Selon Bloomberg, au moins quatre des pétroliers de Sovcomflot auraient changé de nom et de pavillon. Ces derniers mois, la compagnie maritime russe a régulièrement eu recours à des sociétés basées à l'étranger, notamment aux Émirats arabes unis, pour brouiller les pistes sur les mouvements de sa flotte alors que l'administration américaine a resserré la vis sur l’application du très contesté mécanisme de plafonnement des prix du pétrole russe.
Depuis décembre, la coalition internationale, formée par les pays du G7 (Allemagne, Canada, États-Unis, France, Italie, Japon, Royaume-Uni + Union européenne) et l'Australie mais aussi les États membres de l’UE cherchent à corriger les travers du dispositif pour rendre plus difficile le contournement en exigeant notamment des preuves sur les transactions, mettre la pression sur les pavillons, réglementer les ventes de pétroliers à l'étranger, s'attaquer aux négociants ou encore maîtriser l'expansion des navires clandestins.
8 % de la flotte en exploitation
En dépit des sanctions successives, le pétrole russe continue de transiter par l’intermédiaire de la flotte dite fantôme, une armada de navires qui ont trouvé à s’assurer, à se faire pavillonner, classifier… auprès de sociétés notamment basées aux Émirats arabes unis. Ou par le recours à diverses pratiques de camouflage, qu’il s’agisse du masquage des mouvements des pétroliers avec le brouillage de leur système de suivi (AIS), de dissimulation de l'origine ou de la destination de la cargaison par de multiples transferts (STS) ou de l'occultation du véritable prix de vente du pétrole par la facturation de frais supplémentaires.
Selon le courtier BRS, les navires impliqués dans le transport de cargaisons sanctionnées représentent 8 % de la flotte mondiale active (700).
Mécanisme inapplicable
À l’épreuve de la réalité du terrain, le mécanisme de plafonnement du plafonnement du prix du baril russe, mis en œuvre depuis octobre 2022, s’est révélé ni pertinent, ni efficace et encore moins appliqué. Le représentant des principaux clubs P&I, l’International Group, a explicitement déclaré devant le Parlement britannique que le système était devenu « inapplicable »
Pour rappel, ce dispositif d'équilibre acrobatique, qui vise à priver la Russie d’une partie de ses ressources pétrolières sans assécher les marchés internationaux pour ne pas provoquer un choc sur les prix, consister à fixe un prix à plusieurs produits pétroliers visés (60 $ par baril de pétrole, 100 $ pour le diesel et le kérosène et de 45 $ pour le naphta et le fuel).
Au-delà de cette limite, les entreprises occidentales ne peuvent pas légalement fournir des services maritimes, qu’il s’agisse du transport, de la certification/classification des navires, de leur assurance, ou encore du paiement des échanges internationaux.
Quatorze navires-citernes épinglés en février
En février, l'Office of Foreign Assets Control (OFAC), le bureau du Trésor américain en charge du contrôle des avoirs étrangers, a désigné 14 navires-citernes* dans lesquels Sovcomflot a des intérêts, et notamment douze des 75 navires exploités par Oil Tankers SCF Management FZCO, société qui a hérité d'une partie de la flotte de SCF quand cette dernière a été contrainte de vendre ou de disperser dans des sociétés à l'étranger à la suite des sanctions internationales.
La première inscription de SCF sur la liste des sanctions internationales (Royaume-Uni, Union européenne, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande...) remonte à 2022 et a concerné les transactions financières impliquant des dettes à long terme ou de nouvelles actions.
Selon Bloomberg, pas moins de 21 pétroliers de Sovcomflot (qui revendique 147 navires) ont été désignés par l’OFAC depuis que les États-Unis ont durci leur contrôle (y compris les 14 en février).
Le Gabon, en pavillon refuge
L’agence cite des transferts entre le pavillon russe et le Gabon à l’instar des Kemerovo (109 900 tpl), Belgorod (156 700 tpl), Kaliningrad (110 000 tpl) et Krasnoyarsk (109 800 tpl) qui s’appelleront Columbus, Bravo, Captain et Creation) sous le drapeau du Gabon, qui s’était pourtant engagé publiquement à dépavillonner des pétroliers russes sanctionnés.
Selon Clarksons, le tonnage d’aframax enregistré au Gabon (dont SCF est le plus grand propriétaire) est passé d'un peu plus d'un million de jauge brute (GT) en 2022 à 7,4 millions au 1er avril. Le nombre de navires est dans le même temps passé de 126 à 217.
Le PDG de Sovcomflot, Igor Tonkovidov, avait reconnu, selon Reuters, lors de la publication de ses résultats financiers de fin d'année, que les sanctions « limitaient [sa] géographie et [ses] perspectives commerciales ».
Sovcomflot a enregistré un revenu net de près d'un milliard de dollars en 2023, en hausse d'un tiers. Seuls 8 % de sa flotte est visée par les sanctions, avait précisé Igor Tonkovidov.
Adeline Descamps
*Natoly Kolodkin ; Ns Antarcti ; Ns Lion ; Ns Consul ; Ns Burgas ; Ns Captain ; Ns Columbus ; Sakhalin Island ; Nevskiy Prospect ; Georgy Maslov ; Liteyny Prospect ; Krymsk ; Ns Creation ; Ns Bravo
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