La victoire éclatante et le triomphe large, Donald Trump va à nouveau occuper l'aile ouest de la Maison Blanche pendant quatre ans à compter de janvier 2025. Avec tous les leviers du pouvoir institutionnel. L’imprévisibilité de l’ex-président américain (2017-2021) est proverbiale. Ses propos à l’emporte-pièce et ses décisions à l’instinct également. Mais s’il est un sujet pour lequel il faut accorder du crédit à ses dires et considérer ses intentions comme une réalité hautement probable est bien celui du protectionnisme.
« To me, the most beautiful word in the dictionary is "tariff" ». « Pour moi, le droit de douane est le plus beau mot du dictionnaire ». Il y a moins d'un mois, le Républicain en campagne a tenus livré les soubassements de sa pensée commerciale devant un parterre de 600 chefs d'entreprise réunis à l'Economic Club de Chicago. C’est en renforçant les droits de douane sur les importations vers les États-Unis – de 10 à 20 % sur les produits européens et de 60 à 100 % sur les marchandises en provenance de Chine –, et en durcissant les échanges commerciaux (ce qui accessoirement peut dynamiter le multilatéralisme de l’OMC), qu’il compte financer les baisses d’impôts promises aux ménages et aux entreprises américaines. Par ailleurs, contrairement à nombre d'économistes qui considèrent que le protectionnisme est plutôt inflationniste, l’ex-futur président pense au contraire que les fluctuations de prix nécessaires vont être supportés par les exportateurs étrangers qui n’auront d’autres choix que de baisser les prix pour rendre leurs produits accessibles. Or, « quand on protège ses importations, cela revient à taxer ses exportations », a encore rappelé Pierre Jacquet, membre du Cercle des économistes et professeur d'économie internationale à l’École des Ponts, interrogé par France Info. « D’une part, les produits importés pour la production vont coûter plus cher et cela pénalise les ventes. Par ailleurs, le fait de protéger un secteur attire des ressources vers ce dernier, en fait monter les prix, qui deviennent ainsi plus chères pour d’autres domaines ».
Dans une étude publiée avant les élections américaines, la National Retail Federation, le puissant lobby des grands détaillants américains (Home Depot, Walmart, Cotsco…), a estimé à 78 Md$ par an les surcoûts pour les consommateurs américains dans six catégories de biens de consommation.
Par ailleurs, si les droits de douane ont la capacité de restructurer les routes commerciales, ils peuvent aussi donner lieu à des tactiques de contournement. Le risque de siphonnage est grand pour certaines industries fortement exportatrices (pharmaceutique, aéronautique, automobile, etc.) outre-Atlantique. Il peut être tentant d’y localiser sa production pour échapper aux surcoûts tout en bénéficiant des bienfaits de l’IRA (loi sur la réduction de l'inflation et ses généreux subsides) si tant est que le nouvel élu ne la réécrive.
Les actions des transporteurs maritimes en effilochage
Depuis le 6 novembre, les marchés, les cours du pétrole et des matières premières, sont sens dessus dessous. réagissant aux temps mouvants dans l’affolement et une très grande volatilité. Depuis, les boussoles des européennes s'affolent. Les Dow Jones, Nasdaq et autres S&P 500 font le grand écart entre l'euphorie et la digestion des implications. En Chine, où les mesures de relance annoncées récemment par Pékin n'ont pas convaincu, les marchés de Shanghai et de Shenzhen continuent de dévisser.
Dans le transport maritime, les actions des armateurs de porte-conteneurs, les plus concernés par les taxes à l’importation, ont déboité
Le numéro quatre mondial du secteur, Cosco, a perdu près de 5 % de sa valeur en 5 jours à Shanghai, interrompant les gains réalisés depuis le 1er novembre grâce à la stabilisation des taux de fret. Sa filiale cotée à Hong Kong, OOCL, a concédé plus de 5 %. HMM, en bourse à Séoul, a dévissé de 8,56 %. La Taïwanaise Wan Hai, sur le marché de Taipei, est en repli de 3,59 % alors que les deux autres compagnies du pays s’affichent en stabilité. Au Japon, les titres des trois principaux transporteurs japonais, NYL, MOL et K-Line, aux activités plus diversifiées, ont réagi diversement ces cinq derniers jours : - 3,77 % pour la première, + 9 % pour la seconde et – 0,14 % pour la dernière.
2025, une année chaude pour le conteneur ?
La date d’entrée en application des droits de douane sur les exportations américaines n’est pas connue mais « une nouvelle flambée des taux de fret dans le conteneur avant l’entrée en vigueur des barrières douanières » est actuellement la théorie la plus partagée. Elle se base sur ce qui avait été observé durant la première présidence de Trump lorsque les droits de douane entrés en vigueur en 2018 sur les importations chinoises ne s'élevaient « qu’à » 25 %. Selon les données de Xeneta, les taux de fret dans le conteneur avaient alors grimpé de 70 % avant d’entraîner les volumes et les tarifs vers les fonds en 2019 en raison de la surabondance des stocks. Les mesures de rétorsion ont à leur tour affecté les flux de vrac sec et liquides, GPL et GNL notamment.
« Lorsque les droits de douane obligent à éviter les itinéraires directs, par exemple en redirigeant les marchandises de la Chine vers le Mexique avant d'atteindre les États-Unis, les arrêts supplémentaires pour atteindre la même destination allongent la distance parcourue, étirent le transit-time, augmentent la consommation de carburants, et ce faisant tirent la demande de conteneurs et de capacités », décrypte Christian Roeloffs, cofondateur et PDG de Container xChange, une place de marché mondiale en ligne pour le commerce et le leasing de conteneurs. Une des rares voix à voir des éléments positifs dans une présidence Trump, du moins pour son marché : le négoce de conteneurs qui avait déjà connu de riches heures durant la pandémie.
Le rebond des quinze derniers jours en question
Le rebond soudain des taux de fret fin octobre questionne. L’indice de référence, le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), vient d’endosser deux semaines consécutives de sursaut, après 11 semaines de chute, avec notamment des gains importants sur les échanges entre Asie et Europe (+ 14 % durant la dernière semaine d’octobre). Le WCI de Drewry, qui reflète les taux payés par les transitaires aux transporteurs, a également rebondi début novembre, de 8 % sur le trade Asie-Europe du Nord et de 11 % vers la Méditerranée dans la première semaine et de 7 % dans la seconde, à 3 444 $ par conteneur de 40 pieds (+ 21 % depuis Shanghai vers la Méditerranée et de 16 % vers l’Europe du Nord).
Les raisons restent à expliciter : pour les uns, il est lié aux augmentations générales des tarifs [GRI] annoncés par les transporteurs « qui tentent désespérément de faire monter les taux de fret spot afin de renforcer leur position dans la perspective des négociations avec les chargeurs européens pour de nouveaux contrats à long terme », assure Peter Sand, analyste en chef de Xeneta. Les tractations sur les contrats à long terme entre Asie et Europe, qui entreront en vigueur en janvier, sont en cours. Un marché spot élevé pourrait renforcer le rapport de force de la compagnie s’il exerce une pression à la hausse sur le taux contractuel.
Or, l’écart actuel entre les deux niveaux de rémunération est faible, résultant à la fois de la chute du comptant de ces dernières semaines tandis que les taux à long terme ont eu tendance à se renforcer. Ils ont par exemple doublé sur le marché transpacifique depuis la fin du premier semestre. Cela ne sera pas neutre pour les importateurs américains qui concluent leurs appels d’offres durant le premier trimestre 2025.
Arriéré de conteneurs ?
Pour d’autres, les soubresauts dans les tarifs seraient provoqués par l’important arriéré de conteneurs dans les ports créé par la grève d’à peine trois jours début octobre dans les ports est-américains. Ces derniers s’appuient sur la thèse du consultant Sea-Intelligence pour lequel il faut deux ou trois semaines pour résorber un retard de trois jours.
« La grève est probablement la raison principale de l'augmentation des taux spot dans l'Atlantique observée dans la seconde moitié du mois d'octobre. Le même effet s'est ensuite propagé à l'Amérique du Sud et devrait concerner l'Asie vers la mi-novembre », abonde Lars Jensen de Vespucci Maritime. Pour le fondateur du cabinet d’analyse, ex-cadre dirigeant chez Maersk, le maintien à un niveau élevé des taux de fret peut aussi être entretenu par le fait que la grève est juste suspendue jusqu’à l’échéance du 15 janvier.
« La seule chose connue à ce jour est que les parties ont convenu de reprendre les négociations en novembre. Actuellement, il n'y a qu'un accord provisoire concernant les salaires, mais rien concernant la forte demande du syndicat de ne pas permettre l'automatisation dans les ports. En l'absence d'un nouvel accord, une nouvelle grève sera déclenchée à partir du 15 janvier », rappelle-t-il.
Or, le Nouvel an chinois 2025 tombe cette année le 29 janvier. Un autre effet d’anticipation n’est pas à exclure, suggère-t-il. En se fiant à ce raisonnement, les importateurs américains sont susceptibles de réserver partiellement leur cargaison en ce moment et de mettre ainsi les taux spot sous pression vers la côte Est des États-Unis. « En outre, la déviation par l'Afrique, en raison de la situation sécuritaire en mer Rouge, signifie que le pic habituel de l'Asie vers l'Europe et la côte Est-américaine commencera au moins deux semaines plus tôt que d'habitude, ce qui nous porte à décembre », déroule le spécialiste, anticipant une chute brutale, « quoique temporaire », des taux au comptant après le Nouvel An chinois. « C’est à ce moment-là que les nouvelles alliances mettront progressivement en place leurs nouveaux réseaux. Pendant quelques mois, il y aura du flottement et les transporteurs auront du mal à gérer correctement les suppressions et annulations de services ».
Hausse des stocks
La hausse des stocks dans la vente au détail, notifiée fin octobre par le Bureau du recensement américain, vient contrebalancer les thèses dominantes. Par rapport à août, les stocks seraient supérieurs d'environ 26 Md$. Le récent pic des stocks, enregistré entre juillet et août, est par ailleurs le plus important depuis la crise financière, « ce qui indique que les détaillants ne se contentent pas d'augmenter leurs stocks, mais qu'ils le font désormais bien au-delà des normes historiques », indique par ailleurs Alan Murphy, du cabinet Sea Intelligence. Selon lui, « le début précoce de la haute saison » serait lié au fait que les détaillants « achètent les produits plus tôt qu'ils ne les vendent », ce qui correspond en effet à l'évolution des taux spot sur le transpacifique observé depuis le pic de la mi-juillet.
Principal soutien tarifaire actuel ?
Les déroutements de la mer Rouge restent, quoi qu’il en soit, le principal soutien tarifaire aux échanges mondiaux, près d'un an après le début des attaques houthies. La forte volatilité des taux de fret aura finalement été une constante ces cinq dernières années. « Le transport maritime de conteneurs s'apparente à un cycle incessant de perturbations, de retards et de volatilité des taux de fret », convient le responsable danois.
« Les taux de fret moyens [y compris les taux contractuels et spot, NDLR] sur les principales routes Est-Ouest ont diminué d'environ 60 % en 2023 et devraient avoir augmenté d'environ 20 % en 2024 par rapport à l'année précédente, indique de son côté le Britannique Drewry. Même pour les taux contractuels, qui étaient beaucoup plus stables que les taux spot, nous avons constaté des fluctuations de prix importantes depuis le début de 2021, avec des écarts types des taux contractuels moyens multipliés par plus de 10 ».
Cette année, les taux sur le marché spot ont atteint leur pic en juillet et ont connu trois mois de baisse rapide, avant de repartir à la hausse à la fin du mois d'octobre.
Adeline Descamps
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