Les difficultés financières rencontrées par le géant allemand Uniper sont inquiétantes pour ce qu’elles disent de la vulnérabilité des entreprises en temps de guerre. En quelques mois, l'un des plus grands fournisseurs d'énergie en Allemagne est passé du zénith au nadir. Hier, investi dans les plus grands projets énergétiques en cours. Aujourd’hui, pris par surprise dans la tempête qui balaie les entreprises trop exposées au gaz russe.
Uniper était, avant l’invasion de l’Ukraine, l'un des plus gros clients de Gazprom. Il résiste difficilement à la réduction subite et drastique de ses livraisons (- 60 %, selon ses déclarations) via Nord Stream, le producteur de gaz russe arguant d'un problème technique sur le gazoduc. Mais que d’aucuns considèrent comme une mesure de représailles économique.
Il doit donc s’approvisionner sur d'autres marchés, là où les prix ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux négociés dans le cadre de ses contrats de long terme. L’activité gazière d’Uniper couvre un portefeuille d'environ 370 térawattheures (TWh) de contrats de fourniture de gaz à long terme, dont environ 200 TWh proviennent de Russie.
Entrée au capital
Pour protéger un pan de son tissu économique, craignant l’effet systématique sur le marché de l'énergie, le gouvernement allemand a présenté ce 5 juillet des modifications législatives autorisant notamment une entrée de l'État au capital des entreprises du secteur en situation de fragilité.
Le projet prévoit un « allègement temporaire du droit des sociétés » de façon à faciliter les prises de décision en matière d'opération de capital pour les « entreprises exploitant des infrastructures énergétiques critiques », a indiqué le ministère de l'Économie.
Si Berlin est en pourparlers avec le groupe sur une possible entrée au capital, qui pourrait atteindre 9 Md€ selon Bloomberg, l’exécutif allemand n’en a toutefois pas fait mention à l’occasion de cette annonce. Le quotidien économique Handelsblatt évoque pour sa part une participation publique qui irait jusqu’à 25 %, d'une valeur de 3 à 5 Md€.
100 Md€ de prêts et garanties
L'Allemagne a déjà utilisé cette mesure défensive au plus fort de la crise sanitaire en entrant par exemple à hauteur de 20 % dans le capital du géant de l'aviation Lufthansa.
Le pays, qui dépendait début juin à 35 % du gaz russe pour ses importations contre 55 % avant la guerre en Ukraine (142 milliards de m3 en 2021), s’y prépare depuis deux mois. En avril, il a lancé un programme de prêts et garanties publiques de plus de 100 Md€, destiné à aider les entreprises souffrant des effets de la guerre en Ukraine. Le fonds a déjà servi à acquérir l'ex-filiale allemande de Gazprom, Gazprom Germania, qui va se voir doter d'une ligne de crédit de 9 à 10 Md€.
Investi financièrement dans de nombreux projets
La situation d’Uniper n’est pas sans conséquences. Le producteur d’électricité a notamment participé au financement de la construction du gazoduc Nord Stream 2 AG dont la construction est achevée. Un chantier de 9,8 Md€ financé pour moitié par Gazprom aux côtés de Shell, OMV, Engie, Wintershall et Uniper. Le groupe avait par ailleurs signé un protocole d'accord en septembre dernier avec l'autorité portuaire de Rotterdam pour implanter une usine d'hydrogène vert d'une capacité d'électrolyse de 100 MW à la Maasvlakte.
En réaction aux sanctions européennes frappant la Russie, dans la perspective de s’affranchir de son gaz qui sera peut-être sous embargo, tous les pays européens se mettent en ordre de marche pour pouvoir recevoir du GNL par voie maritime via des FRSU, des unités flottantes de regazéification. Dans ce cadre, Gasunie, Uniper, RWE et d'autres ont tous récemment signé des accords pour affréter des méthaniers flottants.
Ainsi, Uniper doit construire et exploiter le premier terminal flottant à Wilhemshaven dans le cadre des accords d’affrètement signés entre la compagnie norvégienne Höegh LNG et grecque Dynagas et le gouvernement allemand pour deux FRSU chacun. Il doit y investir 68,5 M$. Le lancement du chantier de construction est imminent.
Pirouette de l’Histoire
Pirouette de l’Histoire. Uniper pourrait peut-être avoir un sursis pour sa centrale à charbon à Rotterdam, objet d’un litige avec le gouvernement néerlandais. Le port abrite actuellement une centrale électrique alimentée au charbon que l’entreprise a mis en service en 2016 mais qui devait être condamnée d'ici le 1er janvier 2030 par la loi néerlandaise sur l'interdiction du charbon. Soit bien avant la fin de sa durée de vie commerciale prévue. L’industriel, qui a toujours affirmé qu'une conversion de l'installation n’était pas réaliste, avait demandé une compensation au gouvernement néerlandais pour la perte de son investissement et intenté une action en justice pour contester la légitimité de la loi. Le charbon recouvre des vertus avec la pénurie de gaz si bien qu’il pourrait ne pas être condamné tout de suite.
En attendant, l’incertitude encadrant la durée et la portée des restrictions de son approvisionnement a contraint la société à retirer ses prévisions de bénéfices pour 2022, refusant de « donner de nouvelles perspectives ». Suite à cette annonce, le titre du groupe sur l'indice Mdax de la Bourse de Francfort a dévissé de près de 15 %, à 14,08 €. Depuis le début de l'année, il a perdu environ 66 % de sa valeur.
Adeline Descamps