Patrick Bryon, Naxco : « Yang Ming a une véritable stratégie de développement du marché français »

 

Après avoir été représenté commercialement pendant des années par CLB Liner, une filiale du groupe Naxco, l’armement taïwanais Yang Ming a décidé de s'implanter en propre sur le marché français, au Havre. Il le fait en s'associant avec son ancien agent de ligne.

Agent maritime, présent dans les services portuaires, le transit maritime et aérien, NVOCC avec son propre connaissement UOL (United Ocean Lines), le groupe Naxco dispose de filiales en Europe (France, Belgique, Pays-Bas, Grande-Bretagne), sur le continent africain (Algérie, Maroc, Égypte) et en Asie (Thaïlande). En 2020, il a réalisé un chiffre d’affaires de 126 M€ avec 340 salariés.

Depuis sa reprise en LBO en janvier 2019 avec les dirigeants de quelques-unes des filiales du groupe – Sven de Meester (De Keyser Thornton) à Anvers, Leo Poot (Slavenburg & Huyser) à Rotterdam, et Karim Sikias (Agena Tramp), dirigeant des filiales françaises et de l’activité services portuaires – Patrick Bryon fait de la croissance organique les moteurs du développement.

Dans les prochaines années, le dirigeant, qui n’est pas un inconnu au sein de l’entreprise (il en avait été directeur financier puis directeur général entre 1998 et 2011), entend développer l’activité de commissionnaire de transport maritime et aérien, intégrer un service route axé sur les pays de l’Est de l’Europe et étendre la couverture géographique du groupe dans ses métiers en Europe et en particulier l’Espagne et l’Allemagne. Entretien.

 

Vous venez d’annoncer la création d’une joint-venture avec l’armateur taïwanais Yang Ming, dont votre filiale CLB Liner était l’agent maritime depuis plusieurs décennies. C’est une stratégie défensive car vous risquiez de perdre le client ?   

Patrick Bryon : Yang Ming est implanté en propre dans les principaux ports en Europe, et d’ailleurs parfois en joint-venture. Le marché français était inscrit dans ses plans de développement. La compagnie y propose plusieurs services hebdomadaires escalant au Havre et à Fos-sur-Mer, avec l’Asie et l’Amérique du Nord. Grâce à ses hubs régionaux de transbordement, il peut offrir aux clients français de multiples destinations. Aujourd’hui, nous sommes sur un trafic de 40 000 EVP par an. À ce niveau, il est naturel que l’armateur se pose la question.

La représentation par une agence maritime est confortable pour le transporteur car la formule est souple. Il s’affranchit de la gestion des fonctions support et de charges à payer. Mais si le business est au rendez-vous, les commissions commencent à être importantes. C’est son cas aujourd’hui. Il a donc plus d’intérêt à disposer de son propre bureau, lui assurant une totale maîtrise de sa stratégie commerciale et de son marketing.  

La formule pour laquelle nous avons opté est gagnante car dans le package, en plus de la commercialisation du fret, nous lui procurons tous les services back office. Et Naxco continue d’assurer la consignation tout en étant intéressé au capital. 

L’entreprise est basée au Havre. Elle est dirigée par Steven Ka, ancien directeur général de Yang Ming en Australie, et reprend le personnel qui lui était dédié au Havre et à Marseille.  

Vous avez plus à perdre et il a sans doute tout à gagner en effet… 

Patrick Bryon : C’est la frustration de l’agent maritime mais c’est inhérent au métier. Vous pouvez tout perdre, d’un jour à l’autre, dès lors que l’armateur que vous représentez atteint une taille critique. Naxco a été historiquement apporteur d’affaires pour de très belles marques qui ont disparu, se sont concentrées ou installées en propre (MISC). Vous noterez que les compagnies que nous représentons encore sont des armements d’État, probablement parce qu’ils sont moins enclins à être entrepreneurs.  

Nous sommes par exemple aujourd’hui l’agent de Shipping Corp. of India en Belgique et en France. Or, nous savons que la privatisation des actifs maritimes figure dans les intentions du gouvernement indien. Nous sommes donc avisés. L’agence maritime n’offre plus beaucoup de potentialités de développement même si en France cette activité a été plutôt préservée car il y au moins deux ports d’importance, ce qui demande plus d’investissement encore de la part d’un armateur. Néanmoins, nous restons présents sur ce métier, qui représente encore la moitié de notre chiffre d’affaires [126 M€ en 2020, NDLR] à l’échelle du groupe. Nous ciblons des armateurs de taille moyenne qui opèrent plutôt sur des niches, tels WEC Lines en France, AAL en Belgique avec lequel nous avons démarré une nouvelle ligne en conventionnel au premier trimestre 2020 sur le Moyen-Orient et le sous-continent indien. 

AAL Shipping lance un service conventionnel

Il se dit souvent que la consolidation dans la ligne régulière n’est pas aboutie. Yang Ming est souvent cité comme celui qui pourrait se faire avaler.  

P.B. : Yang Ming est un armateur de taille moyenne avec 89 navires, une capacité d’un peu plus de 622 000 EVP, soit 2,6 % de parts de marché mondial. Il sort de la pandémie avec de confortables résultats. Et contrairement à d’autres, il n’a pas baissé ses capacités donc il a pleinement tirer profit de l’explosion des taux de fret. Les volumes se sont bien tenus en 2020. Et pour notre part, nous avons encaissé de très belles commissions.  

Malgré tout, vous avez des objectifs commerciaux. Quelles sont les ambitions de Yang Ming à cet égard ?  

P.B. : Ils ont une véritable stratégie de développement du marché français. Ils sont entre 2 à 3 % de parts du marché. L’idée est de porter son ancrage entre 5 et 10 %. Aujourd’hui, il gagne de l’argent. Dans le passé, il en a perdu beaucoup. Yang Ming a aujourd’hui les moyens que le gouvernement lui donne.

Naxco est un groupe diversifié à la fois sectoriellement et géographiquement. La commission de transport maritime et aérien, activité sur laquelle nous allons monter en puissance, représente 35 % de notre chiffre d’affaires et les services portuaires, 15 %.  

Comment l’entreprise a-t-elle passé à gué 2020 ?  

P.B. : Nous avons perdu notre temps dans le sens où la rentabilité n’est pas à la hauteur des objectifs que nous nous étions fixés avant la pandémie. Nous avons cependant soldé l’exercice sur un résultat positif avec un cash-flow assez intéressant. Et nous avons maintenu l’emploi, les services et nos clients. Nous avons en outre pris du retard dans la réalisation de notre stratégie même si nous avons pu réaliser quelques opérations de croissance organique, qui est le levier de notre développement.  

Dans nos projections à cinq ans, le freight forwarding doit être un véritable relais de croissance. Cette activité est plus ou moins développée selon nos implantations et nos acquisitions. Elle a atteint un niveau de développement satisfaisant à Rotterdam et à Anvers. Elle ne l’est pas en France, en Espagne et Allemagne alors que ces pays offrent des potentiels intéressants. Nous avons ouvert au 1er janvier au Havre en reprenant la société de transit SCTIL basée à Roissy.

Je reste à l’affût d’une acquisition de taille moyenne, à l’échelle de la taille de notre groupe, idéalement une société de 45-50 personnes avec plusieurs implantations dans les principaux ports et/ou aéroports du pays. Mais les vendeurs sont rares. Les entreprises ne sont pas dans une posture financière favorable pour être intéressées par une cession. Et nous ne sommes pas les seuls acheteurs dans ce secteur encore très morcelé.  

Vous avez des convictions sur une possible reconfiguration du sourcing, qui a été un des grands sujets de l’année 2020 ?

P.B. : Bien avant la crise sanitaire, dans notre logique de développement de l’activité de commissionnaire de transport, nous avions projeté de l’étendre à un service route axé sur les pays de l’Est de l’Europe. Car je crois à une relocalisation industrielle partielle dans ces pays sur le modèle de ce qu’a entrepris le secteur automobile, qui a toujours un temps d’avance. La crise sanitaire a renforcé cette vision. Une limite toutefois, celle du temps. Il faudra plus d’une décennie pour réimplanter, sur certains segments, un outil industriel en Europe. La Roumanie et la Pologne ont des cartes à jouer de ce point de vue. Notre défi sera d’être en mesure d’avoir l’offre disponible si cette révolution s’opère.

Je suppose que votre activité de services portuaires, orientée en partie vers la croisière, a été mise à mal par la crise sanitaire ? 

P.B. : Oui mais nous restons convaincus que les services aux escales de navires demeurent un vecteur de développement très intéressant. Nous avons particulièrement développé cette activité pour la croisière et la plaisance, segments gourmands en services et pour lesquels nous avons le plus de compétences. Ce marché a enregistré une croissance annuelle de 5 à 6 % cette dernière décennie.

Nous sommes leader sur le marché thaïlandais en termes de consignation de navires [200 unités par an, NDLR] et avant la crise, notre filiale traitait 70 % des escales de paquebots. Nous étions en négociation très avancée pour acquérir une société monégasque, leader français de la croisière et bien implantée sur le pourtour méditerranéen avec plus de 60 % du marché des escales de navires. Cette acquisition n’a pas abouti mais je reste intéressé.

Dans les autres services portuaires, nous avons des concurrents redoutables [Kuhn, Sea Invest, NDLR] qui ont investi dans la manutention, les entrepôts, ce qui peut nous marginaliser, car ils ont une offre globale. Pour autant, ce ne sont pas des orientations qui nous intéressent. Notre ADN, c’est le service. Nous n’avons pas de mètres carrés à commercialiser ni de terminaux à rentabiliser. Nous n’avons rien à vendre si ce n’est la solution logistique à l’endroit voulu par le client et selon ses besoins. 

Propos recueillis par Adeline Descamps

Volumes traités par Naxco 

    Conteneurs maritimes : 158 000 EVP 

    Conventionnel et projets industriels : 1 650 000 t 

    Fret aérien : 2 500 t 

    Consignation de navires : 3 100 escales

 

 

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