Les exploitants de navire de transport de brut n’en sont pas encore à afficher des profits records à l’image des compagnies pétrolières comme ExxonMobil et ses 55,7 Md$ en 2022 mais ils bénéficient aussi, dans une moindre mesure, certes du rebond des cours du baril et du tarissement de l'offre russe.
Sur le marché des très gros transporteurs de pétrole brut (VLCC), les conditions sont restées difficiles au cours du premier semestre en raison de l'offre excédentaire de navires. Mais à l’été 2022, la demande de navires a augmenté et les conditions du marché se sont rétablies, le secteur aidé par l’augmentation des tonnes-milles associée à des reconfigurations de flux consécutives au conflit entre la Russie et l'Ukraine. Toutefois, le marché est resté volatil au cours des six derniers mois de l’année avec des périodes de yoyo dans la demande épousant les oscillations des prix du pétrole et des produits pétroliers et les travaux d'entretien dans les raffineries.
Changement d’ambiance en un an
Dans ce contexte, Euronav a publié le 2 février un quatrième trimestre 2022 d’un tout autre visage que celui du quatrième trimestre 2021. Son résultat net est passé d’une perte de 72 M$ à un profit de 234,7 M$, l’exercice le plus rentable depuis le milieu de l'année 2020, une période où les pétroliers étaient en plein essor grâce au stockage flottant. Le résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement (Ebitda) s’est élevé à 234,7 M$ contre contre une perte de 71,4 M$ au quatrième trimestre 2021. Le chiffre d’affaires a plus que triplé, passant de 117,4 à 368 M$.
Sur l’ensemble de l’année, l’armateur belge de tankers a considérablement amélioré sa profitabilité puisqu’il a commué sa perte nette de 339 M$ en un bénéfice de 202,9 M$. Ses revenus ont plus que doublé, de 419,8 à 854,7 M$. Enfin son Ebitda a été multiplié par six, à 534,4 M$ contre 85,8 M$.
Ces résultats ont été permis grâce à un taux de fret moyen nettement plus rémunérateurs sur le spot, passés en un an de 12 500 à 57 400 $ par jour pour les VLCC au quatrième trimestre 2022, soit 4,6 fois plus qu'au quatrième trimestre 2021, et de 11 300 à 57 800 $ pour les suezmax, soit 5,1 fois plus. Des niveaux qui n’avaient plus été observés depuis 30 mois.
Le premier trimestre s’annonce dans les mêmes eaux. À ce stade, 50 % de la flotte VLCC a été fixée à 55 000 $/j et la moitié de ses suezmax à 54 000 $ par jour.
Deux catalyseurs
Pour Hugo de Stoop, PDG d’Euronav, les conditions d'offre de navires contraintes dans tous les segments du marché des grands pétroliers ont bénéficié de deux catalyseurs au cours du quatrième trimestre de l’année. « D’une part, la demande saisonnière de brut s'est renforcée, la consommation ayant augmenté au cours de l'hiver. D’autre part, l'embargo de l'UE sur le pétrole russe, entré en vigueur le 5 décembre 2022, a créé une demande supplémentaire car les reconfigurations des flux ont nécessité de parcourir des distances plus longues et de ce fait, mobilisé davantage de navires ».
Le rajeunissement de la flotte a apporté en outre un effet de levier opérationnel au cycle du marché actuellement porteur, ajoute le dirigeant, qui estime avoir acquis des pétroliers récents à bon prix et bien valorisé la cession de vieux navires.
Le transporteur maritime de brut a vendu deux suezmax pour 13 et 15 M$ et pour plus de 30 M$ le superpétrolier Europe (Ultra Large Crude Carrier), parmi les plus grands pétroliers jamais construits avec une capacité de trois millions de barils de pétrole. En 2022, il aura ainsi cédé quatre suezmax et deux VLCC pour un total de 96 M$.
404 M$ d’encours d’investissement
Dans le même temps, la société a commandé deux nouveaux suezmax Eco sous contrat à Daehan Shipbuilding dont la livraison est prévue pour le troisième trimestre de 2024 tandis qu’il attend à la fin de l’année deux sisterships des Cedar et Cypress.
L'encours des dépenses d'investissement pour les huit navires commandés l’an dernier (trois VLCC et cinq suezmax) s’élève à 404 M$ (267 M$ en 2023 et 137 M$ en 2024). Depuis le le début de l’année, deux des trois VLCC nouvellement construits ont été réceptionnés.
L’armateur est confiant dans son marché. Les carnets de commandes au plus bas depuis 25 ans, l’âge de la flotte de la flotte mondiale le plus élevé depuis 20 ans et les nouvelles réglementations « continueront à soutenir les conditions positives du marché des pétroliers pendant plusieurs trimestres ».
Pour autant, les nouvelles réglementations (EEXI, CII) ont eu peu d’effet sur la mise au rebut. Seul quatre VLCC et sept suezmax ont été envoyés à la casse l’an dernier selon Clarksons.
Guerre d’influence entre actionnaires
« La Chine reste la clé, reprend la direction. Les importations chinoises de brut pour 2022 étaient inférieures de 7 % aux niveaux de 2020. Mais le cabinet de conseil en énergie FGE prévoit une reprise de la demande chinoise de pétrole après le nouvel an lunaire (...) Les récents rapports de l'AIE anticipent une consommation mondiale de pétrole record de 101,7 millions de barils par jour cette année, soit une augmentation de 1,9 million de barils par jour. Elle dépassera pour la première fois les niveaux prépandémiques », assure-t-il.
Le retour à la rentabilité au cours du second semestre 2022 permet de verser à ses actionnaires plus de 87 M$ pour l'ensemble de l'année. Les actionnaires en question sont aujourd’hui rétribués en fonction des termes convenus dans l’accord de fusion du 11 juillet 2022 avec Frontline, que ce dernier a dénoncé le 9 janvier 2023.
L’exploitant belge s’active désormais pour suspendre cette résiliation dans le cadre d’une procédure d’arbitrage, dont le jugement est attendu le 7 février. Ce nouveau conflit vient s’ajouter à la guerre que se livrent les deux premiers actionnaires, la Compagnie maritime belge (CMB) contrôlé par la famille d’armateurs belge Saverys et l’homme d’affaires norvégien John Fredriksen, actionnaire de Frontline et d’International Seaways, deux grands acteurs du marché pétrolier.
Dernier fait en date, à l’issue d’une nouvelle acquisition d’actions en circulation, les sociétés gérant les participations de l’homme d’affaires John Fredriksen détiennent 24,99 % du capital d’Euronav. Les deux premiers actionnaires de l’armateur belge de tankers, dont les visions s’opposent radicalement, exercent désormais une influence similaire.
Une demande d’un actionnaire minoritaire inédite selon Euronav
Conformément à la demande de la CMB, une assemblée générale extraordinaire des actionnaires sera convoquée avec, à l’ordre du jour, la démission de l’ensemble des membres du conseil de surveillance actuel et son remplacement par des personnalités proposées par la Compagnie maritime belge.
« Une demande complètement inédite de la part d’un actionnaire minoritaire [sic] », peste la direction. « Compte tenu de l'impact considérable qu'un tel changement peut avoir sur Euronav, ses activités et tous ses actionnaires et parties prenantes, le conseil de surveillance a demandé à CMB de plus amples informations sur sa stratégie et ses intentions ».
Tout en indiquant ne pas vouloir rompre le dialogue – « nous recherchons une discussion constructive avec tous nos actionnaires, y compris CMB » - les membres du conseil de surveillance estiment qu’un « remplacement immédiat et abrupt de l'ensemble du conseil d'administration, sans aucune transition ou planification de la succession, n'est pas conforme aux principes de gouvernance d'entreprise. Nous ne pouvons donc ni soutenir ni recommander une telle idée ».
Adeline Descamps