Nouvelle étape dans le dossier ultrasensible du dumping social qui suscite beaucoup d’inquiétudes chez les armateurs français opérant en transmanche et dont le président du conseil de surveillance de Brittany Ferries, Jean-Marc Roué, s’est posé en fer de lance.
Les conditions d’exercice se sont durcis ces derniers mois sur le détroit avec l’arrivée d’Irish ferries dont les navires sous pavillon chypriote n’emploient aucun marin européen et le licenciement décomplexé sans préavis de tous les marins britanniques (786) chez P&O Ferries, immédiatement remplacés par des extra-communautaires à bas coût.
Hervé Berville, le secrétaire d’État chargé de la mer, a animé le 30 novembre une réunion avec l’ensemble des opérateurs transmanche, les dirigeants de Brittany ferries (Jean-Marc Roué) et de DFDS France (Jean-Claude Charlo) évidemment, mais aussi avec les Britanniques P&O ferries (Peter Hebblethwaite) et Irish ferries (Andrew Sheen), pour leur proposer de travailler sur une charte d’engagement volontaire.
Il s’agit de « mieux assurer des conditions de concurrence équitables sur ces routes maritimes régulières » et en « bonne articulation avec ce que le gouvernement britannique prépare de son côté », font valoir les services du secrétaire d’État.
De son côté, le ministère britannique des Transports (DfT), incarné depuis le 25 octobre par Mark Harper, a en effet entrepris en juillet, sous le précédent gouvernement Truss, un travail sur un « cadre de protection des marins » qui tient en neuf points et prévoyant notamment un « traitement et un salaire décent pour les marins dont le navire touche fréquemment les côtes de la Grande-Bretagne, indépendamment de leur nationalité ou du pavillon du navire. » Mais ce plan ne rencontre pas vraiment d’échos chez les armateurs ressortissants du Royaume.
Plusieurs engagements sur l’organisation du travail à bord, les effectifs, la protection
Le projet français, constitué d’un certain nombre d’engagements non contraignants, « a vocation à être signé par tous les armements concernés par des liaisons transmanche régulières avec la France, qu’ils soient français ou étrangers », fait valoir aujourd’hui le représentant du gouvernement français qui s’est fixé pour horizon une signature au plus tard en début d’année 2023.
Le texte comprend des engagements sur l’organisation du travail à bord fixant une période d’embarquement qui n’excède pas deux semaines, les effectifs, la protection sociale, le repos ou encore la protection légale des marins…
La question du temps d’embarquement est loin d’être anodine. Elle est un « point majeur qui constitue aujourd’hui le gros du dumping social », avait rappelé le syndicat d’officiers CFE-CGC dans un communiqué. Le recours à des marins étrangers a en effet changé la donne chez P&O où les nouvelles recrues sont soumises à des embarquements de dix-sept semaines consécutives alors que les marins européens de P&O passaient une semaine à bord pour une semaine à terre. Des conditions d’emplois peu ou prou similaires à celles de Brittany Ferries quand le rythme chez DFDS alterne deux semaines à bord pour deux semaines de repos.
Modèle social européen en question
Cette démarche vient après plusieurs semaines de remous sur ce sujet qui comporte des enjeux certes pour la persistance du pavillon français mais aussi pour le modèle social européen alors que les principaux concurrents des armateurs français sont des Britanniques opéran en dehors des règles européennes. Depuis le Brexit, la traversée de la Manche a changé de statut, passant d’une navigation intracommunautaire à une traversée internationale.
Le 26 octobre, au siège d’Armateurs de France à Paris, Hervé Berville avait réuni une première fois Brittany Ferries et DFDS France, ainsi que les organisations syndicales : CGT, CFDT et CFE-CGC pour les officiers et la CGT et CFDT pour le personnel d’exécution.
Cette rencontre faisait suite à la lettre ouverte publiée le 5 octobre par Jean-Marc Roué, dans laquelle le président de Brittany Ferries avait planté le décor sans fard. « Dix-sept ans après Irish Ferries, une nouvelle compagnie a sacrifié ses marins européens sur l’autel ultra-libéral de la compétitivité dérégulée. Par le biais d’un pavillon de complaisance, européen de surcroît, ces compagnies maritimes peuvent en effet se soustraire à l’obligation de nationalité du capitaine, des officiers et de l’équipage ».
Appel de Saint-Malo
Le président de Brittany Ferries avait été ensuite encore à l’initiative en mobilisant les élus et parlementaires bretons et normandes à Saint-Malo durant le week-end du 5 novembre, quelques jours avant les Assises de l’économie de la mer, où était attendu le secrétaire d’État à la Mer (et une forte réaction).
« Je vais répondre très concrètement à l’appel de Saint-Malo », avait lancé Hervé Berville à l’occasion des Assises de l’économie de la mer le 8 novembre à Lille, avant d’annoncer une « task force de contrôle » qui intégrera des inspecteurs du travail, pour coordonner les opérations, en appui des préfets.
Le ministre avait alors indiqué avoir missionné l’Inspection générale des Affaires maritimes et l’Inspection générale de l’Environnement et du développement durable « en vue d’étudier toutes les pistes possibles d’ici la fin de l’année », y compris une loi de police qui interdirait l’accès, au départ ou à l’arrivée d’un port français, à tous les navires qui pour des liaisons régulières, ne respecteraient pas des normes sociales élevées.
Un amendement au PLFSS 2023
Il entendait proposer un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2023), espérant que les parlementaires des régions concernés se saisiront du dossier.
Pour l’instant, le président de Région (LR) des Hauts-de-France Xavier Bertrand s’est ralliée à la charte, selon les déclarations du ministre d’Emmanuel Macron. « Je me félicite que la Région des Hauts-de-France, qui fait partie des régions concernées, par la voix de son Président Xavier Bertrand, soutienne la démarche de cette charte d'engagement des armateurs proposée par le gouvernement français. »
Adeline Descamps