De toute évidence, il n’y a plus deux parties qui s’affrontent – Alexandre Saverys, président de la Compagnie maritime belge (CMB) et John Fredriksen, tycoon du marché pétrolier et actionnaire de Frontline –, mais trois protagonistes, les deux acteurs cités plus haut rejoints par la direction générale de l’armateur belge, incarnée par Hugo de Stoop, soutenue par son conseil d’administration.
Il n’y a plus deux affaires – la lutte d’influence entre les deux principaux actionnaires et la fusion des deux géants du transport de brut que sont Euronav et Frontline – mais plusieurs dossiers à tiroirs, depuis que la direction de l’entreprise belge conteste la décision de son ex-futur rivale norvégienne de résilier unilatéralement l'opération de fusion et a engagé une procédure d'arbitrage d'urgence.
Dans l’impasse
Contre toute attente, au lieu de se retirer, John Fredriksen, qui était l’homme-orchestre de la fusion à grande échelle entre Frontine et Euronav et est aujourd’hui celui qui y met un terme, continue d’acheter des actions d’Euronav. Aujourd’hui, l’homme d’affaires réputé pour ses raids sans affect détient 24,99 % du capital d’Euronav. Suffisamment pour avoir son mot à dire sur le destin de l’entreprise voire pour entraver une opération à l’initiative de la CMB tel le rapprochement envisagé avec CMB Tech, projet porté par Alexandre Saverys. De son côté, ce dernier contrôle aussi 25 % des parts de l’exploitant de navires pétroliers. Assez pour bloquer la fusion avec Frontline dont il ne voulait pas.
Au milieu du gué se trouve la direction générale d’Euronav et son conseil d’administration dont la CMB a demandé la révocation et son remplacement par des membres nommés par CMB, ce que Hugo de Stoop a qualifié de « demande sans précédent de la part d'un actionnaire minoritaire ».
Euronav déboutée
Nouvel épisode. Le patron d’Euronav a échoué dans sa tentative juridique d'empêcher Frontline de sortir de la fusion. L'armateur belge demandait le maintien de l'accord pendant l'examen du bien-fondé de la demande de John Fredriksen de sortir du jeu. En clair, il ne s’agissait pas de déterminer s’il était en droit de mettre fin à la fusion mais quelles clauses de l'accord restaient effectives jusqu'à cette décision finale. Ce sursis n’a pas été accordé. L’arbitrage se fera donc sur le fond.
« Nous continuons de penser que l'action unilatérale de Frontline visant à obtenir la résiliation de l'accord n'a aucun fondement et que l’entreprise n'a pas fourni de justification satisfaisante pour sa demander la résiliation », réaffirme l’entreprise dans un communiqué, qui ne désarme pas pour autant. « Nous sommes en train d'analyser les options de la société ».
« Cette décision confirme que notre décision de résilier l'accord était entièrement légale », indique de son côté Frontline, ajoutant qu’Euronav a été condamnée à payer tous les frais de la procédure, « y compris la compensation intégrale des frais juridiques encourus. »
Prochaine assemblée générale le 23 mars
Quant à la prochaine assemblée générale des actionnaires d'Euronav, convoquée à la demande de la CMB, elle se tiendra le 23 mars, annonce la direction générale, date à laquelle les actionnaires voteront sur la composition du nouveau conseil de surveillance.
Le 4 février, le conseil de surveillance a adressé un courrier à ses actionnaires – la CMB et Famatown Finance Ltd, la société qui gère les participations de John Fredriksen – pour leur demander d'envisager une composition du conseil de surveillance « représentant la structure actuelle de l'actionnariat », soit deux membres chacun. Une proposition déclinée par Alexandre Saverys, qui souhaite remplacer l'intégralité du conseil existant, et restée lettres mortes du côté de John Fredriksen.
Euronav vient de publier ses résultats financiers du dernier trimestre de 2022. L’entreprise a réalisé entre octobre et décembre son meilleur exercice depuis mi-2020, avec un bénéfice net de 234,7 M$ contre une perte de 71,4 M$ au quatrième trimestre 2021. Ces résultats ont été permis grâce à un taux de fret moyen nettement plus rémunérateurs sur le spot, passés en un an de 12 500 à 57 400 $ par jour pour les VLCC et de 11 300 à 57 800 $ pour les suezmax. Des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis 30 mois.
Adeline Descamps