L'Énergie sort de Bercy et revient dans le giron de la Transition écologique

Crédit photo ©Ministère de l'Agriculture
Toute la presse a présenté le portefeuille d'Agnès Pannier-Runacher comme élargi. Elle perd pourtant les transports, la pêche, la mer... La filière énergétique attend, elle, des arbitrages sur la programmation pluriannuelle énergétique et la stratégie bas carbone. Un cadre stable pour enclencher les investissements, indiquent plusieurs associations dans une lettre ouverte.  

Les ONG environnementales pourront au moins se satisfaire d’un élément essentiel dans l’annonce du nouvel exécutif mené désormais par le LR Michel Barnier : l’énergie revient dans le périmètre du ministère de la Transition écologique après avoir été rattaché à Bercy, via l’industrie, dans le gouvernement de Gabriel Attal, ce qui les avait fortement inquiétés.

Pour mémoire, les affaires énergétiques relevaient de la Transition énergétique dans le gouvernement Borne (mai 2022 - janvier 2024) quand son locataire n’était autre d'ailleurs qu’Agnès Pannier-Runacher. Après un passage, écourté par la dissolution surprise à l’Agriculture, en soutien du titulaire Marc Fesneau, elle revient aux dossiers en prise avec la crise climatique. Et ce, avec un ministère de plein droit englobant la « transition écologique », « l'Énergie », le « Climat » et la « Prévention des risques ». Mais tant que les décrets ne sont pas sortis, il est difficile de juger de l’étendue de ses attributions.

La ministre à la plus longue longévité dans les gouvernements macroniens (octobre 2018), mais qui fera un passage éclair au palais Bourbon (elle a été élue pour la première fois dans la deuxième circonscription du Pas-de-Calais en juillet), succède à Christophe Béchu au 246 boulevard Saint-Germain où l'attendent des dossiers en suspens depuis des mois.

Flou sur les politiques publiques françaises

La filière énergétique attend notamment des arbitrages sur les investissements en matière de production d’électricité alors que la révision de la programmation pluriannuelle énergétique (PPE) a pris un an de retard. De ce document de planification des objectifs par type d'énergie à horizon 2035 dépend par ailleurs la stratégie nationale bas carbone, feuille de route nationale pour lutter contre le changement climatique. Ce texte est aussi en souffrance depuis des mois alors que la France est sommée par l’UE de réduise ses émissions de CO2 de moitié d’ici 2030.

Quant à la mise à jour du Plan National Énergie-Climat (PNEC), qui était exigé par Bruxelles avant fin juin, il a été envoyé en juillet. Le décret d’application est dans la salle d'attente. Il est censé fixé les orientations pour répondre aux grands désordres climatiques (érosion des littoraux, inondations…)

Un portefeuille élargi, vraiment ?

Toute la presse a présenté son portefeuille comme élargi. « Il l’est dans l’intitulé », a réagi le vice-président de France Nature Environnement, interrogé par France Info, « mais pas dans le périmètre » : le logement, les transports, la pêche, les transports… sont en effet sortis de ses prérogatives tandis que la biodiversité a disparu. Or, « la question écologique est transverse et nombre de ministères doivent s’en saisir mais si le ministère de la Transition écologique n’a pas la main sur ces politiques, il est difficile d’actionner les leviers », explique Nicolas Richard au micro de la radio publique, demandant que l’on remette la planification écologique au cœur des politiques publiques.

Le représentant de l’ONG est au moins assuré d’une chose : il connaît les positions pronucléaires de son interlocutrice. A l'échelle européenne, elle a défendu une réforme du marché de l'électricité préservant le nucléaire français. Chargée des négociations climatiques internationales, elle a aussi plaidé en faveur de l’atome à la COP28 de Dubaï en 2023.

L'Énergie sous son autorité

« Sortir des énergies fossiles, adapter notre pays aux effets du dérèglement climatique, stopper l'effondrement de la biodiversité et inverser la tendance : ce sont les défis du siècle » a réagi la nouvelle locataire de l’Hôtel Roquelaure dans la foulée de sa nomination sur X. Diplômée d'HEC et Sciences Po, inspectrice des Finances à sa sortie de l'École nationale d'administration (ENA), le CV de la macroniste de la première heure (2017) mentionne son passage par l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, la Caisse des dépôts, Bpifrance avant de rejoindre en 2011 l'équipementier Faurecia puis en 2013 la Compagnie des Alpes, les domaines skiables.

Sous son autorité, la députée Renaissance de l'Ain, Olga Givernet, également parmi les marcheuses de première ligne, a été nommé ministre déléguée chargée de l'Energie. L’ingénieure aéronautique de formation, passée par le Modem de 2014 à 2015, avait été reconduite pour un troisième mandat en juillet dans sa circonscription frontalière avec la Suisse.

Juste avant la dissolution, elle avait été nommée corapporteure d'une mission flash sur le verdissement des flottes automobiles. Dans le passé, Olga Givernet a travaillé en Nouvelle-Zélande pour la compagnie aérienne nationale Air New Zealand puis à l'aéroport de Genève comme spécialiste des aménagements d'intérieurs de jets privés.

Baisses des crédits ?

Aux manettes, les deux femmes vont devoir affronter vents et marées. Les ONG environnementales sont vent debout, d’autant que des fuites dans la presse sur les lettres plafonds destinées à préparer le budget pour 2025 ont fait état de coupes sèches (baisses de crédits du fonds vert et de l'Ademe dans les derniers documents budgétaires du gouvernement démissionnaire).

« L'arrivée à Matignon de Michel Barnier doit tourner la page des errements du gouvernement Attal, marqué par un affaiblissement des engagements en matière d'environnement », a réagi Générations Futures dans un communiqué. L'association garde cependant en mémoire que Michel Barnier, qui fut ministre de l'Agriculture (2007-2009), « a résisté aux pressions, notamment celles de la FNSEA, durant les négociations du Grenelle », consacré entre autres aux pesticides, ouvrant la voie aux ONG dans les discussions.

Les ONG en embuscade

Malgré l'urgence à agir face au changement climatique et à la perte de biodiversité, l'écologie a été la grande absente des débats, signifie pour sa part Véronique Andrieux, directrice générale du WWF France.

« L'expérience de Michel Barnier en Europe montre qu'il sait construire des compromis », retient pour sa part Neil Makaroff, directeur du centre de réflexion européen Strategic Perspectives, estimant que le négociateur réputé pour concilier l'inconciliable peut « cimenter une majorité autour de la réindustrialisation verte ».

À l’annonce de la composition du gouvernement, Greenpeace n’y a vu que « les logiques dépassées de l'ancien monde » et pas les « actions radicales et ambitieuses » exigées pour faire face aux crises climatiques et sociales.

Les entreprises attendent une cadre stable

Du côté des entreprises, le secteur des énergies renouvelables (SER) était sorti de sa réserve à l'occasion de la nomination de l’ancien commissaire européen pour espérer un ministère de plein pouvoir. « La transition énergétique, c'est non seulement une nécessité de nature climatique, mais c'est aussi un enjeu économique, industriel, de compétitivité », avait rappelé le président du SER, Jules Nyssen.

Dans une lettre ouverte, les grandes fédérations de l'énergie – Enerplan (solaire), la FEDENE (services énergie-environnement), France Renouvelables, France gaz, le Syndicat des énergies renouvelables, la SFEN (énergie nucléaire) et l’Union française de l’électricité (UFE) –, appellent désormais les députés à adopter la programmation énergétique de la France et à stabiliser le cadre de sorte qu’ils puissent enclencher les investissements. « Les stop and go sont préjudiciables à nos industries du temps long », soulignent-ils.

Adeline Descamps

 

 

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