Les turbulences sur les marchés des énergies engendrées par la guerre entre la Russie et l’Ukraine et l'accélération de la transition énergétique portent la demande de GNL à des niveaux inédits. Clarksons estime le croissance du gaz naturel liquéfié à 5 % cette année, soit 400 Mt, alors qu’il y a désormais 58 pays impliqués dans les échanges de l’énergie.
Selon DNV, 160 navires alimentés au GNL ont été commandés au cours des sept premiers mois de l’année. Ces transactions portent à plus de 500 navires d'ici 2028. C’est près de deux fois la flotte de navires alimentés au GNL en service (313, la plupart en hybride). En outre, 229 autres navires actuellement en flotte sont considérés comme prêts pour le GNL. Les porte-conteneurs représentent la moitié des navires commandés. Faute de carburants alternatifs à l’échelle, le GNL, énergie disponible et accessible, convainc de plus en plus quand bien même il est imparfait pour traiter toutes émissions polluantes visées par les futures réglementations sur le climat.
Lors de la dernière conférence téléphonique sur les résultats financiers, le PDG de ZIM, Éli Glickman, avait annoncé que 28 des 46 navires neufs affrétés par la compagnie seront alimentés au GNL (139 navires, 94,4 % affrétés). Dans ce contexte, le dirigeant cherche à sécuriser ses approvisionnements et a signé dans ce cadre un contrat d'approvisionnement à long terme avec Shell d'une durée de dix ans et dont la valeur est évaluée à plus d’1 Md$. L’accord avec la major britannique concerne l’avitaillement de dix navires de 15 000 EVP qui doivent être livrés en 2023-2024 et qui seront déployés sur le service Container Service Pacific (ZCP), entre l'Asie et la côte est-américaine.
Dépasser le statut d’énergie transitoire
« La part croissante de notre flotte alimentée au GNL permettra à la compagnie d'être plus efficiente sur un plan énergétique et plus efficace sur un plan économique, tout en améliorant notre positionnement concurrentiel, notamment sur le commerce stratégique entre l'Asie et les États-Unis, et en permettant aussi aux clients de réduire leur empreinte carbone », a souligné Éli Glickman, à l’occasion de l’annonce de cet accord.
Outre les dix unités de 15 000 EVP, le carnet de commandes de ZIM comprend également 18 autres porte-conteneurs propulsés au GNL, dont 15 de 7 800 EVP affrétés par Seaspan et trois de 9 728 EVP par Eastern Pacific Shipping (EPS).
Alors que 23 % des émissions totales du transport maritime proviennent du seul segment des conteneurs, le GNL apporte une réponse, estime le dirigeant. « Il permet de réduire d'environ 20 % les émissions de gaz à effet de serre (GES) par rapport aux carburants conventionnels et n'émet pratiquement pas d'oxydes de soufre (SOx) et de particules (PM), tout en réduisant considérablement les émissions d'oxydes d'azote (NOx) », rappelle-t-il.
« La décarbonation de l'industrie du transport maritime doit commencer dès aujourd'hui, et le GNL est un choix de carburant à faible émission actuellement disponible dans des volumes significatifs, et via le biométhane liquéfié et le e-méthane liquéfié, il offre une voie crédible vers des émissions nettes de GES nulles », a ajouté Steve Hill. Le vice-président Marketing de l'énergie chez Shell fait référence aux évolutions technologiques qui pourraient permettre au GNL de dépasser son statut d’énergie transitoire, caractère qui bloque actuellement l’investissement pour de nombreux armateurs.
Pour satisfaire les exigences réglementaires dans les vingt prochaines années, la révolution dans la propulsion – et un renouvellement de flotte – paraissent inévitable. L’attentisme qui prévaut actuellement chez les exploitants de navires est principalement lié à l’absence d’alternatives aussi efficaces, faciles et compétitives que le bon vieux HFO, fuel lourd, dérivé du pétrole. Le GNL présente encore bien des tares (traitement insuffisant du CO2, glissement de méthane).
Shell et TotalEnergies, leaders du GNL
TotalEnergies et Shell sont les deux majors pétrolières les plus impliquées dans le développement du GNL. Le groupe français a largement investi la chaîne de valeur : production et liquéfaction de gaz, transport et trading, regazéification…Avec un portefeuille de participations dans des unités de production sur l’ensemble des marchés mondiaux lui assurant une capacité de production 50 Mt par an à l’horizon 2025, le français se projette en tant que deuxième acteur privé mondial du GNL avec une part de marché mondiale de l’ordre de 10 %.
Pour la distribution du GNL en tant que carburant marin, TotalEnergies exploite actuellement deux souteurs et en attend un troisième. Tous résultent de contrats d’affrètement à long terme avec Mitsui O.S.K. Lines (MOL). Le Gaz Agility (18 600 m3), qui opère depuis Rotterdam, a notamment pour clients les neuf porte-conteneurs de 23 112 EVP de CMA CGM. Son sistership, le Gaz Vitality, est entré en service en janvier pour alimenter à partir de Fos-sur-Mer les 15 000 EVP de l’armateur français déployés sur la ligne Asie-Méditerranée. Une troisième unité de 12 000 m3, basée à Singapour, doit être livrée par le constructeur singapourien Sembcorp.
Shell est un autre grand « faiseur » et revendique 12 souteurs dont cinq en commande. La major britannique est aussi actionnaire de FueLNG, une coentreprise créée avec Keppel offshore & marine. La compagnie exploite actuellement le FueLNG Bellina (7 100 m3) à partir de Singapour et attend un autre avitailleur de 18 000 m3 qui doit entrer en opération en 2023. Le Bellina a notamment pour clients la quinzaine d’aframax affrétés par Shell, le porte-conteneur de Hapag-Lloyd, le Sajir, issu d’une conversion, mais aussi les 13 000 EVP de CMA CGM à compter du deuxième semestre de 2023.
Le nombre de souteurs en service approche la quarantaine (38) et 18 unités supplémentaires font l’objet de négociations avec les chantiers, assure DNV, tandis que Clarksons estime que 147 ports offrent actuellement un service d’avitaillement en GNL.
Adeline Descamps