En deux semaines, ce n’est pas une, ni deux, mais trois propositions de loi qui ont été déposées devant le bureau de l’Assemblée nationale par différents groupes politiques. La réglementation sociale encadrant la navigation transmanche, malmenée par le passage sous pavillon de complaisance des navires P&O et Irish Ferries, devrait donc bientôt connaître une amélioration.
En 2021, le lancement d’Irish Ferries sur la traversée entre Calais et Douvres s’était fait sous pavillon chypriote. En mars 2022, P&O, qui avait déjà placé certains de ses navires sous le même pavillon, a enfoncé le clou en licenciant 800 marins pour engager une main-d’œuvre à bas coût selon les normes de la navigation internationale puisque, depuis le Brexit, la traversée du Pas de Calais ne constitue plus une navigation intra-européenne.
Rejet de la charte de bonne conduite
Des deux côtés de la Manche, les politiques s’emparent du sujet. Le 8 novembre dernier, à l’occasion des Assises de l’économie de la mer, le secrétaire d’État chargé de la mer, Hervé Berville, annonce que la France va mettre la pression contre le dumping social. Le 30 novembre, il réunit les armateurs concernés pour leur présenter un projet de charte d’engagement volontaire, similaire au texte préparé de son côté par le gouvernement britannique. Cette charte de bonne conduite est soutenue par Brittany Ferries et DFDS. Elle est en revanche rejetée par P&O et Irish Ferries.
Faute de gentlemen’s agreement, c’est donc le passage par la loi qui est envisagé. Sur ce terrain, la Nupes qui dégaine en premier, avec une proposition de loi déposée le 31 janvier sur le bureau de l’Assemblée nationale par le député communiste de Seine-Maritime Sébastien Jumel, ancien maire de Dieppe. Le principe est simple : aligner les conditions applicables aux navires transmanche sur celle du pavillon français premier registre sur tous les plans (salaire, rythme de travail, etc.). Avec à la clé, pour l’employeur qui ne s’y soumettrait pas, une amende de 3 750 € par marin concerné.
Cibler le temps de travail, ou seulement le salaire
« Le but est de mettre la pression sur le gouvernement pour qu’il accélère, et le pousser à tenir bon sur le sujet dans les échanges avec les Britanniques », explique Damien Becquart, attaché parlementaire de Sébastien Jumel. Le Royaume-Uni, de son côté, travaille à un texte obligeant les exploitants à appliquer le salaire minimum britannique.
La Nupes entend soumettre sa proposition de loi au vote des députés lors de sa niche parlementaire du mois de mai prochain. Mais à peine le texte avait-il été déposé qu’une seconde proposition de loi sur le même sujet a atterri sur le bureau de l’Assemblée nationale. Également datée du 31 janvier, elle émane cette fois du groupe Renaissance et est présentée par le député du Finistère Didier Le Gac. Dans ses attendus, cette proposition revendique une « cohérence avec le projet de loi britannique ». De fait, elle se limite essentiellement à imposer le salaire minimal français aux marins travaillant sur les lignes régulières, avec pour sanction une amende de 3 750 €, doublée en cas de récidive.
Ces deux propositions de loi ont été rejointes dès le 3 février par un nouveau texte, présenté par le député Rassemblement national du Nord Pierrick Berteloot, par ailleurs ancien marin à bord des navires DFDS. Les navires de lignes régulières y sont définis comme escalant dans les ports français « toutes les 72 h en moyenne ou plus de 120 fois par an ».
Le texte, comme celui présenté par le groupe macroniste, prévoit un salaire aligné sur le SMIC. Il va plus loin en imposant un temps d’embarquement de trois semaines maximales avec un repos à terre équivalent au temps passé à bord. Il n’aligne cependant pas totalement le régime applicable sur celui du pavillon français, comme le stipule le texte du groupe Nupes. Mais il prévoit la sanction la plus sévère, avec pour chaque salarié concerné une amende de 37 500 euros applicable tant à l’employeur qu’à l’armateur.
Vers un projet de loi ?
Auditionné le 2 février par la commission des affaires européennes du Sénat, Hervé Berville a été questionné par les sénateurs sur le dumping social en Manche. Le secrétaire d’État à la mer a mis en avant la charte d’engagement volontaire et rappelé son intention de renforcer le dispositif législatif pour encadrer et contrôler davantage les entreprises qui opèrent en dehors des clous du modèle social français. Ce qu’il avait déjà dit à l’occasion des Assises de l’Économie de la mer en novembre à Lille.
Hervé Berville a annoncé que le gouvernement pourrait reprendre à son compte de la proposition de loi présentée par Didier Le Gac, qui serait ainsi inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale dès le mois de mars.
Étienne Berrier