Pétroliers sous embargo : une véritable odyssée pour dissimuler

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Après avoir invoqué les sanctions de l'Union européenne pour retenir un pétrolier battant pavillon russe, les autorités grecques ont estimé qu'elles n'avaient aucune raison légale de continuer à le détenir. Le Pegas est typique de ces navires à l’historique, à l'identité et à la propriété troubles. Tant et si bien que la détention devient inopérante. 

De pair avec la multiplication des sanctions et des embargos des dernières années ont prospéré des techniques de contournement de plus en plus élaborées, combinant fraudes sophistiquées et astuces-gadgets, pour dissimuler du fret frappé par une interdiction. L’une d’entre elles, plébiscitée par les tankers iraniens, consiste à transférer en pleine mer la marchandise sur un navire enregistré sous un autre pavillon et à couper les systèmes de localisation du navire pour opérer les manœuvres sans être repérés. 

Le système est en réalité plus sophistiqué avec son lot de faux documents pour maquiller les titres de propriété et s’apparente parfois à une longue odyssée avec plusieurs transbordements successifs et quelques invraisemblances : sur un tanker récemment saisi, le pont du navire avait été repeint dans une apparente tentative de déguisement pour soustraire la cargaison à la détection intrusive de l’imagerie satellite.

C’est ainsi qu’en dépit de l’embargo sur le pétrole iranien, la Banque centrale d'Iran a pu annoncer avoir vendu du pétrole pour une valeur de 18,6 Md$ au cours du premier semestre 2021 alors que son or noir est frappé par les sanctions américaines. La pratique est en vigueur depuis la dénonciation en 2018 par Donald Trump, l’ancien président des États-Unis, de l’accord historique de 2015 conclu avec l'Iran, qui visait à empêcher Téhéran de se doter de la bombe atomique en échange de la levée progressive des sanctions économiques. 

Existence d’une armada fantôme 

Encore récemment, les États-Unis ont saisi deux pétroliers soupçonnés de transporter du pétrole iranien en violation de l'embargo américain. Les volumes portaient sur 733 876 barils de brut iranien et revendus à une valeur estimée entre 38 et 45 M$. Des faits qui remontaient à 2020 mais qui ont été récemment révélées. D’après le dossier judiciaire, le pétrole prohibé avait été chargé le 31 octobre 2020 à bord du Stark I depuis un terminal de l'île iranienne de Kharg. Quatre jours plus tard, les barils étaient transférés en mer vers le M/T Arina, battant pavillon panaméen. Pendant le transfert de navire à navire – non sans risques –, les transpondeurs éteints ne permettaient pas de s’étonner du temps d’immobilisation.  

Après plusieurs étapes, l'Arina a transféré en août 2021, au large de Chypre, une partie de cette cargaison, soit 220 793 barils, à bord d'un autre tanker, le M/T Nostos, enregistré au Liberia. Le système est tellement organisé que, selon le lanceur d’alertes américain United Against Nuclear Iran, qui file à la trace les expéditions de brut iranien, il y a une « armada fantôme », composée d’une dizaine de pétroliers dont le seul emploi est la contrebande à grande échelle.    

« Une économie favorable au vendeur et à l’acheteur »

Pour les exploitants de pétroliers, opérant dans un cadre légal, c’est un fléau. « Jusqu'à 54 VLCC et 20 suezmax sont impliqués dans le commerce iranien ainsi que 8 % des VLCC et 5 % des suezmax dans le commerce vénézuélien également sous le coup de sanctions internationales », avait déploré Brian Gallagher, responsable des relations avec les investisseurs chez Euronav, à l’occasion de la présentation de résultats financiers de l’armateur belge l’an dernier.

Selon Gibson, mais aussi les dirigeants de DHT et d'Euronav, le commerce est tellement lucratif qu’il a freiné les envois à la ferraille ces deux dernières années alors que les navires sont exploités depuis de long mois sous le seuil de rentabilité. « Une grande partie de la vieille flotte est aujourd'hui engagée dans des opérations sensibles par nature. Ils sont payés assez grassement pour transporter ce pétrole sous embargo et celui-ci bénéficie d'un rabais, de sorte que l'économie est favorable tant au vendeur qu'à l'acheteur de pétrole », explique Svein Moxnes Harfjeld, PDG de DHT. 

Le Pegas, devenu le Lana, Transmorflot à PSB, avant de revenir à Transmorflot

La dernière affaire en date est une formidable synthèse des deux. Il était identifié sous le nom de Pegas mais s’appelle désormais Lana. Il était la propriété d’une puissante banque russe. Mais cette dernière affirme qu’elle l’a revendu depuis un an. Il a été arrêté et détenu par les autorités grecques en raison des sanctions internationales visant à tordre le bras à la Russie à la suite de son invasion par l’Ukraine. Mais il serait aussi dans le collimateur de l’administration américaine pour commerce illicite de pétrole iranien. Finalement, le Pegas aurait du pétrole iranien à bord et non russe… La confusion est totale. Le navire est typique de ces navires au passif, à l’historique, à l’identité et à la propriété tellement opaques qu’il est difficile de prouver quoi que soit. Si bien que la détention devient inopérante.  

Une histoire presque rocambolesque

Le pétrolier identifié comme le Pegas, navire battant pavillon russe que les autorités grecques avaient arraisonné mi-avril, a ainsi été relaxé, faute de « raison légale » pour le retenir plus longtemps. Outre sa propriété qui pourrait être liée à des intérêts russes, le Pegas fait également partie des cinq navires contre lesquels les États-Unis ont pris des mesures le 22 février en raison d’un commerce illicite de pétrole iranien sous embargo.  

Le pétrolier de 115 500 tpl a été arrêté en Méditerranée avec ses 19 membres d’équipage alors qu’il avait rencontré des problèmes de moteur au sud de la Turquie et avait été remorqué dans une baie au large de l'île grecque d'Evia. 

Le département du Trésor américain soutient que le pétrolier appartient à PSB Leasing, une filiale de la Promsvyazbank – « huitième plus grande institution financière de Russie » –, visées par la première vague de sanctions américaines contre la Russie.

Revendu le 1er mars

Les Pegas et Linda – tous deux soupçonnés d’avoir transporté du brut iranien sous embargo –, les porte-conteneurs Fesco Magadan et Fesco Moneron, ainsi que le roulier Baltic Leader, qui transportait des véhicules à destination de Saint-Pétersbourg quand il a été intercepté fin février à Boulogne-sur-Mer, appartiendraient tous à PSB Leasing.  

Or, la banque russe affirme qu'elle n'est plus propriétaire des navires depuis 2021. Il apparaît, selon la base Equasis, que le Pegas a été revendu le 1er mars 2022 et qu'il était désormais connu sous le nom de Lana. L'ambassade de Russie à Athènes avait d’ailleurs rapidement protesté contre cette détention jugée illégale. 

Errance en Méditerranée

Incroyablement, selon les données du navire, le pétrolier errait manifestement en Méditerranée depuis un certain temps, sans doute en quête d’un acheteur pour son chargement masqué. Selon United Against Nuclear Iran, qui assure que le navire transporte, non pas du brut de l’Oural (en l’occurrence pas sanctionné) mais de l’iranien, le pétrolier aurait chargé ses 700 000 barils de pétrole en août 2021. Lorsque le navire a été saisi, il s’apprêtait à effectuer un transfert de navire à navire, selon des sources officielles, mais aurait été empêché par les conditions météorologiques.  

Son historique est tout aussi erratique si l’on se fie à Equasis. Depuis 2003, date de sa construction, il a changé six fois d’identité, dont les trois dernières en même pas deux ans. Le Montiron est devenu Herm en 2012, puis Texas Star en 2012, Perun en 2020, Pegas en 2021 et depuis le 1er mars, s’appelle Lana. La base de données indique qu'il est passé sous pavillon russe en 2020 et que sa gestion a navigué de Transmorflot à PSB, avant de revenir à Transmorflot. 

33 extinctions de suivi AIS

Récemment, les algorithmes de Windward avaient repéré « un pic significatif d'"activités obscures" impliquant des pétroliers ayant des liens avec la Russie ». La start-up pointe ainsi le fait que les signaux AIS des pétroliers n'ont pas été reçus pendant une période prolongée (plus de trois heures). Des événements de ce type, impliquant des transporteurs de produits russes, ont été relevés à 33 reprises en une semaine fin mars. Soit plus du double que la moyenne enregistrée l'année dernière.

Adeline Descamps

 

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