Il est facile de se noyer dans l’agenda de l’OMI. L’ordre du jour de la 79e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC) de l’Organisation maritime internationale l’OMI, qui se tient depuis ce lundi 12 décembre jusqu’au 16 décembre à Londres, est particulièrement dense mais un point essentiel intéressera tout particulièrement ceux qui ne seront pas rebutés par la technicité des débats : le niveau d'ambition affiché pour atteindre le « zéro émission » alors que les émissions annuelles du transport maritime sont estimées à 1 milliard de tonnes.
Les négociations doivent en effet commencer (propositions, commentaires) en vue de l'adoption d'une stratégie révisée de l’OMI en matière de gaz à effet de serre (GES) à la mi-2023 lors du MEPC 80, dont avaient convenu les États membres à l’occasion de la 77e session.
Non contraignante, la stratégie de décarbonation du transport maritime, telle qu’elle a été approuvée en 2018, prévoit de réduire de 50 % ces émissions responsables du réchauffement de la planète d'ici à 2050. Une ambition jugée bien trop faible par les délégations les plus proactives sur le climat et largement insuffisante au regard de la science.
L'impact du transport maritime sur le climat devrait être réduit de moitié d'ici 2030 pour que le réchauffement reste en deçà de la limite de 1,5°C fixée par l'Accord de Paris. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies (GIEC), agacé par la lenteur des avancées à l’OMI, s’en est même ému dans son dernier rapport, estimant que « des améliorations des structures de gouvernance nationales et internationales permettraient de décarboner davantage le transport maritime »
Qu’est ce qui est ressorti des échanges en amont au sein de la session intertechnique ?
Comme il est de coutume dans les « mœurs » à l’OMI, le MEPC79 a été précédé par la 13e réunion du groupe de travail intersessions sur les émissions de gaz à effet de serre (ISWG-GHG 13), qui devait notamment débattre du niveau d'ambition de la stratégie révisée (en 2023) en matière de gaz à effet de serre ainsi que du « panier de mesures candidates à moyen terme » intégrant à la fois des éléments techniques (par exemple, une norme sur les carburants à effet de serre et/ou le renforcement des mesures d'intensité de carbone de l'OMI) et des éléments de tarification du carbone (à l’instar d’une mesure basée sur le marché).
D’après ces échanges, qui donnent un avant-goût des positions, il semble y avoir convergence entre les délégations en faveur d’un système basé sur une taxe carbone (instrument le plus simple à gérer pour l'industrie et il peut générer des revenus pour soutenir la transition) associée à une norme mondiale sur les carburants fossiles (car cela enverrait un signal clair à l'industrie).
Sur le niveau d'ambition pour 2050, une grande majorité des interventions des États membres et des représentants de l’industrie (34) se sont prononcés en faveur de la fixation d'un objectif de zéro émission de gaz à effet de serre à cette date. Seul un petit groupe de dix États membres s'est opposé au renforcement de l'objectif actuel.
« Il s'agit d'une évolution encourageante. Toutefois, il est urgent de prendre un engagement clair en faveur d'un plafond d'émissions absolues à court terme de 2030 et d'une date limite de 2040 pour les émissions du transport maritime, car c'est le seul moyen de décarboner le secteur conformément à la limite de réchauffement climatique de 1,5 °C fixée par l'accord de Paris », a réagi dans un communiqué une coalition d’ONG composée de Clean Shipping Coalition, Ocean Conservancy, Seas At Risk, Clean Arctic Alliance. Pacific Environment, Carbon Market Watch.
L'affectation des recettes est un autre point capital, en particulier pour les petits États insulaires en développement et les pays les moins avancés (PEID et PMA), qui paient chèrement les conséquences du réchauffement climatique dont sont comptables les pays développés, mais aussi pour combler les différentiels de coûts entre les carburants émetteurs de GES et leurs alternatives vertes.
Qu’il s’agisse de la stratégie révisée de l'OMI ou des mesures techniques et/ou politiques, le cadre doit être bien défini pour les objectifs et les incitations, réclame dans sa grande majorité l’industrie.
Quoi qu’il en soit, la décision ne sera pas prise avant 2023 et peut-être pas non plus au MEPC 80.
Différence entre les exigences de l’OMI et de l’UE (extrait de l’étude d’Olendorff sur la nouvelle norme CII).
Dans quel contexte intervient le MEPC79 ?
Le Comité intervient à quelques semaines de l’entrée en vigueur de nouvelles normes réglementaires, dites « mesures de court terme » (EEXI et CII) et quelques jours après un accord entre le Parlement et le Conseil européens sur les conditions d’application de l'intégration du transport maritime dans le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne (ETS pou SCEQE).
Il est désormais établi que les navires de plus de 5 000 tonnes GT devront acquérir des droits à polluer sur le marché européen carbone de sorte à couvrir en 2025 au moins 40 % des émissions du secteur maritime (sur la base des émissions enregistrées l’année précédente).
Le cadre convenu prévoit une réglementation progressive sur trois ans à partir de 2025. Les navires de plus de 5 000 tonnes brutes opérant sur le transport intra-européen devront payer pour 100 % de leurs émissions et à 50 % pour ceux en provenance et à destination de pays tiers (hors d'Europe).
Cette mesure sera appliquée progressivement, le pourcentage passant de 40 % en 2025, à 70 % en 2026, enfin à 100 % en 2027. Mais ces seuils restent à confirmer. Un accord final doit encore intervenir mi-décembre.
Contrairement à la proposition initiale de la Commission européenne, les émissions autres que le CO2, comme le méthane et le NOx (oxyde d’azote), seront également soumises à l’obligation d’achats de quotas à partir de 2027. Ce qui signifie que les navires au GNL devront donc eux aussi payer pour ce qu'ils émettent.
Les négociations ont en outre permis de se mettre d’accord sur l’affectation des recettes des 20 millions des crédits carbone – ce qui correspond actuellement à 1,5 Md€ -, au Fonds d’innovation européen pour financer le verdissement de la flotte.
L’Europe est donc bien plus avancée qu’à l’échelon OMI.
Pourquoi les normes EEXI et CII divisent avant même leur entrée en vigueur ?
Le 1er novembre, les amendements à l'annexe VI de la convention Marpol sont entrés en vigueur. Ils introduisent un indice d'efficacité énergétique des navires existants (EEXI), une notation annuelle de l'indicateur d'intensité de carbone opérationnel (CII) et un plan amélioré de gestion de l'efficacité énergétique des navires (SEEMP).
Á compter du 1er janvier 2023, les navires existants d’une jauge brute égale ou supérieure à 400 devront calculer leur indice efficacité énergétique (EEXI, Energy Efficiency Index for Ships In Service, équivalent de l’EEDI pour la flotte nouvelle, déjà en vigueur) et les navires d’une jauge brute égale ou supérieure à 5000 sommés de recueillir les mesures pour la déclaration de leur indicateur d’intensité carbone (CII, Carbon Intensity Index) pour .
L’EEXI, qui mesure les émissions de CO2 par tonne-mille, fixe un cadre de performance de chaque type de navire dont le niveau d’émission de CO2 sera établi en se basant sur la puissance moteur et auxiliaire installée, le type de combustible et son facteur de conversion en CO2.
Le CII permet de déterminer le facteur de réduction annuel nécessaire pour assurer une amélioration continue de l'intensité carbone du navire. Le delta entre le CII opérationnel réel et le niveau requis permettra de noter les navires suivant une graduation de A à E en fonction de leurs performances réelles : la note A pour un navire en faible intensité carbone et E pour une forte intensité.
EEXI : quadrature du cercle ou nœud gordien ?
« Il y a trois catégories de navires, résume VesselsValue au sujet de l’EEXI, veritable casse-tête. Il y a ceux qui peuvent être mis en conformité grâce à des dispositifs d'économie d'énergie, ceux pour lesquels une procédure de limitation de la puissance du moteur est l'option la plus probable. Et enfin, ceux qui auront du mal à rester conformes sans réduire radicalement leur vitesse et leur consommation de carburant et qui pourraient être les premiers candidats à un aller simple vers le chantier de démolition ».
Imparfaites dans les paramètres de calcul de l’intensité carbone des navires et contreproductives par rapport à l’effet recherché, ont tranché plusieurs organisations maritimes et armateurs à titre individuel. Dans un communiqué de presse envoyé le 1er novembre, date de l’entrée en vigueur des amendements à l'annexe VI de la convention Marpol, MSC est sorti de sa réserve pour dénoncer les aberrations du CII.
CII : les armateurs démontrent l’absurdité du système de calcul
Intercargo, organisation qui représente les exploitants de vraquiers, et Oldendorff Carriers, l'un des grands noms du vrac sec, auteur d’une étude de 52 pages sur le sujet, ont démontré qu’un nombre de paramètres peuvent avoir un impact négatif important sur la notation CII d'un navire, à savoir « les conditions météorologiques, la distance du voyage, les temps d'attente dans les ports, l'infrastructure portuaire… ». Mais aussi des effets pervers.
« Paradoxalement, si l'on tient compte des distances de voyage et des temps d'attente dans les ports, les navires dont les distances de voyage sont plus longues peuvent produire plus d'émissions mais avoir un meilleur indice CII que les navires qui parcourent des distances plus courtes et produisent moins d'émissions », résume Intercargo
Aussi, la cote CII sera affectée négativement par de longs temps d'attente ou des opérations portuaires lentes, même si cela échappe en grande partie au contrôle du transporteur, dénoncent-ils. Pour démontrer l’absurdité de la mesure, Oldendorff n’hésite pas dans son rapport : « Certains propriétaires pourraient avoir recours à une navigation irresponsable en tournant en rond au lieu d'attendre à l'ancre. Car cela améliorera leur cote CII mais augmentera également les émissions annuelles de GES. »
Adeline Descamps
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