Les souscripteurs maritimes sortent de plusieurs années à faibles rendements mais 2021 et en particulier 2022 ont rempli les caisses avec une base mondiale des primes en forte hausse dans tous les secteurs d'activité alors que les demandes d'indemnisation – directement associés à l'activité des navires, à l'accumulation de valeur, à l'impact des catastrophe naturelles et à l'incidence de l'inflation sur les coûts de réparation –, ont moins pesé que les précédentes années.
Le taux de sinistres est en effet revenu à une tendance plus « plate », et même son plus bas niveau depuis 2015, après quelques années d'ajustements extraordinaires à la hausse.
Toutefois, au regard de l'augmentation des pertes importantes observée jusqu'à présent en 2023, il reste à voir dans quelle mesure ce paramètre restera faible durablement.
Désordres géopolitiques
Le secteur a bénéficié l’an dernier de la reprise macroéconomique, bien que vite rincée par les accès de fièvre inflationnistes et l’accumulation des signes de récession.
Réunis à Édimbourg pour leur rendez-vous annuel, les associations nationales d’assurance maritime, fédérées au sein de l'Union internationale d'assurance maritime (IUMI), n’étaient pas d’un franc optimisme.
La fin de la guerre en Ukraine n'est pas en vue. D’autres tensions géopolitiques pointent. Ce monde en effervescence rend les chaînes d'approvisionnement mondiales imprévisibles et sous pression.
Les coûts de l'énergie et de l'inflation, qui font grimper les prix des matériaux, les prestations des chantiers navals et les coûts de main-d'œuvre, continuent de mordre sur la valeur des marchandises transportées et, par conséquent, sur les réparations des navires. Les catastrophes naturelles se multiplient alors que les précédentes ne sont pas encore totalement absorbées. Les perspectives commerciales sont atones, en lien avec la fragmentation géopolitique croissante, pouvait-on entendre.
35,8 Md$ de primes
Tous les secteurs d'activité ont toutefois enregistré une hausse de leur base de primes mondiale en 2022, pour un montant total de 35,8 Md$, soit une augmentation de 8,3 % par rapport à l'année précédente (33 Md$, + 6,4 %).
L’Europe retrouve des couleurs après de nombreuses années de déclin (47,7 % des 35,8 Md$) tandis que le marché ralentit dans la région lAsie/Pacifique (28,4 %), probablement en raison des conditions économiques dans un certain nombre de pays de la région. L’Amérique latine (10,3 %) est plus active que le continent nord-américain (8,5 %).
Le fret, moteur de l'assurance maritime
L’assurance « marchandises » contribue à plus de la moitié du marché en valeur (57,3 %), près du double pour l’assurance « corps des navires » (23,4 %), tous deux distançant l'énergie offshore (11,5 %) et la responsabilité maritime (P&I couvert par les clubs IG exceptés) avec 7,7 %.
« Mais il y a un certain nombre d’éléments clés, économiques, géopolitiques et sectoriels qui se sont manifestés l'année dernière et qui continueront d'exercer une influence en 2023 et au-delà. Il est probable que nous assisterons à une certaine tension entre le maintien de la discipline de souscription et la poursuite de la croissance, ce qui reflète l'exercice d'équilibre auquel doivent se livrer les souscripteurs », tempère Isabelle Therrien, présidente du comité Cargo de l'IUMI.
Accumulation de risques
L'assurance pour le fret a généré des souscriptions pour une valeur de 20,5 Md$ en 2022, (+ 8,3 % par rapport à 2021). « Cependant, les souscripteurs de fret continuent d'être préoccupés par un certain nombre de problématiques, tels que les cargaisons mal déclarées, les incendies de navires, les changements climatiques et les tensions politiques ».
Les primes mondiales liées aux coques des navires ont renchéri de 5,7 % en 2022 pour atteindre 8,4 Md$. La hausse notable des pays nordiques est sans doute en lien avec leur activité de couverture des risques de guerre.
La croissance continue de la flotte mondiale et de sa valeur globale, associé à une capacité de marché réduite, a eu un impact positif sur les souscriptions.
Inflation pesante pour les coûts de réparation
L'écart entre le tonnage brut total/nombre de navires et les primes – qui s'était nettement agrandi entre 2011 et 2018 –, s'est légèrement resserré depuis 2020.
« Les résultats de notre analyse 2022 semblent indiquer une croissance positive. L'inflation a légèrement baissé, mais les taux d'intérêt restent élevés, ce qui peut masquer la sous-performance du secteur de la souscription. Cependant, la confiance des consommateurs se rétablit lentement, ce qui devrait aider le commerce des conteneurs et j'entends dire que le ralentissement en Chine pourrait ne pas être aussi grave que certains le croient », soutient, confiant, Jun Lin. Le président du Comité des faits et chiffres de l'IUMI convient néanmoins que les prix des actifs continuent de croître et les pressions inflationnistes ne feront qu'enchérir la valeur des créances.
Le Fonds monétaire international (FMI) a revu à la baisse, en octobre 2022, ses prévisions de croissance à 2,7 % au niveau mondial. Les pays représentant environ un tiers de l'économie mondiale sont promis à une contraction dès cette année ou l'année prochaine. Les trois plus grands acteurs, les États-Unis, la Chine et la zone euro, continueront à stagner. Autant d’éléments clés qui vont influencer la performance du secteur de l’assurance maritime, calqué sur l'évolution du commerce mondial, bien qu'avec un certain décalage.
Adeline Descamps
Cet article fait partie d'une série sur les nouveaux risques maritimes
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