Comme prévu, en un peu plus d’une heure et dix minutes, le président de la République a scandé tous les sujets sur lesquels il était attendu (le JMM les a détaillés ici) à l’occasion de sa visite à Nantes le 28 novembre aux Assises de l’économie de la mer, le rendez-vous de la filière maritime et portuaire organisé par nos confrères du Marin/Ouest France avec le Cluster maritime français.
Pour la troisième fois, après Montpellier en 2019 et Nice en 2022, Emmanuel Macron a donné aux acteurs de l'économie maritime une raison supplémentaire de penser que le chef d’État prête à leurs affaires une attention toute particulière.
« C’est la preuve indiscutable de l’attachement et de l’intérêt du président pour l’économie maritime et je veux croire que le cluster n’y est pas complètement étranger », s’est empressé de dire Frédéric Moncany de Saint-Aignan en ouverture des deux jours pour sa dernière prestation en tant que président du Cluster maritime français (entreprises de l’économie bleue).
Le fil rouge de la parole présidentielle était dans les clous du thème de la manifestation : la souveraineté française y a été servie sous tous ses apparats, militaire et géopolitique (puissance maritime), écologique et diplomatique (protection de la mer), énergétique (éolien offshore et nucléaire) et alimentaire (pêche).
Plusieurs dossiers au fer
Dans le concret et à en perdre haleine, le chef de l'État s'est exprimé sur la loi de programmation militaire qui ruisselle sur la construction navale, la programmation pluriannuelle de l’énergie qui va profiter à l'éolien offshore, la préservation de la biodiversité (travai diplomatique pour obtenir la ratification du traité sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale), la protection des fonds marins (exploitation minière), les grands travaux de l'éolien en mer (planification des zones et appels d’offres), les mesures d’accompagnement de la pêche en difficulté (et au-delà pêcher durable et consommer français), le soutien financier à la décarbonation des navires et des ports et l’agenda 2024-2025 (année de la mer, Conférence des Océans à Nice…).
Tous ces points ont été amenés par un long développement déroulé avec aplomb et surplomb par un président en inhabituel costume trois-pièces et qui n’est « jamais si bon » que dans les « exercices intellectuels ». C'est ce que l'on pouvait entendre à la sortie de l'auditorium après la prestation présidentielle : des « chapeaux bas » en nombre adressés à la performance oratoire « pêchue », à la « clarté des idées », au « talent de synthèse »...
Mais une lassitude pointe néanmoins quant au bégaiement du propos : la mer en tant que concept et espace de régulation de l’exploitation sous toutes ses formes commence à fatiguer. Et ceux qui ont la main dans le moteur ne seraient pas contre « un peu de concret » et de « passage à l'acte ».
Quelques vraies annonces
Parmi les principales et vraies annonces figure l’essor de l’éolien flottant, pour lequel l’acceptabilité sociale est moins problématique que pour son équivalent terrestre. La programmation pluriannuelle de l'énergie – qui sera examiné au parlement en janvier –, a décliné les objectifs sur le plan de l'éolien en mer : 45 GW en 2050, ce qui fera de l'éolien en mer la deuxième source de production d'électricité après le nucléaire.
Pour rappel, la France compte à ce stade 8 GW de parcs offshore installés ou en projet. Comme annoncé, le président Macron compte sur le débat public qui vient d’être lancé par la Commission nationale du débat public sur une échelle de temps peu ordinaire (du 20 novembre jusqu’au 26 avril) et l’ensemble des quatre grandes façades maritimes.
« Cet exercice inédit dans l’histoire du pays et qui n’a pas d’équivalent en Europe », selon les termes de Hervé Berville, le secrétaire d’État à la Mer, doit déboucher sur une cartographie précise des lieux d'implantation des éoliennes sur toutes les façades de l'Hexagone.
Cartes sur table
Mettre cartes sur table et « s’engueuler une bonne pour toutes, pardon de le dire comme ça », pour ne pas avoir à le faire « au bout de cinq ans ou dix ans de projets », a présenté le chef de l'État. « C'est vraiment cette écologie à la française à laquelle je crois pour construire un consensus éclairé par la science », insiste Emmanuel Macron devant son auditoire de 1 900 personnes.
« Appel d'offre d'envergure »
En amont de sa visite, les services de l’Élysée avaient indiqué qu’il annoncerait un appel d’offre massif. Emmanuel Macron l’a confirmé : le gouvernement lancera un appel d'offres en 2025 portant sur l'installation d’une dizaine de parcs éoliens en mer qui entreront en vigueur en 2030-2035, soit une puissance installée de 10 GW. « On a beaucoup réduit les délais et on va passer d'environ de 10-12 ans à 5-6 ans. Ce débat va y contribuer. » Sur les 2,5 Md€ de recettes générées entre 2023 et 2035, un tiers ira à la pêche.
Trauma du solaire
Ne pas renouveler l’expérience du solaire, a agité comme un chiffon rouge le président. « Pourquoi on fait ces investissements ? Pour casser les barrières technologiques, réussir à lancer les premiers projets et faire baisser
les coûts. Je ne veux pas qu'on fasse sur l'éolien en mer ce qu'on a fait jadis
sur le solaire, c'est-à-dire qu'on en vienne à importer ce qui est fait à l'autre bout du monde, avec un bilan carbone désastreux sur l'amont ».
Pour faire en sorte que la production se fasse sur le territoire, il y a une « façon de faire », assure-t-il : intégrer des critères environnementaux et de contrôle des données « à l’instar de ce que l’on a fait sur les batteries électriques ».
Dernière annonce sur l’éolien offshore, 200 M€ vont être investis pour l’aménagement des infrastructures portuaires, sans précisions à ce stade.
Retour de l'hydrolien
Un autre pan du discours aura fait des heureux : « nous ne lâcherons pas la bataille de l’hydrolien [courants marins comme source d’énergie, NDLR] pour lequel « rentrer dans un prix de l'électricité rentable à court terme » est compliqué.
L’exécutif y voit en outre un enjeu pour les territoires ultramarins. Il prévoit, dans le cadre de la prochaine programmation, de lancer des appels d'offres pour soutenir la technologie « que l’on doit être capable de fixer » et un « projet pilote, au cap de la Hague, dans la Manche, avec un soutien inédit de l'État de 65 M€. »
Décarbonation des navires ?
Quant au support financier très attendu pour accompagner la filière française dans la décarbonation des flottes, qui devrait coûter des milliers de milliards de dollars ou d’euros, Emmanuel Macron a présenté une arithmétique alambiquée.
Quelque 500 M€ sur une enveloppe globale de 800 M€ du plan France 2030 (2022-2030) seront dédiés stricto sensu à la décarbonation du transport maritime. Les 500 M€ servent à amorcer la pompe d’un fonds d’investissement maritime « d’au moins 1,5 Md€ » de financements publics et privés. « Des investisseurs et acteurs bancaires sont prêts à venir », a ajouté Emmanuel Macron.
Le solde devrait être affecté à la recherche sur les océans et les grands fonds marins et la modernisation des ports. Un point d'interrogation porte sur les 200 M€ pour l’adaptation à la croissance de l’éolien flottant dont on ne sait s'ils entrent dans cette enveloppe ou s’il s’agit d’un autre financement pour accompagner les ports dans l'avitaillement en énergies décarbonées, l'électrification des quais voire le stockage de carbone....
Remake
Aveu de faiblesse, il a remis sur la table des éléments, qui avait déjà été présentés l’an dernier par Hervé Berville.
Le groupe CMA CGM avait alors abondé à hauteur de 200 M€ au fonds d’investissement à créer. Dans une des tables rondes, Rodolphe Saadé, le PDG du groupe, a rappelé qu’il était dans l’attente du go de l’administration sur ce point tout en rappelant attendre un signe de la France ou de l’Europe alors qu’il a « déjà mis sur la table 15 Md€ pour décarboner ses navires ».
La filière française est également prête : elle a rendu sa copie à l’exécutif, mapping des solutions qui lui permettront d'atteindre la neutralité carbone à horizon 2050.
Adeline Descamps
Le maritime au cœur de la bascule géopolitique
Moment choisi : « On aurait tort de trop regarder une guerre continentale qui revient en Europe et de penser que l'avenir va être à nouveau les guerres terrestres. L'Ukraine nous le rappelle. Mais, même en Ukraine, l'un des enjeux dont on a le plus parlé ces derniers mois, c'est l'accès à la mer pour sortir les céréales. L'une des premières décisions des Russes, ça a été de couper le littoral, en le minant. Et donc, c'est l'accès à une souveraineté maritime, celle des Ukrainiens sur leur propre mer et celles des routes maritimes pour sortir des céréales. Les nouveaux théâtres de conflictualité sont maritimes et le seront de plus en plus. Il suffit de regarder les signatures stratégiques de la Russie depuis deux ans pour nous rappeler qu'elle restait une puissance maritime (…) Et la principale conflictualité internationale, celle qui pèse sur notre monde, est la tension sino-américaine. Elle se traduit dans des aires commerciales stratégiques, mais dès qu'elle est militaire, elle est maritime ».
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