Aux « midterms » de son double quinquennat, encombré de moult sujets périphériques dans une période convulsive et dans un pays polarisé, Emmanuel Macron reprend activement le dialogue sur le climat et la mer, deux sujets qui se chevauchent, après plusieurs initiatives au niveau international pour imposer sa voix. Une parole qui n’a pas toujours porté, à commencer sur le principe d’une taxe mondiale climatique pour le transport maritime posé dans le cadre du Sommet pour un nouveau pacte financier mondial que la France a accueilli les 22 et 23 juin.
« La mer est une composante importante de son agenda », confirment les services de l’Élysée pour justifier les deux déplacements prévus cette semaine du président de la République, en lien avec « l'avenir maritime de la France », selon leur expression.
Si sa visite n'est pas ajournée pour cas de force majeure, comme l'agenda présidentiel en regorge, Emmanuel Macron devrait intervenir le mardi 28 novembre aux Assises de l’économie de la mer (AEM), organisé par nos confrères du Marin en partenariat avec le Cluster maritime français, sans doute vers midi, après la prise de parole de Rodolphe Saadé, PDG de CMA CGM.
Il se rendra ensuite à la COP28, qui se déroule cette année du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï aux Émirats arabes unis.
Zone de confort
Avec le secteur maritime, le chef de l'État est dans sa zone de confort, pas exclusivement parce qu’il y est toujours fort bien accueilli par les représentants de la filière depuis sa mémorable intervention scénique de près de deux heures aux AEM de 2019 à Montpellier où il avait déroulé une vision maritime ambitieuse.
Il est, à l’évidence, à l’aise avec ce domaine, terrain de jeu idéal pour exposer une vision à la fois régalienne, économique, écologique, géopolitique, et à la lisière de divers héritages politiques et de convictions. L’océan est aussi le lieu où il peut faire valoir ses arguments en faveur de la biodiversité et des énergies renouvelables tout en faisant corps avec les territoires d’Outre-mer, réservoirs d’économie bleue.
Une COP28 axée sur la fin du pétrole
Quoi qu’il en soit, le grand rendez-vous international sur le climat, sorti de l’anonymat grâce à la COP 21 et à l’accord historique de Paris, s’annonce éprouvant.
Huit ans après un engagement historique par lequel les États signataires se sont engagés à maintenir les températures mondiales « bien en dessous » de 2°C par rapport à l'époque préindustrielle, l’accord-cadre, entré en vigueur le 4 novembre 2016, est resté une lettre d’intention.
Alors que la planète est en état d’urgence climatique dont témoignent, selon les scientifiques, les phénomènes météorologiques d’une extrême violence – incendies XXL, tempêtes meurtrières, crues éruptives, sécheresses prolongées, pluies diluviennes –, l'objectif de 1,5°C n’est radicalement plus réaliste et le Groupe international d'experts sur le climat (Giec) prêche dans le désert d’une planète qui rougeoie sous l’effet de gigantesques feux de forêts.
Dans son rapport annuel sur les perspectives énergétiques mondiales, récemment publié, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) s'attend à ce que la demande mondiale de charbon, de pétrole et de gaz naturel atteigne un niveau record d'ici 2030 quand bien même la transition énergétique est en cours (60 % des nouvelles capacités installées provenaient des énergies renouvelables en 2022)
Plus de 80 % de l’énergie primaire consommée à travers la planète sont toujours issus du gaz, du pétrole et charbon contre 7,5 % pour les énergies renouvelables.
Les émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2), essentiellement dues à la combustion des énergies fossiles, devraient augmenter d'un autre point de pourcentage en 2023 et enregistrer un nouveau record (37 Mt en 2022).
Selon l’AIE, il faudrait que l’utilisation des combustibles fossiles chute de 25 % d’ici à 2030 et de 95 % d’ici à 2050 pour atteindre les objectifs assignés par l’Accord de Paris, et dans le même temps que les capacités de production énergétiques issues de renouvelables triplent à l’échelle de la planète avant la fin de la décennie. Sans cela, indique le rapport, il faudra abattre près de 5 milliards de tonnes de CO2 par an au cours de la seconde moitié de ce siècle.
L'AIE indique par ailleurs que l’investissement mondial dans les énergies renouvelable du secteur pétrolier et gazier, qui a engrangé 3 500 Md$ de bénéfices en moyenne par an entre 2018 et 2022, s’élève à 1 %, dont 60 % par quatre majors.
Une COP clivante
Pour toutes ces raisons, les COP électrisent les décideurs et hystérisent les débats. La 28e session clive d'autant plus que le pays-hôte de l’événement, les Émirats arabes unis, est un des tout premiers producteurs d’énergies fossiles, et que son président, Sultan Ahmed al-Jaber, est à la tête de la major émiratie de pétrole, Adnoc, un des six premiers exportateurs mondiaux d’hydrocarbures.
Un engagement international est attendu sur la sortie datée du pétrole. Avec toutefois des subtilités de langage.
Le centre de gravité du débat s’est déporté ces dernières semaines sur la sortie des énergies fossiles dites « unabated », c'est-à-dire non atténuées par des mesures comme le captage ou stockage du CO2 (Carbon capture and storage, CCS). La mention d’« unabated » n’a rien de neutre car elle pourrait revenir à condamner les usages de pétrole, charbon et gaz ou à légitimer leur prolongation grâce au CCS, largement soutenu par l'industrie pétro-gazière.
La France tout comme l'Espagne, les Pays-Bas ou encore l’Autriche, appellent à une « élimination progressive des combustibles fossiles », qu'ils soient ou non « unabated », voire à les limiter aux industries les plus difficiles à décarboner dont font partie le transport maritime et aérien.
En marge de la COP26 en 2021, la France s’était par ailleurs engagée à mettre un terme d'ici à la fin 2022 au financement (via les garanties à l'export) aux nouveaux projets d'exploitation d'énergies fossiles, depuis l'exploration-production en amont, jusqu'au raffinage en aval, en passant par le transport et le stockage, sans techniques de capture du carbone.
« La diplomatie devrait se concentrer sur l'élimination progressive des émissions de pétrole et de gaz, et pas nécessairement sur la fin des combustibles fossiles eux-mêmes », a réagi Sultan Ahmed al-Jaber sur la question des « unabatted » dont on ne sait plus très bien avec quelle casquette.
Quoi qu'il en soit, les plus optimistes espèrent arracher à la COP 28 un accord similaire à celui de Glasgow de la COP26 sur le charbon. La version finale de ce texte avait pourtant été édulcorée in extremis, avant la session plénière, sous la pression de la Chine et de l'Inde. Dans le texte adopté, il ne s'agissait plus de « disparition progressive du charbon » mais d'« intensifier les efforts vers la diminution progressive du charbon sans systèmes de capture de CO2» et de « cesser des subventions inefficaces aux énergies fossiles ». Chaque pays aura sa propre opinion sur ce qui est considéré comme efficace.
Que va défendre Emmanuel Macron à la COP28 ?
« La COP 28 sera l'occasion pour le président de tracer quelques premières grandes lignes en vue de la conférence des Nations Unies sur l'océan à Nice en 2025 et de dire qu’il est temps, après trois conférences, de faire converger toute une série de processus de négociations et d'initiatives vers un accord international qui reconnaisse l’océan comme un bien commun », indiquent les services de la présidence.
Cet accord comprendrait trois axes. La décarbonation du secteur maritime en fait partie. La France devrait prendre position, dans le cadre de l'Organisation maritime internationale d’ici 2025, sur des mesures économiques, financières et « contraignantes ».
Le MEPC 80, qui s’est tenue en juillet, a validé le principe d’une décarbonation complète (le « zéro net émission » de la flotte mondiale) à horizon 2050.
Rien n’a en revanche vraiment été décidé concernant les mesures (techniques et économiques) pour permettre d'atteindre les objectifs de réduction, à savoir une norme sur les combustibles marins réglementant leur intensité carbone et un mécanisme de tarification des émissions carbone, quelle que soit sa forme. La France fait partie des États qui soutiennent à l'OMI une ligne dure, celle qui ne veut pas transiger sur la conformité à l’Accord de Paris sur le climat.
Mais la délégation française à l'OMI n'a pas tout à fait la même lecture des avancées obtenues lors cet incontournable rendez-vous de l'OMI et a vu du succès à toutes les lignes. « Le MEPC s’est accordé pour sélectionner une mesure technique, à savoir une norme décroissante d’émission de gaz à effet de serre des carburants marins, et une mesure économique de tarification du carbone émis par les navires, que la France avait porté dans le cadre du Sommet pour un Nouveau pacte financier mondial et que le gouvernement souhaite voir être adoptée à l’horizon de la troisième Conférence des Nations unies pour les Océans en 2025 », avait indiqué Matignon dans un communiqué, diffusé très rapidement après la clôture du MEPC le 7 juillet.
Paris se satisfait aussi manifestement du calendrier convenu pour adopter les mesures permettant d'atteindre les objectifs de moyen terme, qui intervient pourtant bien tardivement pour se conformer aux premières injonctions de 2030…
Le gouvernement se sent d’autant plus légitime que la filière française a produit sa feuille de route pour se désintoxiquer des énergies fossiles dans laquelle elle identifie les solutions qui lui permettront d'atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. À ce sujet, le président Macron pourrait annoncer quelques mesures d’accompagnement lors des Assises de l’Économie de la mer pour amorcer la pompe de la mise en œuvre.
Que va annoncer Emmanuel Macron aux AEM à Nantes ?
À ce rendez-vous, devenu familier pour le président Macron, l'édition de Nantes signera sa troisième présence après Montpellier en 2019 et Nice en 2021.
« Le président aura à cœur à Nantes d'emmener l'ensemble de l’écosystème sur les grandes thématiques de la protection de l'environnement, de la compétitivité, de la souveraineté en matière énergétique et logistique et d'amorcer une nouvelle étape de son programme maritime qui aura vocation à nous conduire jusqu'à la conférence de Nice en 2025 », explique l’Élysée, rappelant que 2024 sera une année de la mer en France (plus précisément (mi-2024-mi- 2025) conformément à ce que le chef de l'État avait annoncé lors d'un déplacement au Mont-Saint-Michel en juin dernier.
L'éolien au cœur de son intervention
Les assises se tiennent cette année non loin du parc éolien de Saint-Nazaire que le président de la République avait inauguré en septembre dernier, premier du genre en France, avant Saint-Brieuc cette année.
La Commission nationale du débat public vient de lancer une vaste concertation sur l’usage de la mer, les enjeux des littoraux et l’essor de l’éolien en mer. Cette démarche de six mois doit, entre autres, déboucher sur des cartes précises des lieux d'implantation des éoliennes sur toutes les façades de l'Hexagone.
À n’en pas douter, le président Macron reviendra sur cette initiative jugée « nécessaire pour gérer la complexité des enjeux » et concilier les contradictions (biodiversité, impact paysager, activités de la pêche).
Il n’est en revanche pas certain qu'il annonce les lauréats des parcs d'Oléron de Centre Manche 2 et de Bretagne Sud, en cours de désignation.
Il ne manquera pas, sans doute, de revenir sur ses annonces formulées à l’issue du dernier Conseil de planification écologique, où il avait déclaré que, au-delà des parcs déjà en discussion ou attribués (objectif : cinquantaine de parcs totalisant environ 40 GW), un « grand appel d'offres » portant sur le développement d’un nombre important de parcs sera lancé en 2025.
L’ambition présidentielle est désormais connue : faire du vent la première source d'énergies renouvelables du pays et la deuxième source de production d'électricité après le nucléaire. C’est du moins ce qui est indiqué dans la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Enfin, dans un contexte d’inflation sur les coûts de l’énergie et de grandes difficultés des pêcheurs, le gazole sera au centre de son propos (maintien de l'aide de 20 centimes par litre ?) quand il évoquera la filière, dont il fait d'ailleurs un outil de reconquête de la souveraineté alimentaire.
Quoi qu'il en soit, que ce soit lui ou son représentant, le gouvernement vient rarement les mains vides aux Assises de l'économie de la mer.
Adeline Descamps
COP28 : quid du traité sur la biodiversité marine et du moratoire sur l'exploitation minière
Traité sur la biodiversité marin
L’exécutif défendra à la COP28 la nécessité d’actualiser le droit international pour protéger l'océan, indiquent les services de la présidence, notamment en ratifiant le traité sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (BBNJ, Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction) qui a fait l'objet d'une promesse du président français à l'occasion du sommet international consacré à la protection des océans à Brest en février 2022.
Le traité BBNJ permet, dans le cadre du droit international, de créer des parcs nationaux et des aires marines protégées dans les eaux internationales pour protéger la biodiversité là où elle ne dépend pas du droit de l'environnement d'un État en particulier. Le cadre est créé mais l'entrée en vigueur est en attente (soixante signatures sont nécessaires). LÉlysée espère le voir ratifier avant la conférence de Nice.
Moratoire sur l'exploitation minière
À la COP 28, le président Macron devrait en outre revenir sur la protection des grands fonds marins de l'exploitation minière.
Le gouvernement français avait déjà tenu cette position le 26 juin, à l'occasion d'une réunion annuelle des 168 États membres de l'Assemblée de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM), à Kingston, en Jamaïque. À cette occasion, le secrétaire d'Etat français à la Mer, Hervé Berville, s’était montré fermement opposé à l'extraction de minerais dans les fonds marins.
La France fait partie du club des 24 pays qui réclament un moratoire, avant la possible extraction du nickel, cobalt ou cuivre que recèlent des fonds marins.
En vertu de la Convention de l'ONU sur le droit de la mer, l'AIFM est chargée à la fois de protéger le plancher océanique des zones en dehors des juridictions nationales, et d'y organiser l'exploration et l'éventuelle exploitation des minéraux, que certains estiment capitaux pour la transition énergétique, en particulier les batteries des véhicules électriques.
Le Conseil de l'AIFM (36 États membres) négocie depuis dix ans un code minier pour fixer les règles. Mais depuis le 9 juillet, n'importe quel Etat peut déposer une demande d'exploitation pour le compte d'une entreprise, grâce à l'expiration d'une clause déclenchée en 2021 par le gouvernement de Nauru, permettant de réclamer l'adoption du code minier sous deux ans.
A.D.
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