Plus de neuf mois après le début de la guerre en Ukraine, s’engageant à ne plus entreprendre de nouveaux projets en Russie mais sans s’obliger à se retirer franchement alors que ses concurrents directs BP, Shell ou encore Equinor ont rapidement manifesté leur retrait de toutes les affaires en Russie, TotalEnergies prend ses distances avec son partenaire russe historique Novatek.
Le groupe pétrolier français a décidé de ne plus comptabiliser dans ses résultats la participation de 19,4 % qu’il détient dans le premier producteur privé et second producteur de gaz naturel de Russie et dont il perçoit toujours des dividendes. Il annonce en outre son retrait du conseil d'administration, où le Français était représenté par deux personnes, avec « effet immédiat », fait valoir un communiqué en date du 9 décembre.
Compte tenu des sanctions européennes en vigueur depuis le début du conflit, les deux administrateurs sont conduits à s’abstenir lors des séances du conseil, notamment sur les questions financières. « Ils ne sont donc plus en mesure d’assurer pleinement leur mission au sein de ce conseil, ce qui pourrait poser des problèmes de gouvernance à cette société », précise TotalEnergies.
BP, Shell, Equinor font le ménage dans leurs participations, TotalÉnergies esquive
Retrait progressif sans céder sa participation
A l’instar de la compagnie pétrolière britannique BP qui a évoqué pour sa part une « cession complexe » avec Rosneft , la major française indique ne pas être en mesure « de céder sa participation compte tenu des accords en vigueur entre actionnaires, puisqu’il lui est interdit de vendre des actifs à un des principaux actionnaires de Novatek en raison des sanctions le visant. » Il s’agit en l’occurrence de Guennadi Timchenko, un homme d'affaires russo-finlandais.
TotalEnergies a aussi souligné que son « retrait progressif » se ferait « en veillant à poursuivre l'approvisionnement en GNL de l'Europe ».
BP détient toujours 19,75 % de Rosneft
Une perte comptable de 3,7 Md$
Pour couvrir son désengagement, le groupe va inscrire une dépréciation d’environ 3,7 Md$ dans ses comptes, la quatrième perte comptable au titre de ses activités en Russie (14,4 Md$ depuis le début de la guerre).
Il a maintenu jusqu’à présent la plupart de ses investissements en Russie depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine en février, notamment parce qu’il est sans doute celui qui a le plus à perdre même si la Russie ne représente que 3 à 5 % de ses revenus totaux. En 2020, le pays a représenté 16,6 % de la production annuelle d’hydrocarbures et de gaz naturel du français.
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Une forte présence en Arctique
Aux côtés de Novatek, TotalEnergies détient une participation de 20 % dans Yamal LNG, qui exploite les ressources de gaz du champ South Tambey sur la péninsule de Yamal au nord-ouest de la Sibérie. Il est exploité par un consortium international qui réunit autour de Novatek (50,1 % des parts) et outre Total, CNPC (20 %) et Silk Road Fund (9,9 %). Opérationnel depuis 2017, le complexe dispose d’une capacité de production de 20 Mt de GNL. Il fournit principalement l’Europe et la Chine.
Il est également engagé à hauteur de 10 % dans le projet clone, Arctic LNG 2, également porté par le grand producteur de gaz russe. Il concerne cette fois le gisement onshore d’Utrenneye dans la péninsule de Gydan. Il est prévu trois trains de liquéfaction d’une capacité de 6,6 Mt/an et il doit servir principalement l’Asie. La mise en service a été décalée en 2023
Des enjeux financiers conséquents
« La société française ne souhaite pas pour l’instant se désengager car il y a des intérêts de deux ordres : à la fois de propriété sur ses investissements et dans les contrats d’approvisionnement de long terme », expliquait Hervé Baudu, professeur de sciences nautiques à l'ENSM et spécialiste des enjeux maritimes arctiques. « Total a droit à un pourcentage de la production de Yamal à des taux préférentiels, sur une certaine quantité, pendant vingt ans. Au-delà du moins à gagner réel, l’entreprise devra s’approvisionner sur d'autres marchés, là où les prix ne seront pas tout à fait les mêmes. La perte sèche peut affecter une part significative de son chiffre d'affaires.»
« Dénoncer unilatéralement nos contrats de gaz de long terme avec la Russie obligerait le groupe à verser 40 à 50 milliards de pénalités aux Russes. Ce n'est pas raisonnable », avait pour sa part expliqué Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies.
Adeline Descamps