de transport en citerne.

Vous vous êtes aussi lancé dans la manutention portuaire en 2013. Comment s’intègre-t-elle dans la stratégie du groupe ?

2013 a marqué un tournant. Suite au décès accidentel du responsable de la partie manutention portuaire, avec un de mes amis qui s’occupait de la partie maritime, nous avons créé une structure, Via Calais, spécialisée dans la manutention et logistique portuaire, dont Carpentier est actionnaire et dont je suis directeur général. Via Calais est leader aujourd’hui sur Calais et emploie les deux tiers du personnel portuaire avec 250 salariés. Nous avons développé autour de cette structure plusieurs activités, comme un parking sécurisé de 350 places, une station de lavage citerne… La manutention portuaire est une activité à marges bien plus importantes que le transport routier et les bénéfices que nous en tirons visent à acquérir d’autres terrains.

La croissance externe fait-elle partie de vos projets ?

Côté croissance externe, nous avons plusieurs dossiers que nous étudions. Nous ne voulons pas nous diversifier mais rester sur les activités que nous savons faire. Jusqu’à présent nous étions surtout sur une stratégie de croissance organique mais désormais nous nous orientons davantage sur de la croissance externe car nous nous heurtons à la raréfaction de la partie conducteurs. Une acquisition représente un potentiel humain, permettrait de récupérer des marchés sur lesquels nous ne sommes pas encore implantés mais aussi de faire des économies d’échelle sur l’activité. En effet, par rapport à la structure du groupe, nous avons des coûts parfois en inadéquation avec le marché. Nous employons 170 personnes, ce qui est trop faible par rapport à nos besoins administratifs. Nous avons besoin de personnes qui s’occupent du contrôle de gestion, de la qualité, de la comptabilité… Cela pèse sur les charges d’exploitation de l’entreprise.

En cette période de croissance économique maussade, subissez-vous, comme de nombreux transporteurs, une baisse d’activité ?

Malgré la conjoncture, notre activité se porte bien sans pour autant être sur le haut de la vague. Depuis le début de l’exercice, amorcé en décembre, nous sommes à 14% de croissance. Il se passe quelque chose dans nos activités. Nous avons des clients fidèles mais aussi nous sommes aussi relancés chaque jour… Peut-être est-ce lié au Transporteur de l’année ? Nous ne manquons en tout cas pas de business, en revanche, il peut nous manquer des conducteurs, notamment sur la partie citernes… Or nous allons entrer dans la période de campagne de betterave qui est génératrice d’activité chez nous, avec plus de 3M€ de chiffre d’affaires chaque année. Par ailleurs, le prix de sucre a été multiplié par trois ces quatre dernières années. Et, comme la récolte a bénéficié cette année de bonnes conditions climatiques, il y aura donc plus de sucre à transporter… Les clients viennent aussi voir ceux qui ont un potentiel : plusieurs citernes permettent plus de réactivité.
Mais, lors du conseil d’administration du groupement FLO ou celui de la FNTR Nord-Pas-de-Calais, on voit que certaines entreprises ne vont pas très bien. Les coûts ont augmenté ; il y a donc une nécessité d’augmenter les prix pour survivre et faire de la trésorerie afin de continuer à investir. Mais certains confrères, sur des activités qui souffrent plus, comme par exemple le bâtiment, ne peuvent pas se le permettre.

Comment définiriez-vous la politique sociale du groupe ?

L’humain dans le groupe est très important, sans les hommes et les femmes, on n’avance pas. Pour éviter que les salariés (conducteurs, mécaniciens, exploitants) s’en aillent, il faut d’abord les considérer. Connaître l’intégralité de nos collaborateurs, identifier les personnes est important. Je mets aussi un point d’honneur à leur donner une rémunération conforme à ce que je leur dois, par exemple pour les heures supplémentaires. S’ils font 230h, ils sont payés pour 230h, il n’y a pas de forfait. Et nous avons mis en place un accord d’entreprise qui permet d’avoir un capital temps qui permet d’avoir une semaine de congés payés supplémentaire. Il est important aussi de primer les salariés lorsqu’ils font des choses bien, par exemple en limitant la consommation de carburant, mais aussi de les faire participer à la vie de l’entreprise, à la rentabilité de l’entreprise, notamment avec la participation. Il y a une réputation chez nous puisqu’en général lorsqu’un conducteur entre chez nous, il y reste jusqu’au bout. Ce qui est important aussi c’est de comprendre la motivation de chacun et de positionner les personnes aux endroits les plus pertinents, où elles sont les plus performantes, surtout sur la partie administrative.

Comment l’adhésion au groupement FLO contribue-t-elle au développement du groupe ?

Nous sommes adhérent depuis 2012, à la demande de Patrick Mendy. Ce qui m’a motivé à entrer dans le groupement FLO, c’est la philosophie de l’échange, du partage, mais aussi la possibilité d’apprendre des gens que je côtoie, de prendre conseil auprès des confrères. Chez FLO, l’entreprise a la possibilité de proposer à ses clients de faire de la distribution France d’une à cinq palettes en 24-48h, en complément de nos activités général cargo. Ça permet de compléter nos activités. Nous avons dans ce sens pris une adhésion à FLO palettes qui permet de proposer aux clients une plus grande capacité, même si on n’est pas un gros distributeur. Aujourd’hui, avec le Brexit, on a beaucoup de demande de groupage vers la Grande-Bretagne, et le groupement nous permet de proposer un service global : grâce à ses services, nous pouvons aller chercher les palettes d’un client sur le territoire français vers Calais pour le groupage, avant de les amener en Grande-Bretagne, mais aussi de s’occuper de la partie de douane à travers les structures du groupe qui viennent s’associer. Et cerise sur le gâteau, même si ce n’est pas la première motivation, il y a aussi annuellement des retours sur les achats.

Comment avez-vous intégré la transition écologique dans la stratégie du groupe ?

Il faut tout d’abord que les personnes soient bien formées, à l’écoconduite mais aussi à la bonne utilisation des matériels. Depuis 2013, nous nous sommes lancés dans la charte CO2, puis le label en 2015, renouvelé deux fois, dans le but de toujours trouver des moyens pour réduire la consommation. Car les économies sur l’énergie, c’est aussi des économies pour l’entreprise. Un gain d’un litre de consommation, c’est un peu plus de 100000€ de résultat en plus pour le groupe. Le renouvellement fait aussi partie de la stratégie de la baisse de consommation : nous étions à environ 40l de consommation lorsque je suis entré dans l’entreprise il y a 30 ans, nous en sommes aujourd’hui à quelque 30 litres. Et bien sûr, il faut gérer au mieux l’activité de transport, en optimisant les trajets et en limitant les kilomètres à vide. Pour cela, nous avons aussi un rôle de conseil auprès des clients.

Quelles énergies alternatives au diesel considérez-vous aujourd’hui ?

Je pense que nous ne serons pas sur une seule énergie mais sur un mix énergétique. Nous avons investi dans un premier véhicule GNL pour un de nos clients pour une activité France-Grande-Bretagne mais, suite à la guerre en Ukraine qui a fait flamber le prix du gaz, il est resté neuf mois sur parc. On s’est lancé sur du B100 exclusif, sans être poussé par un client. On entendait de bons retours sur cette énergie, je souhaitais tester pour vérifier. J’ai opté pour l’exclusif, parce qu’il est classé Crit’Air 1 et le client est assuré que je ne mens pas. Il y a aussi des contraintes, comme une cuve en interne. Si aucun client ne m’a poussé, aujourd’hui nous forçons commercialement pour convaincre à travers les arguments du B100 exclusifs. Et ça fonctionne, les clients ont été réceptifs au différentiel de coût.
Des clients me demandent du XTL. Je vais y répondre mais ce sera du mixte. Il y aura bien une attestation pour les litres de XTL achetés pour le nombre de kilomètres réalisés sur cette activité précise mais rien ne garantit qu’ils ne seront pas mis dans d’autres réservoirs.
Concernant l’électromobilité, les autonomies commencent à devenir attractives. Nous avons une moyenne journalière sur les activités régionales de 330 kilomètres par camion. Nous pourrions donc faire une journée sans devoir recharger. Nous nous sommes lancés sur l’acquisition de deux camions électriques à horizon 2025. La seule problématique que nous rencontrons sur le territoire du Calaisis, c’est l’absence de disponibilité de recharge suffisamment puissante. Nous pourrions le créer en le tirant depuis une centrale nucléaire qui n’est pas très loin, mais cet investissement dépasserait le prix d’un camion !

Au niveau de la Région, et plus particulièrement le territoire du Calaisis, quelles sont les problématiques rencontrées par les transporteurs ?

Concernant les flux migratoires, le sujet avait atteint son paroxysme en 2016. Nous avions dû nous battre avec la FNTR pour obtenir la sécurité de nos conducteurs, de nos entreprises et de nos activités. Le sujet est moins médiatisé mais nous continuons à nous battre, par exemple avec des réunions avec la préfecture et les autorités britanniques sur la problématique de l’immigration. Nous sommes souvent perçus comme des passeurs, ce qui est fortement dommageable. Par ailleurs, Calais, n’est souvent abordé que sous la question des flux migratoires, mais c’est aussi un port, une plage, du tourisme. Ce n’est plus de l’industrie, mais il faudrait qu’elle reprenne pour développer la logistique. Par chance, le port voisin, Dunkerque, voit son activité manufacture repartir, peut-être grâce au ministre des Transports actuel, Patrice Vergriete, qui est originaire de cette ville. Cette tendance nous amène une partie de la marchandise dans nos entrepôts et nous donne du flux.

Repères :

Siège social : Calais
Chiffre d’affaires : 52M€
Effectif : 215
Parc : 87 tracteurs
Activités : vrac solide en bennes, transport de déchets, vrac alimentaire, citerne produits alimentaires et industriels, général cargo et marchandises conventionnelles, logistique, Transmanche.

Biographie :
4 juillet 1994 : entrée dans le groupe Carpentier
2004 : Robert Carpentier donne les pleins pouvoirs à David Sagnard sur le groupe Carpentier
2012 : Intégration au sein du groupement FLO
2013 : Création de via Calais avec un confrère
2008 : Étoile du transport international
2020 : Président du groupement FLO
2024 : Lauréat du Transporteur de l’année

 

 

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