Entre janvier et juillet, les achats de GNL russe par l'UE ont augmenté de 40 % par rapport aux niveaux d'avant-guerre, soutient la dernière étude publiée par le Global Witness.
Selon l’étude de l’organisation de surveillance environnementale, qui s'est appuyée sur les données fournies par le référent Kpler, l'Union européenne a acheté 21,6 millions de m3 de GNL russe durant les sept premiers mois de l'année. C'est une légère augmentation par rapport à la même période en 2022, où les importations totalisaient 21,3 millions de m3, mais c'est surtout un véritable bond de 39,5 % par rapport à 2021, avant la guerre en mer Noire.
Trois États membres européens figurent parmi les cinq principaux clients du GNL russe au cours des sept premiers mois de l'année. La Chine, premier importateur mondial incontesté de matières premières et d'énergies, reste un client hors catégorie avec 8,7 millions de m3, devant l'Espagne (7,5 millions de m3), la Belgique (7,1 millions de m3), le Japon (7 millions de m3) et la France (4,5 millions de m3).
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Part de marché de 52 %
L'UE a ainsi acheté 52 % de toutes les exportations russes de GNL en sept mois pour une valeur de 5,29 Md$. Cette part était estimée à 49 % en 2022 et à 39 % en 2021.
Eurostat fait aussi de la Russie le deuxième fournisseur de GNL de l'UE au premier trimestre 2023, juste derrière les États-Unis, mais devant le Qatar, l'Algérie, la Norvège et le Nigéria.
Les exportations de gaz par gazoduc vers l'Europe ont, elles, chuté de près de 60 % pour atteindre 62 milliards de m3 en 2022, ce qui a incité Gazprom à réduire sa production d'un cinquième.
Elles devraient encore diminuer cette année, avec seulement 10 milliards de m3 livrés par les gazoducs ukrainiens et Turkstream au cours des cinq premiers mois.
Stratégie russe d'auto-mutilation ?
Moscou s’est auto-mutilée en militarisant ses livraisons de gaz à l'Union (fermeture des vannes du plus grand gazoduc russe vers l'Europe Nord Stream 1), avancent certaines analyses.
Si la Russie a plutôt bien réussi à réacheminer son pétrole vers la Chine et l'Inde au prix cependant d’une décote importante de son brut par rapport au baril de Brent mais qui s’est resserrée depuis, le gaz est plus difficile à réacheminer. Moins substituable et moins fongible que le pétrole.
La plupart des infrastructures d'exportation de gaz exploitées par la Russie ont été conçues pour répondre aux besoins des acheteurs européens.
Faire de la Chine une alternative à l'énorme marché européen nécessiterait la construction de nouveaux gazoducs pour compléter par exemple le gazoduc Power of Siberia, qui transporte depuis 2019 du gaz depuis les champs situés en Iakoutie vers la Chine, ainsi que des investissements massifs dans des usines de liquéfaction et de regazéification.
Les importations chinoises de gaz en provenance de Russie avaient augmenté de plus de 50 % en 2021, atteignant 16,5 milliards de m3, en grande partie grâce au gazoduc, qui sera en mesure de fournir à la Chine 38 milliards de m3 d'ici 2025 grâce à Power of Siberia 2.
Cette extension vise en outre à relier la Chine aux gisements de gaz de la péninsule de Yamal, jusqu’à présent destiné à alimenter en priorité l'Europe. Gazprom a en projet de relier la Chine aux champs pétroliers et gaziers de Sakhaline-1 et Sakhaline-2, dont ont été contraints de se retirer leurs actionnaires occidentales (Shell et ExxonMobil), ouvrant un boulevard aux entreprises énergétiques chinoises pour éponger les capacités rendues disponibles.
Les recettes gazières de la Russie ont chuté de près de 45 % pour 6,8 Md€ au cours des cinq premiers mois de 2023 en glissement annuel, a annoncé le du ministère russe des Finances, relayé par Bloomberg.
Stratégie européenne de sanctions payante ?
La crise énergétique durant l'hiver 2022 a été évitée grâce à un hiver clément, une réduction de la consommation de gaz et une augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance du monde entier. Mais le prix à payer n'a pas été neutre.
Une étude exhaustive reste à faire sur l'impact pour les industries à forte consommation d'énergie, telles que les industries chimiques, les engrais et le papier, dont la production a dû être suspendue ou arrêtée sine die. La perte de compétitivité des entreprises européennes reste à mesurer.
Extrême Volatilité
Le marché européen du gaz naturel s'est comporté de manière volatile au cours de l'été. Une situation entretenue par l'incertitude pesant sur l'approvisionnement en GNL en raison des risques de grèves en Australie sur trois installations, qui représentent environ 10 % de l'offre mondiale de GNL, et des travaux de maintenance prolongés en Norvège, qui ont considérablement réduit les flux de gaz vers l'Europe.
L'Australie n'est pas un fournisseur de GNL pour l'Europe mais toute tension sur l’offre augmente la concurrence entre les pays importateurs et met les prix du gaz sous pression.
La perspective d'un El Niño fort pèse en outre sur les prix du gaz américain. Les dernières prévisions météorologiques ont renforcé la probabilité que l’épisode de ce phénomène, qui se produit tous les six à sept ans, le soit.
Un « El Niño fort » est généralement associé à des températures hivernales plus chaudes que la moyenne aux États-Unis, en particulier dans les États du nord. Les perspectives de consommation et de prix du gaz, de l'électricité et du fioul domestique dépendent donc essentiellement de la force de l'épisode qui se développe actuellement.
Les prévisions expliquent aussi en partie pourquoi les prix du gaz aux États-Unis restent bas malgré l'épuisement récent des stocks de gaz. En clair, les négociants ont commencé à anticiper une baisse de la consommation de gaz pour le chauffage et la production d'électricité cet hiver.
Les prix des méthaniers s'envolent
Selon une dernière actualisation des tarifs d'affrètement spot de la flotte mondiale de méthaniers réalisée par Spark Commodities, la dynamique haussière du transport de GNL se poursuit avec une augmentation de plus de 10 % dans les deux bassins. Fin août, les prix moyens des méthaniers étaient estimés à 122 750 $ par jour dans le bassin pacifique et 114 250 $/j dans l’Atlantique.
Il y a un an, à la même période, l’éventualité d’une pénurie de gaz, suite à la rupture arbitraire d’approvisionnement par Gazprom, avait jeté un froid en Europe. Les craintes des pannes et du rationnement de l'énergie en hiver avaient porté les prix du gaz en Europe à un niveau record de 343 € par mégawattheure. Ils sont dix fois moins aujourd'hui.
Adeline Descamps