Pour GTT, l’année 2022 sera comme 2021 – des résultats financiers décevants mais des commandes performantes – mais pas comme les années 2019-2020. En 2020, en pleine pandémie planétaire, Gaztransport & Technigaz (GTT) avait réalisé un exercice financier d’excellente tenue, snobant la conjoncture et la structure de son marché caractérisé par l’hyper volatilité du gaz. L’entreprise s’était offert un chiffre d'affaires (composé aux 9/10e de redevances) de 396,4 M€, en croissance de 37,5 % par rapport à 2019, lequel était déjà en progression de 17 % par rapport à 2018. Et une marge hors normes à 61,2 %. L’exercice avait bénéficié de l'afflux de commandes de 2018 et 2019 pour de nouveaux navires.
En 2021, le spécialiste des systèmes de confinement à membranes pour le transport maritime et le stockage de gaz liquéfié devait se résigner à voir tous ses ratios financiers emprunter des trajectoires inverses, avec un résultat net en chute de 32,6 %, à 134,1 M€, un Ebitda en baisse de 29 % à 172,2 M€, une marge en retrait à 54,7 % et un chiffre d'affaires (314,7 M€) en contraction de 20,6 %. En grande partie du fait du décalage des échéances de livraison.
Un résultat net en repli
Coté sur le compartiment A d’Euronext Paris, GTT a présenté le 17 février à la communauté financière ses résultats annuels pour 2022. Soit un chiffre d’affaires à nouveau en repli de 2,4 % par rapport à 2021, à 307,3 M€, un résultat opérationnel avant amortissement sur immobilisations (Ebitda) en baisse de 6,4 %, à 161 M€, et un résultat net qui s’est resserré de 4,3 % pour s’élever à 128,3 M€. La marge a encore perdu deux points pour atterrir à 52,4 %.
Dans les clous des prévisions mais en baisse
L’exercice est conforme aux prévisions et le résultat d'exploitation avant intérêts, impôts et amortissement, est même supérieure aux attentes « en raison d’une bonne maîtrise des coûts », a balayé Philippe Berterottière, PDG de GTT. La forte croissance du chiffre d’affaires de 14,1 % au quatrième trimestre 2022 témoigne « de l’effet de base défavorable » dont l’entreprise a fait les frais au cours des trois premiers trimestres, fait-il valoir.
L’an dernier, à la même époque, le dirigeant avait misé sur un chiffre d'affaires consolidé compris entre 290 et 320 M€ et un Ebitda entre 140 et 170 M€. Il est donc bien dans les clous de ses prévisions, dans la fourchette moyenne.
Performance commerciale
Sur le plan commercial, le carnet de commandes reste très bien orienté avec 274 unités (dont 256 méthaniers) pour l’activité principale et 70 pour celle en lien avec le GNL carburant au 31 décembre 2022. Pour mémoire, un an plus tôt, son carnet de commandes, tous segments confondus s’élevait à 193 unités. La société bénéficie d’une forte visibilité, le chiffre d’affaires consolidé de ses contrats s’établit à 1,6 Md€ sur la période 2023-2026.
« Avec 162 commandes de méthaniers [livraison qui s’échelonne entre le troisième trimestre 2024 et le quatrième trimestre 2028, NDLR], deux commandes d’éthaniers de grande capacité et une commande d’unité flottante de stockage et de regazéification, GTT a réalisé l’an dernier une performance commerciale exceptionnelle », souligne le PDG. Le spécialiste, dont les revêtements en alliage spécifique tapissent les cuves de 80 à 90 % des méthaniers en service, a profité à plein de la forte demande de GNL, notamment en Europe, propulsée par la rupture d’approvisionnement de la Russie en gaz dans la foulée des sanctions occidentales.
Cet effet devrait être dédoublé cette année « par l’entrée en vigueur de nouvelles réglementations environnementales qui va stimuler un marché de remplacement », assure Philippe Berterottière, à la barre de l’entreprise depuis 2009.
Ouverture au marché chinois
S’agissant des navires alimentés au GNL en tant que carburant, GTT a enregistré 42 commandes sur l’exercice 2022 alors que 27 contrats avaient été engrangés au cours de l’exercice précédent. Mais la dynamique risque de s’enrayer à court terme en raison des prix élevés du GNL en Europe
L’an dernier, l’entreprise de Saint Rémy a enchaîné les accords de licence avec les chantiers chinois, s’ouvrant un peu plus le marché, alors qu’elle était surtout implantée auprès des constructeurs sud-coréens, les maîtres des méthaniers, objets flottants complexes. Cinq chantiers navals chinois sont désormais autorisés à utiliser sa technologie, dite à membranes, dont les derniers en date, Yangzijiang Shipbuilding et China Merchants Heavy Industries.
Devenir un acteur technologique de la décarbonation
Depuis quelques années, GTT déroule une feuille de route R&D en vue de « devenir un acteur technologique de la décarbonation du transport maritime ». Dans ce cadre, la société a obtenu l’an dernier quelques AiP, notamment pour le système de confinement permettant le transport de l’hydrogène liquide et la conception d’un navire de transport dans le cadre d’un accord avec Shell.
Elogen, revendiqué comme le seul fabricant en France d’électrolyseurs permettant de produire de l’hydrogène vert, sur lequel GTT a jeté son dévolu en 2020, a engrangé de nouvelles commandes portant son portefeuille à 15,4 M€. Mais son chiffre d’affaires (4,7 M€) est en retrait de plus de 6 %.
La filiale s’est vu attribuer une subvention de 86 M€ par l’État français pour son projet de gigafactory situé à Vendôme (région Centre-Val de Loire). D’une capacité de production de plus de 1 GW, sa mise en service est prévue en 2025.
Pour 2023, en l'absence de retards ou d'annulations de commandes significatives, Philippe Berterottière anticipe un chiffre d'affaires consolidé de l’ordre de 385 à 430 M€ et un Ebitda entre 190 à 235 M€.
Le conseil d’administration du 16 février 2023, a proposé un dividende de 3,10 € par action au titre de l’exercice 2022, correspondant donc à un taux de distribution de 89 % du résultat net consolidé. Il doit être validé par l’assemblée générale des actionnaires qui se tiendra le 7 juin 2023.
Cession d’Engie ?
Quant à la présence d’Engie à son capital, le géant gazier français, qui avait déjà cédé en mai 2021 une participation de 10 % puis a émis en juin 2021 des obligations échangeables à hauteur de 10 % du capital social de GTT, a annoncé en mars 2022 la « cession partielle d'environ 3 millions d'actions représentant environ 8 % du capital social » par voie de placement privé accéléré auprès d'investisseurs institutionnels. La participation d'Engie au capital de GTT devrait donc se limiter à environ 12 % du capital (contre 40 %). Si l'intégralité des obligations émises en juin 2021 ont bien été échangées.
Adeline Descamps
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GTT en Russie
Le 2 janvier 2023, le groupe a annoncé avoir cessé ses activités en Russie. Ainsi, le contrat avec le chantier naval russe Zvezda est suspendu. GTT a retiré de son carnet de commandes les 15 méthaniers brise-glace et les trois GBS correspondant à ces projets, pour un montant total de 81 M€, dont 35 millions au titre de l’exercice 2023. S’agissant des projets de GBS, les modalités du retrait de GTT sont toujours en cours de finalisation.
D’autres commandes en cours dans des chantiers navals asiatiques, portant sur six méthaniers brise-glace et deux FSU (unités flottantes de stockage), sont destinées spécifiquement aux projets arctiques russes. Á date, ces projets se poursuivent. L’ensemble de commandes représentent pour GTT un chiffre d’affaires de 24 M€, à reconnaître d’ici 2024, dont 20 M€ sur l’exercice 2023.
Enfin, huit méthaniers commandés par des armateurs internationaux, en construction dans des chantiers navals asiatiques, sont liés au projet Arctic LNG2, « mais peuvent opérer dans tous types de conditions », souligne le groupe français.
A.D.