Jean-Marc Roué, le président du conseil de surveillance de Brittany ferries, qui a fait beaucoup de bruit ces derniers mois pour alerter sur la montée d’un dumping social sans foi ni loi en Manche, attendait des annonces du gouvernement. La concurrence s’est exacerbée ces derniers mois sur le détroit avec l’arrivée d’Irish ferries dont les navires sous pavillon chypriote n’emploient aucun marin européen et le licenciement sans préavis de tous les marins britanniques chez P&O Ferries, immédiatement remplacés par des extra-communautaires à bas coût.
C’est aussi l’ex-président d’Armateurs de France qui a initié le week-end dernier ledit « appel de Saint Malo », expression que le secrétaire d’État à la mer Hervé Berville a repris à son compte dans la réponse que son gouvernement entendait apporter au phénomène.
Après avoir provoqué une rencontre au siège d’Armateurs de France entre les compagnies opérant sur le transmanche (Brittany Ferries et DFDS), les organisations syndicales et le secrétaire d’État, Jean-Marc Roué a organisé le 5 novembre à Saint-Malo une nouvelle session des Rencontres du transmanche en présence d’une quinzaine d’élus et des deux opérateurs de la ligne, Eurotunnel et DFDS. Une occasion pour mobiliser les élus sur le risque de disparition que le nivellement par le bas des normes sociales fait peser sur le pavillon français.
Après covid et post-Brexit
Brittany Ferries vient de présenter les résultats d’une première saison (novembre 2021 et octobre 2022) sans Covid. Les années d’après covid et post-Brexit se révèlent toujours difficiles pour la compagnie bretonne. Le volume fret vers le Royaume-Uni n’a pas retrouvé les niveaux de 2019, affichant une baisse de 27 % (115 376 unités transportées) sur les liaisons entre la France et la Grande-Bretagne et de 22 % (28 618 unités) entre la Grande-Bretagne et l’Espagne. Quant aux passagers, les flux sont en baisse de 35 % avec 1,22 million de personnes ayant transité en Manche. En revanche, la sortie du Royaume-Uni de l’UE, devenant ainsi un pays tiers, a ouvert à la compagnie la voie aux routes maritimes directes vers l'Irlande, pour éviter le transit par le Royaume-Uni.
Task force de contrôle
« Je vais répondre très concrètement à l’appel de Saint-Malo », a lancé Hervé Berville à l’occasion des Assises de l’économie de la mer le 8 novembre à Lille. Nous avons, à partir de cette semaine, renforcé fortement les contrôles des navires dans le transmanche pour montrer notre exigence en termes de niveau de protection sociale pour les marins. Hier, le 7 novembre, un contrôle drastique a été opéré à ma demande sur un navire d’Irish ferries avec tous les services de mon ministère et du préfet de région qui a été d’ailleurs d’une redoutable efficacité. Nous poursuivrons ce type de contrôle. » Une « task force de contrôle » intégrera des inspecteurs du travail, pour coordonner les opérations, en appui des préfets.
« Redoutable efficacité » ? « Dans le sens où le contrôle a été dissuasif, répond le ministre. On invite à opérer avec des normes sociales décentes sans quoi ils n’auront plus accès à nos ports », précise-t-il. Le ministre a missionné l’Inspection générale des Affaires maritimes et l’Inspection générale de l’Environnement et du développement durable en vue d’étudier toutes les pistes possibles d’ici la fin de l’année, y compris une loi de police qui interdirait l’accès, au départ ou à l’arrivée d’un port français, à tous les navires qui, pour des liaisons régulières, ne respecteraient pas des normes sociales élevées.
« Je vous annonce aujourd’hui que je proposerai un amendement au PLFSS 2023 [projet de loi de financement de la sécurité sociale, NDLR] pour rendre opérationnelle cette loi de police », explique Hervé Berville, espérant que les parlementaires des régions concernés se saisiront du dossier.
Former une coalition d’États
Mais le représentant du gouvernement, qui attend que son homologue outre-Manche soit nommé pour aborder la question avec lui, veut aller au-delà du transmanche. « Avec mon collègue Clément Beaune [Ministre délégué chargé des Transports, NDLR], nous porterons ce message auprès de nos voisins et comme je l’ai fait il y a deux semaines en me rendant en Espagne. L’idée est de former une coalition d’États qui partagent notre ambition sur le modèle social avec l’objectif d’étendre le dispositif de l’État d’accueil pour l’intra-européen. »
Dans une logique proche, le gouvernement entend aussi imposer aux navires en opération sur l’éolien en mer, dans les eaux françaises, ZEE comprise, de respecter le dispositif de l’État d’accueil, soit un niveau social très exigeant. Le projet de loi sur l’accélération des énergies renouvelables prévoit aussi que les transports effectués entre les ports de France seront réservés aux navires qui respectent un niveau social minimum.
« J’ai proposé au Parlement d’inscrire dans la loi la possibilité de contrôler et donc de sanctionner les armements, y compris européens, qui ne respecteraient pas en cabotage dans nos eaux les dispositions sociales minimales de notre pays. Nous devons être vigilants sur ce point sur toutes nos façades, notamment en Méditerranée. »
Adeline Descamps