En plein chaos budgétaire, politique et institutionnel, au lendemain du déclenchement du 49.3 pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale et dans un contexte où le gouvernement Barnier est menacé par deux motions de censure, la CGT Ports et Docks annonce le retour des mouvements sociaux. Avec toujours au cœur de leurs revendications, les conditions d’application de la réforme des retraites promulguée le 14 avril 2023. Plus précisément, la promesse qui leur avait été faite, soutiennent-ils, « à plusieurs reprises » par le président Emmanuel Macron et le ministre des Transports d’alors Clément Beaune, que la réforme ne concernerait pas les ouvriers dockers et travailleurs portuaires. Grâce à un accord de branche, les dockers pouvaient, avant la réforme de 2023, valider leur carrière complète en partant quatre ans avant l'âge légal, à 58 ans donc. Or, la nouvelle loi les oblige à faire deux ans de plus (soit 60 ans).
Ils souhaitent négocier ce relèvement de l'âge de départ. Le syndicat attend par ailleurs une prise compte de la pénibilité de leurs conditions de travail sous la forme « d’une cinquième année » afin d'obtenir les conditions d’une meilleure retraite anticipée, estimant qu'ils sont soumis aux horaires décalés et aux astreintes. Ils demandent aussi une reconnaissance « des dates amiante », à laquelle ils sont exposés, jusqu’en 2027.
Ils en avaient reçu l’« assurance » mais dont ils doutent manifestement puisque le sujet motive les deux jours de grève prévus les 9 et 10 décembre et les dix autres journées durant le mois de janvier au cours desquels ils observeront à chaque fois quatre heures d’arrêt de travail dans une plage horaire de 10 à 16 h. Soit quasiment un débrayage tous les deux jours. La CGT prévoit par ailleurs de ne pas respecter les heures supplémentaires et les shifts exceptionnels à partir du 1er janvier.
En quête de réponses concrètes
« Après de multiples réunions fructueuses de négociations infructueuses et de remaniements gouvernementaux, la fédération dit STOP à cette mascarade », indique le communiqué de CGT ports et docks. « Nous voulons des réponses concrètes à nos légitimes revendications sur l'amiante, la pénibilité ».
Mais leurs revendications débordent largement du seul cadre de l'application de la réforme. Ils attendent également du gouvernement un niveau d'investissement massif (10 Md€) dans les infrastructures portuaires. Des revendications non sans lien avec les inquiétudes découlant des mutations en cours (transition énergétique) dans les ports. Les dockers et les personnels de la manutention portuaire du Golfe de Fos sont particulièrement proactifs sur ce point, ayant ramassé un ensemble de propositions dites constructives dans un document intitulé, avec esprit, « Après Marseille en grand, le Port de Fos en grand ». Une paraphrase du « plan Marseille en grand », vaste programme de 15 Md€ d'investissements publics lancé par Emmanuel Macron en 2021 et censé transformer la ville de Marseille. Ils réitèrent aujourd’hui cette demande sans craindre le sourire ou le soupir dans un pays qui doit trouver 60 Md€ pour renflouer les caisses.
Une année jalonnée de « radio quai »
Les mêmes revendications sont portées sur la place publique depuis la fin novembre 2023 tandis que l’année 2024 aura été une année émaillée de plusieurs braseros, en février, en avril, en mai, en juin, assortis d’opérations « Ports morts », certains tenant plus du registre des menaces, levées avant terme.
Le mois de février avait été particulièrement chargé, et ce, dès les premiers jours. Les terminaux portuaires français s’étaient arrêtés 24 heures le 7 février, point paroxystique entre deux journées, les 5 et 9 février, durant lesquels les dockers avaient levé durant quatre heures. Le mouvement avait été suivi dans les grands ports maritimes de Marseille, du Havre et de Rouen mais aussi dans de plus petits, comme à Lorient (tous les dockers à l’arrêt, grutiers et mécaniciens principalement) ou à Brest (une centaine d’ouvriers concernés).
Puis à la fin du mois, par « souci d'apaisement », le syndicat avait suspendu son mouvement social dans les ports, prévu initialement sur trois jours les 16, 22 et 27 février. Les usagers du port auront alors été épargnés par la journée du 22 février et l'opération « ports morts », qui était programmée le 27 février.
Les dockers avaient levé les piquets de grève, ayant obtenu du ministre des Transports Patrice Vergriete, à peine nommé à la suite du remaniement ministériel, l'entame de négociations sur leurs revendications sociales et leurs demandes d’investissement. Les ouvriers portuaires estimaient alors que l'entame des discussions allait nécessairement (« impérativement », dans leur langage) répondre « aux attentes légitimes » de la profession. En cas d'échec, la fédération se disait toutefois « prête à repartir au combat et à en élever le niveau dès le mois d'avril ».
Hyperactivité syndicale en mai et juillet
Fin mars-début avril, les terminaux vraquiers, ro-ro et conteneurs du port de Nantes avaient été bloqués en anticipation de l’opération « Ports morts » prévue le 8 avril.
Une nouvelle vague, entamée sans grand bruit le 21 mai et observée le 23 mai, a ensuite trouvé un prolongement les 27, 29 et 31 mai. Point d’orgue de la ténacité sur les quais, en juin, pas moins de 10 jours de perturbations étaient prévus les 4, 6, 10, 12, 14, 18, 20, 24, 26 et 28 juin. Un tunnel d'arrêts de travail. Parallèlement, quatre jours de grèves de 24 heures, prévus les 7, 13, 21 et 25 juin, devaient trouver leur acmé avec une opération commando « ports morts » le 7 juin.
Le 12 juin, face à l’impossibilité négocier au plus haut sommet de l’État en raison d’une dissolution incongrue aux résultats déroutants qui ont plongé le pays dans une crise démocratique, la CGT avait été contrainte de ranger ses banderoles, promettant de les ressortir en septembre.
Les professionnels en colère
Agacées et lassées par ces mouvements à répétions, non sans conséquences financières (frais de détention, de surestaries et de stationnement des marchandises, frais d’annulation de rendez-vous sur les terminaux portuaires, etcL) et opérationnels sur le fonctionnement de la chaîne logistique et des flux de marchandises, les organisations professionnelles – Union TLF, OTRE, FNTR… –, représentant les métiers du transport et de la logistique, ont fini par appeler une réaction énergique des pouvoirs publics. Notamment sous la forme des « mesures structurelles » au travers d’un « plan d’urgence concerté » à actionner en cas de mouvements sociaux. Le mot « réquisition » n’était pas prononcée mais l'organisation demandait formellement à l’État d’assurer la libre circulation des marchandises et des personnes sur les domaines portuaires, comme le droit européen l’y assigne.
Au-delà, les professionnels redoutent surtout une nouvelle dégradation de la compétitivité des ports français, dans un contexte de concurrence portuaire acharnée, et une fuite des flux logistiques au profit de leurs grands concurrents européens comme Anvers, Gênes Rotterdam ou Barcelone. « Ce nouvel épisode de grèves désorganise l’ensemble de la chaîne logistique française, avec un risque accru de détournement des flux de marchandises au détriment de nos ports, outils essentiels à la balance commerciale de la France », s’emportait en juin Joël Glusman, Président de TLF Overseas.
Comme pour les précédentes vagues, il n’est pas certain à ce stade qu’ils soient tous maintenus ni observés avec la même force dans tous les ports.
En revanche, il est certain qu’il intervient dans une ambiance de fin de règne sans interlocuteur avec qui négocier. Comme en juin…
Adeline Descamps
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