Tour à tour, les grandes compagnies pétrolières européennes annoncent la cession de leurs participations dans des projets russes et/ou la suspension de leurs activités dans le pays. Le groupe pétrolier BP avait ouvert le feu le dimanche 27 février, trois jours après l’invasion de l’Ukraine par Russie, en annonçant son intention de céder sa participation de 19,75 % dans le capital du deuxième producteur russe de pétrole Rosneft et son retrait des autres activités en Russie où il est présent depuis 30 ans.
Les sanctions n’avaient jusqu’alors pas touché le secteur énergétique russe. Le directeur général de BP, Bernard Looney, a également démissionné du conseil d’administration de l’entreprise détenue par l'État russe « avec effet immédiat ». BP est le deuxième actionnaire de Rosneft après l'État russe. Sa participation était valorisée à 14 Md$ fin 2021.
Le retrait de la compagnie pétrolière britannique aura un effet comptable sur ses prochains résultats trimestriels, en amputant de 2 Md$ son bénéfice d'exploitation. Le géant pétrolier britannique a publié début février un bénéfice net de 7,6 Md$ pour 2022 et un chiffre d'affaires de 157,7 Md$, tirés par l'envolée du prix des hydrocarbures.
Shell et Gazprom
Shell a suivi le 28 février, son conseil d'administration évoquant la vente de ses parts dans plusieurs projets communs avec le groupe russe Gazprom et ses filiales, à l’instar du projet Sakhalin-II où avait été ouverte la première unité de production de GNL en Russie et dans lequel l’entreprise détient 27,5 % après en avoir pris le contrôle à hauteur de 55 %.
En 2007, la compagnie avait été contrainte de céder des parts au profit de Gazprom, sur fond de reprise en main des actifs énergétiques du pays par l'État russe. Le groupe pétrolier abandonne en outre le gazoduc Nord Stream 2, achevé mais suspendu par le législateur allemand et ce, bien avant le conflit. Il avait financé jusqu'à 10 % des 9,5 Md$ investis dans sa construction.
Ses autres engagements concernent les gisements en Sibérie de Salym et Guydan, dans lesquels il détient 50 %. À la fin de 2021, les parts de Shell dans des entreprises russes valaient 3 Md$ et avaient généré un bénéfice de 700 M$.
Equinor, fin de partie avec Rosneft
Le même jour, Equinor a fait des annonces similaires. Contrôlé à 67 % par l'État norvégien, le fleuron national de l'énergie disposait fin 2021 de 1,2 Md$ d'actifs en Russie, où il est lié depuis 2012 au groupe pétrolier Rosneft.
L’étau se resserre sur TotalÉnergies, qui maintient son statu quo. Le groupe français est sans doute celui qui a le plus à perdre et qui, jusqu’à présent, a tendance à diluer ses réponses, rappelant notamment que la Russie ne représente que 3 à 5 % de ses revenus totaux. En 2020, la Russie a représenté 16,6 % de la production annuelle d’hydrocarbures et de gaz naturel du français. Pour l’heure, il a juste concédé qu’il ne s’engagerait pas dans de nouveaux projets aux intérêts russes.
TotalÉnergies est actionnaire à 19,4 % du géant du gaz russe Novatek et détient une participation de 20 % dans Yamal LNG, qui a produit plus de 18 Mt de GNL en 2020 en exploitant les ressources de gaz du champ South Tambey sur la péninsule de Yamal au nord-ouest de la Sibérie.
Le groupe très engagé dans le GNL détient aussi une participation de 10 % dans Arctic LNG 2, clone de Yamal LNG, également porté par le grand producteur de gaz russe. Il concerne cette fois le gisement onshore d’Utrenneye dans la péninsule de Gydan. Il est prévu trois trains de liquéfaction d’une capacité de 6,6 Mt/an pour une production annuelle de 20 Mt. La mise en service est prévue en 2023 pour atteindre en 2026 sa pleine capacité.
Novatek est détenue à près de 10 % par Gazprom et son dirigeant et principal actionnaire, Leonid Mikhelson, a plusieurs fois été ciblé par des sanctions américaines du fait de ses liens avec Vladimir Poutine.
Technip Energies et Engie ?
Total n’est pas le seul en France dont la position est traquée. Le groupe parapétrolier Technip Energies est aussi exposé à la Russie en étant partie prenante de Arctic LNG 2 tandis qu’Engie est partenaire du gazoduc NordStream 2 mais dont la « participation a été convertie en un prêt », a précisé Bruno Le Maire.
Invité de la matinale de France Info le 1er mars, le ministre français de l'Économie a évoqué les cas français et reconnu qu’il y a « un problème de principe à travailler avec des personnalités proches du pouvoir russe » et ajouté qu’il devait s’entretenir avec Patrick Pouyanné, le PDG de TotalÉnergies.
Adeline Descamps
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