Un accouchement au forceps sans péridurale. Le futur exécutif nait dans la douleur. La liste du futur gouvernement, dont la composition aura été repoussée d’heure en heure ces derniers jours après avoir animé la séquence hebdomadaire, est enfin connue.
Il aura fallu plus de trois mois depuis la dissolution dégoupillée par le président de la République en mode kamikaze le 9 juin, après des élections législatives qui ont débouché sur une assemblée émiettée (148 députés majorité présidentielle, 146 Union de la gauche, 88 Rassemblement national).
Tout l’été aura été nécessaire pour mettre la main sur un chef de gouvernement improbable au vu du profil de poste. Et deux semaines n’ont pas été de trop depuis l’arrivée à Matignon de Michel Barnier, le 5 septembre, pour que le Premier ministre providentiel puisse péniblement aligner une quarantaine de noms sur la liste d’un gouvernement pourtant resserré, peinant à trouver des candidats.
39 noms
Après avoir été présentée, retoquée, remaniée, les domaines gardés et autre chasse-gardées redistribués, certaines personnalités trop clivantes écartées (la sénatrice LR Laurence Garnier, opposante au mariage homosexuel et à la constitutionnalisation de l'IVG), mais pas toutes (Bruno Retailleau, catalogué comme un conservateur à la ligne dure sur l'immigration), l’architecture s’est stabilisée sur une structure strictement paritaire de 39 ministres. Parmi eux, 17 ministères de plein exercice, parmi lesquels une douzaine hissant pavillon du camp présidentiel (Ensemble pour la République), dix représentants des Républicains (LR), trois Modem, deux Horizons et une seule personnalité de gauche.
L’arbitrage acte le maintien aux affaires du bloc présidentiel (en ayant les commandes ?) et la surreprésentation des Républicains au regard des 47 sièges à l’Assemblée sur 577. Mais un seul ministère régalien (Intérieur) leur revient et il a été confié à l’irritant vendéen Bruno Retailleau, qui a son siège au Palais du Luxembourg depuis 20 ans. Le MoDem, qui n’était pas certain de vouloir y participer, devra se contenter de trois portefeuilles (Affaires étrangères, Santé notamment) contre quatre dans le précédent, tandis qu’Horizons, le parti de l'ex-Premier ministre Édouard Philippe, hérite de deux (Solidarités, Autonomie, Égalité entre les femmes et les hommes et Économie sociale et solidaire).
Échouant à faire des prises au sein de la gauche, l’ex-commissaire européen, qui a négocié la sortie du Royaume-Uni lors du Brexit, n’est parvenu qu’à convaincre l'ancien député socialiste (jusqu’en 2010) Didier Migaud, président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, nommé à la Justice.
Jeunes et inexpérimentés ?
À peine énoncée que la liste a été réduite à son plus simple appareil : des inconnus à la moyenne d’âge considérée comme peu élevée. La plupart d’entre eux sont en effet peu connus du grand public, à l'exception des six « rescapés » du précédent gouvernement, parmi lesquels les macronistes Sébastien Lecornu (Armées) et Agnès Pannier-Runacher, ex-Agriculture promue à la Transition écologique, et d’un retour des lointains gouvernements Philippe, Castex et Borne (Geneviève Darrieussecq à la Santé). Une absence de notoriété avancée comme une tare comme si cette dernière était à la fois un marqueur de qualité du CV (en l’occurrence, les leurs sont plutôt de haut vol) et/ou une tactique pour que le nouveau locataire de la rue de Varenne ait les mains libres.
Certains sont considérés comme trop « jeunes » pour des administrations surpuissantes : le député de Haute-Savoie (macroniste), Antoine Armand (33 ans), à peine sorti de l’ENA, se retrouve à l'Économie. L’ex-DG de Business France, également marcheur de la première heure, Laurent de Saint-Martin (39 ans), écope du Budget (dont il était déjà le rapporteur général). Signal : ce dernier est placé sous la tutelle de Matignon, dans un contexte de dérapage budgétaire.
D'autres personnalités sont jugées inexpérimentées pour des maroquins sensibles (Anne Genetet à l'Éducation, terre labourée par le chef de l’État).
Duo Mer et Pêche
La Mer et la Pêche (Fabrice Loher) comme les Transports (François Durovray) deviennent des ministères délégués placés auprès du ministère du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation, dont les attributions ne seront pas connues tant que le décret d’application n’est pas publié. Sans préjuger, le prisme territorial contenue dans le titre, reste à expliciter pour les affaires maritimes, par essence internationales. Il reste aussi à apprécier les conséquences pour les administrations centrales, DGAmpa (Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture).
Le ministère de la Mer et de la Pêche a été confié au maire de Lorient UDI (union de la droite, du centre et des indépendant) depuis 2020, ville de Jean-Yves Le Drian, ex-ministre des Affaires étrangères et de l’Europe. L’ancien président du port de pêche, présenté comme le premier en France en valeur (ventes à la criée), est aussi à la tête de Lorient Agglomération. Fabrice Loher est précédé d’une réputation de connaisseur des enjeux du secteur dans sa large acceptation : de la pêche évidemment mais aussi de la décarbonation des navires, de la biodiversité des océans et des énergies marines.
Outre-Mer hors du giron de l'Intérieur
Le Rhodanien François-Noël Buffet, président LR de la commission des Lois du Sénat, où il siège depuis 2004, hérite, lui, d’un portefeuille actuellement ultrasensible alors que l’outre-Mer est traversée par des crises : en Nouvelle-Calédonie (treize personnes sont mortes dans les violences depuis mai), en Martinique (manifestations contre la vie chère), en Guadeloupe (conflit social entre la branche énergie de la CGT Guadeloupe et la direction d’EDF) et à Mayotte.
Avocat de profession, aux convictions conservatrices (contre le mariage et l'adoption aux couples de même sexe), fillonniste revendiquant ses attaches gaullistes, le parlementaire est connu pour le pilotage de dossiers sur la sécurité. Les questions ultramarines sortent toutefois du ministère de l'Intérieur où elles étaient confinées depuis le début du second quinquennat Macron en 2022. Tout un symbole.
Les Transports sans le prisme écologique
Depuis 2007, la charge est confiée à de vastes ministères, dont les dénominations ont varié, mais tous avec un prisme écologique. Les Transports sont désormais placés auprès d'un ministère du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation. Aux Transports, après un passage ajourné par des élections anticipées de Patrice Vergiete, la délégation revient au LR François Durovray. Là aussi, non sans impacts pour la DGTIM (Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités).
L'Énergie sort des griffes de Bercy
Les ONG environnementales pourront au moins se satisfaire d’un élément essentiel dans l’annonce du nouvel exécutif mené désormais par le LR Michel Barnier : l’énergie revient dans le périmètre du ministère de la Transition écologique après avoir été rattaché à Bercy via l’industrie dans le gouvernement de Gabriel Attal, ce qui les avait fortement inquiétés.
Après un passage, écourté par la dissolution surprise, à l’Agriculture, Agnès Pannier-Runacher revient aux dossiers en prise avec la crise climatique, qu'elle avait pilotés dans le gouvernement Borne (mai 2022-janvier 2024). Et ce, avec un ministère de plein droit englobant la « transition écologique », « l'Énergie », le « Climat » et la « Prévention des risques ». Des dossiers de programmation en suspens depuis des mois (PPE, stratégie nationale bas carbone) l'attendent à l'Hôtel Roquelaure.
À suivre
Des manifestations, prévues avant la présentation du gouvernement Barnier, que les organisateurs (organisations étudiantes, environnementales et féministes) savaient imminentes, ont eu lieu dans plusieurs villes de France ce samedi, jour de l’annonce, contre le déni de démocratie et « le tandem Macron-Barnier ».
La déclaration de politique générale de Michel Barnier est prévue le 1er octobre dont les grandes lignes sont déjà connues, parmi lesquelles « l'amélioration du niveau de vie et des services publics », la maîtrise (« ferme mais humaine ») de l'immigration, la « réduction de la dette écologique » et la maîtrise des finances publiques. La nouvelle équipe se réunira autour d'Emmanuel Macron ce lundi à 15H00 pour un premier Conseil des ministres.
Adeline Descamps
Liste complète du gouvernement Barnier
Dix-sept ministres de plein droit
Didier Migaud : Justice
Catherine Vautrin : Partenariat avec les territoires et Décentralisation
Bruno Retailleau : Intérieur
Anne Genetet : Education nationale
Jean-Noël Barrot : Europe et Affaires étrangères (le ministre délégué chargé de l’Europe dépend aussi du Premier ministre. C’est une première : en général, le ministre délégué à l’Europe ne dépend que du Quai d’Orsay).
Rachida Dati : Culture et Patrimoine
Sébastien Lecornu : Armées et Anciens combattants
Agnès Pannier-Runacher : Transition écologique, Énergie, Climat et Prévention des risques
Antoine Armand : Économie, Finances et Industrie
Geneviève Darrieussecq : Santé et Accès aux soins
Paul Christophe : Solidarités, Autonomie et Égalité entre les femmes et les hommes
Valérie Létard : Logement et Rénovation urbaine
Annie Genevard : Agriculture, Souveraineté alimentaire et Forêt
Astrid Panosyan-Bouvet : Travail et Emploi
Gil Averous : Sports, Jeunesse et Vie associative
Patrick Hetzel : Enseignement supérieur et Recherche
Guillaume Kasbarian : Fonction publique, Simplification et Transformation de l'action publique
Deux ministres auprès du Premier ministre
François-Noël Buffet : Outre-mer
Laurent Saint-Martin : Budget et des comptes publics
Quinze ministres délégués
Auprès du Premier ministre et du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Benjamin Haddad : Europe
Auprès du Premier ministre
Nathalie Delattre : Relations avec le Parlement
Maud Bregeon : porte-parole du Gouvernement
Marie-Claire Carrère-Gée : Coordination gouvernementale
Auprès du ministère du Partenariat avec les territoires et de la décentralisation
Françoise Gatel : Ruralité, du Commerce et de l'Artisanat
François Durovray : Transports
Fabrice Loher : Mer et Pêche
Auprès du ministre de l'Intérieur
Nicolas Daragon : Sécurité du quotidien
Auprès du ministère de l'Éducation nationale
Alexandre Portier : Réussite scolaire et Enseignement professionnel
Auprès du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Sophie Primas : Commerce extérieur et Français de l'étranger
Auprès du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
Marc Ferracci : Industrie
Marie-Agnès Poussier-Winsback : Économie sociale et solidaire, Intéressement et Participation
Marina Ferrari : Économie du tourisme
Auprès du ministère de la Transition écologique, de l'Énergie, du Climat et de la Prévention des risques
Olga Givernet : Énergie
Auprès du ministre des Solidarités, de l'Autonomie et de l'Égalité entre les femmes et les hommes
Agnès Canayer : Famille et Petite enfance.
Cinq Secrétaires d'État
Auprès du ministère de l'Intérieur
Othman Nasrou : Citoyenneté et Lutte contre les discriminations
Auprès du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères
Thani Mohamed Soilihi : Francophonie et Partenariats internationaux
Auprès du ministère de l'Économie, des Finances et de l'Industrie
Laurence Garnier : Consommation
Auprès du ministère des Solidarités, de l'autonomie et de l'égalité entre les femmes et les hommes
Salima Saa : Égalité entre les femmes et les hommes
Auprès du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche
Clara Chappaz : Intelligence artificielle et Numérique.