Les deux multinationales anglo-australiens, BHP Group et Rio Tinto, semblent convertis à l’usage du GNL. Rio Tinto, qui s’est engagé à réduire de 40 % les émissions liées à ses activités d'ici 2025, intégrera neuf newcastlemax à double alimentation en GNL dans sa flotte affrétée, la première livraison étant prévue pour le premier semestre de l'année prochaine, a déclaré Laure Baratgin, responsable des opérations commerciales chez Rio Tinto, à l’occasion de la conférence et de l'exposition internationales sur le soutage (the Singapore International Bunkering Conference and Exhibition, Sibcon 2022) qui s’est tenu le 7 octobre à Singapour.
BHP recevra d’ici la fin du premier semestre 2023 les trois derniers vraquiers alimentés au GNL d’une série de cinq que le groupe minier a affrétés pour cinq ans auprès du propriétaire de flotte singapourien Eastern Pacific Shipping. Le producteur de quantité de minerais a réceptionné les deux premiers au début de l'année.
Et en février, la tête de série avait reçu son premier avitaillement à Singapour par le souteur FuelLNG Bellina de Shell avec lequel l’anglo-australienne a signé un contrat long terme pour sécuriser ses approvisionnements, a indiqué à Reuters Fergus Eley, en charge du fret maritime chez BHP, en marge du Sibcon. Ce qui devrait mettre le puissant groupe minier à l’abri de la volatilité sans précédent des prix du GNL sur le marché spot, exacerbée depuis les tensions entre l’Ukraine et la Russie. Les prix du gaz ont en effet grimpé en flèche, jusqu’à plus de 2 000 $ la tonne, leur plus haut niveau depuis au moins 2010, l'Europe ayant augmenté ses importations de GNL pour remplacer le gaz russe.
BHP, qui entend réduire de 40 % l'intensité carbone de ses affrètements d’ici à 2030, estime que ses cinq vraquiers propulsés au gaz devraient réduire les émissions de gaz à effet de serre de plus de 30 % par voyage par rapport à un service effectué avec un carburant conventionnel.
Soutage de biocarburants problématiques en Asie
Rio Tinto, qui mène actuellement un essai d’un an avec des biocarburants, et BHP étudient aussi le potentiel de ces carburants dits verts, produits à partir des déchets agricoles, forestiers ou industriels, mais limités en termes de disponibilité de la matière première, la forte demande dans de multiples secteurs de l'économie mondiale pesant sur la dynamique future des prix de l'offre et de la demande.
« Nous avons effectué un ou deux essais au cours des douze derniers mois, et nous travaillons actuellement à un contrat plus important », a indiqué le porte-parole de BHP, qui compte sur les biocarburants pour réduire les émissions de 20 % sur le long-courrier mais reconnaît que le soutage de biocarburants en Asie est un frein. « Nous pouvons contribuer à créer cette demande et c'est ce que nous faisons en concluant des contrats dans le cadre desquels certains de nos navires à destination de l'Europe s'approvisionnent ici à Singapour en biocarburant », ajoute le dirigeant.
TotalEnergies devrait proposer des biocarburants à Singapour d'ici le 1er janvier 2023. C’est du moins ce qu’a annoncé Louise Tricoire, vice-présidente de TotalEnergies Marine Fuels, à l’occasion du Sibcon.
Ils seront produits à partir d’esters méthyliques d'huiles végétales (EMHV), type de biodiesel obtenu par une opération de transestérification avec du méthanol. En septembre, la filiale de TotalEnergies a ainsi ravitaillé le Montoir, un porte-conteneurs de 4 294 EVP de CMA CGM avec un biocarburant composé de VLSFO mélangé à 24 % d’EMVH. Cette opération faisait suite à des essais avec un porte-conteneurs de Cosco, un transporteur de véhicules exploité par MOL et un vraquier affrété par NYK Line cette année.
Record pour le commerce extérieur australien ?
Rio Tinto et BHP, considérés avec Anglo American et le brésilien Vale, comme les plus grands acteurs miniers mondiaux, peuvent compter sur un marché en hausse s’ils se fient aux projections de l'organisme de prévision des matières premières de l’Australie, premier exportateur mondial de minerai de fer, de charbon à coke, de GNL et de lithium, deuxième pour le charbon thermique et troisième pour l'or et les minerais et les dérivés de cuivre.
Dans son dernier rapport trimestriel, publié la semaine dernière, l’agence publique du gouvernement estime que les recettes d'exportation de matières premières vont atteindre le montant record de 450 milliards de dollars australiens (293 Md$) pour l'exercice 2022-23 qui a débuté le 1er juillet. Une estimation revue à la hausse par rapport aux 419 milliards précédemment évoqués pour intégrer les effets de l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le réajustement concerne également l’exercice 2023-24 avec des ressources attendues à 375,5 milliards de dollars australiens, contre 338 milliards dans le rapport précédent.
La prévision d'un nouveau record en 2022 pour le commerce extérieur pour l'année a toutefois été tempérée. « Les risques de baisse sont importants », indiquent les économistes de l’organisme, évoquant l’inflation plus difficile à réduire que prévu, un resserrement des conditions financières mondiales entraînant un surendettement des marchés émergents et des économies en développement, une possible recrudescence des épidémies et les problèmes persistants dans le secteur immobilier chinois.
Profiteur de la crise en Europe
En revanche, ils estiment que l'interruption des livraisons de brut, de gaz et de charbon par la Russie à l’Europe peut ouvrir des opportunités. « Il est probable que toutes les exportations russes de produits de base ne pourront pas être réacheminées vers d'autres acheteurs tels que la Chine et l'Inde, ce qui réduira l'offre mondiale globale et maintiendra les prix élevés. »
Les revenus tirés des expéditions du GNL pourraient ainsi atteindre 90 milliards de dollars australiens en 2022-23, soit une hausse de 29 % par rapport à l'exercice précédent, même si les volumes devraient tomber à 80 Mt, contre 83 millions en 2021-22.
L'autre grand gagnant sur le front de l'énergie est le charbon thermique, utilisé principalement dans les centrales électriques, qui pourraient faire rentrer 62 milliards de dollars australiens dans les comptes publics, soit une hausse de 35 % par rapport à l'exercice précédent. Un « one shot » toutefois car « le marché mondial devrait avoir surmonté les perturbations de la Russie d'ici l'exercice 2023-24 ». Le GNL ne devrait plus alors rapporter que 38 milliards de dollars australiens.
Minerai de fer dépendant de la Chine
Le sort du minerai de fer, première ressource exportée par l'Australie et dont la Chine est friande, dépend de la capacité de Pékin à remettre sur le rail les secteurs à forte intensité d'acier tels que le BTP. Il n’est pas exclu, comme la Chine en a la « tradition », que l’exécutif chinois lance un grand plan de relance massif à dominante infrastructure.
Les autorités australiennes restent néanmoins prudentes et s’attendent à ce que les rentrées tombent à 119 milliards de dollars australiens en 2022-23, contre 134 milliards en 2021-22, même si les volumes devraient passer de 875 à 903 Mt. La baisse du prix prévu, qui devrait passer de 119 $ la tonne à 97 $ en 2022-23, en est la principale cause.
Le charbon à coke, utilisé pour transformer le minerai en acier brut, ne présente pas non plus de perspectives enthousiasmantes. Les recettes d'exportation sont attendues à 58 milliards de dollars australiens en 2022-23, contre 66 milliards l'année précédente, en dépit d’un tonnage légèrement supérieur de 12 Mt pour s’établir à 174 Mt.
Et le lithium, composant clé des batteries ?
Un autre indicateur clef peut être scruté : celui du lithium dont regorge l’Australie et que l’industrie automobile, en cours d’électrification, va consommer avec une avidité croissante pour les batteries. « Les revenus liés aux exportations devraient bondir de 182 % pour atteindre 13,8 milliards de dollars australiens en 2022-23, le prix ayant plus que doublé et les expéditions ayant également augmenté de 15 % pour atteindre 2 609 tonnes », confirme le rapport.
Adeline Descamps