Les deux semaines de négociations, qui ont encadré la 79e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC, du 12 au 16 décembre) de l’Organisation maritime internationale se sont achevées. La treizième réunion du groupe de travail intersessions sur les gaz à effet de serre (ISWG-GHG 13) et la séance plenière du MEPC79 n’ont abouti à aucun résultat probant quant à une révision des ambitions au niveau de la décarbonation du transport maritime.
Ce point était le centre d’intérêt majeur. L’ordre du jour était dense mais pour les autres sujets – parmi lesquels la création d’une zone d’émissions contrôlées des oxydes de soufre et de particules pour la Méditerranée – il s’agissait davantage d’enregistrer des points déjà débattus voire validés dans les précédentes sessions. Pour la zone Seca en Méditerranée, les amendements entreront en vigueur le 1er mai 2024 et les exigences prendront effet le 1er mai 2025. Il s'agira de la cinquième zone désignée dans le monde après la mer Baltique, la mer du Nord, la zone nord-américaine (au large des États-Unis et du Canada) et la mer des Caraïbes (autour de Porto Rico et des îles Vierges américaines).
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Une mention sémantique qui fait débat
Si un nombre croissant de pays se sont ralliés à l’idée d’objectifs plus stricts de réduction des gaz à effet de serre, aucune décision concrète n'a été prise sur la manière de les atteindre ni sur les nouveaux niveaux d’exigences. La seule avancée obtenue réside dans la mention, inscrite dans le rapport final du MEPC, d’un « niveau d'ambition renforcé ». Mais la fixation de nouveaux objectifs en matière de changement climatique reste un sujet clivant parmi les 175 membres de l'agence des Nations unies, et notamment entre les délégués des pays en développement et les pays développés, dont témoigne le débat nourri autour de la terminologie de « objectif renforcé ».
Le représentant de la délégation de la Chine a notamment demandé que des éléments autres que les seuls objectifs de réduction soit mentionné. Il a été soutenu par les délégués de l’Argentine et du Brésil. Le Canada, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont au contraire fermement défendu la référence à des « niveaux renforcés ».
Finalement, un compromis sémantique a été trouvé : il est désormais question de « tous les éléments d’une stratégie révisée », et pas seulement des « ambitions renforcées ».
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Pas d’objectifs intermédiaires
Lors de la réunion du groupe de travail intersessions (moins médiatisé alors que c’est bien dans cet espace que se négocie le futur paysage réglementaire), une dynamique s’était créée pour réclamer un niveau d'ambition plus élevé afin de s’aligner sur les objectifs fixés par l'Accord de Paris (maintenir l'augmentation de la température moyenne de la planète bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, et de préférence de limiter l'augmentation à 1,5 °C). Mais sans que les délégués ne se mettent d'accord sur des objectifs intermédiaires pour 2030 et 2040, ou sur un niveau d'émissions nulles ou nettes nulles d'ici 2050.
Non contraignante, la stratégie de décarbonation du transport maritime, telle qu’elle a été approuvée en 2018, prévoit de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2050. Une ambition jugée bien trop faible par les délégations les plus proactives sur le climat et largement insuffisante au regard de la science (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies, GIEC). Les pays du Pacifique, les Îles Marshall et Salomon sont à l’origine de cette demande.
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Un rapport de force favorable
In fine, une trentaine de pays souhaiteraient désormais des émissions nulles d'ici 2050 tandis que quatre autres sont favorables à un niveau net zéro. En revanche, l'Argentine, la Chine, la Russie, l'Inde, l'Indonésie, l'Arabie saoudite, la Turquie, l'Afrique du Sud et le Brésil s’opposent toujours à la réévaluation des exigences.
Un projet de texte (de la stratégie révisée) devrait cependant servir de base aux discussions pour le prochain cycle d'élaboration des politiques (deux réunions techniques qui se tiendront du 20 au 24 mars et en juillet) en amont de la séance plénière du MEPC 80.
Une taxe obligatoire sur les gaz à effet de serre, appliquée à toutes les soutes à partir de 2025 à un prix initial de 100 € par tonne d'équivalent dioxyde de carbone, a également été incluse dans le projet de texte de la stratégie révisée.
En revanche, la question de savoir si les émissions doivent être mesurées par des méthodes dites « tank-to-wake » ou « well-to-wake » font toujours débat, mais aucune décision finale n'a été prise.
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Rien d’acté sur les mesures à moyen terme
Lors des échanges en groupe de travail, une convergence entre les délégations s’est en outre dégagée en faveur d’un « panier de mesures candidates à moyen terme » intégrant à la fois des éléments techniques (par exemple, une norme sur les carburants à effet de serre du puits au sillageet/ou le renforcement des mesures d'intensité de carbone de l'OMI) et des éléments de tarification du carbone (à l’instar d’une mesure basée sur le marché).
Mais rien n’a été acté à cet égard lors du MEPC 79 dont l’objectif à cet égard était de « poursuivre le travail d'identification des mesures candidates de réduction des GES à développer en priorité en vue d’évaluer leur impact avant leur adoption ».
Lors de cette dernière réunion, des pays africains, l'Inde, l'Arabie saoudite et d'autres se sont associées à une proposition visant à ce qu'au moins 5 % du mélange de carburants en 2030 soit constitué d’alternatives aux combustibles fossiles, un concept également soutenu par les États-Unis.
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La filière en attente d’une réglementaire claire
« Il y a un soutien croissant au sein du Comité pour aller de l'avant avec l'élaboration d'une taxe sur les GES ainsi que l'élaboration d'une norme de carburant. Des divergences importantes restent à résoudre sur la mesure des gaz à effet de serre en "tank-to-wake" et "well-to-wake", ainsi que sur l'utilisation des fonds », a réagi avec enthousiasme John Butler, président et directeur général du World Shipping Council (WSC), observant des ralliements parmi des pays autrefois réticents, néanmoins « essentiels à la réussite de la décarbonation du transport maritime ».
L’association, basée aux États-Unis, fait partie des soutiens de la première heure à un durcissement des exigences. Elle est également une alliée de la Chambre maritime internationale (ICS) pour réclamer de toute urgence « des signaux clairs en matière réglementation » de façon à ce que le secteur puisse arbitrer ses choix parmi les technologies et carburants de demain en limitant la prise de risque.
La plupart des grandes organisations représentatives du secteur demandent une accélération alors que l’OMI, espace international par excellence où se réglemente le transport maritime, est court-circuité par l’UE, qui va plus loin et plus vite en matière de réglementation. Le processus législatif de l'OMI, fondé sur le consensus, exige l'unanimité pour les changements majeurs, et la moindre décision prend un temps incompatible avec celui de l’économie.
L’UE en embuscade
Les législateurs européens se sont mis d’accord pour inclure le transport maritime dans son système d'échange de quotas d'émission (SCEQE ou ETS), à partir des émissions de 2024. Cet accord couvrirait environ 90 Mt de GES émis par les navires s'il était appliqué aujourd'hui (moyennant la moitié des émissions de tous les voyages internationaux à destination et en provenance de l'Espace économique européen).
Il obligerait ainsi les navires faisant en escale dans l'UE à payer un supplément de 280 € ou 296 $ par tonne de HFO (fuel à haute teneur en soufre) dans un scénario où le quota carbone revient à 90 € par tonne d'équivalent CO2, une tonne de HFO équivalant à 3,114 t de CO2.
En légiférant sur le transport maritime, l’UE brise deux monopoles de l’OMI : le contrôle régional de certaines émissions internationales et la taxation du transport maritime international.
Adeline Descamps