L’armateur a mis du temps avant d’arbitrer. L’entreprise a longtemps été dans la zone de l’entre-deux, de celles qui n’ont pas de stratégie de décarbonation strictement arrêtée. Ce n’est qu’en mai 2021 que MSC avait rejoint le camp des pragmatiques, ceux qui considèrent qu’un carburant de transition, si imparfait soit-il, peut déjà opérer sur les émissions bannies par l’OMI, l’autorité de régulation du transport maritime. Qu’il « vaut mieux agir tout de suite » plutôt qu’attendre, sans garanties, les carburants de rupture radicale tels que l’hydrogène, l’ammoniac ou le méthanol, pour lesquels il reste de nombreux verrous technologiques et réglementaires à lever.
Le leader mondial de la ligne régulière y est cependant allé à tâtons, avec un risque mesuré, en concluant des contrats d'affrètement à long terme pour onze porte-conteneurs de 15 300 EVP configurés pour le GNL avec le singapourien Eastern Pacific Shipping, grand bailleur mondial de navires.
Actuellement, sur un carnet de commandes consolidé, qui compte 77 navires (soit une capacité supplémentaire de 1,2 MEVP), 32 seront propulsés au GNL et une vingtaine en « LNG ready », prêts à être convertis.
Trois grandes premières
Le 24 mars, le chantier naval chinois Yangzijiang Shipbuilding a livré au leader mondial de la ligne régulière le MSC Washington, porte-conteneurs de 14 280 EVP auquel Alphaliner attribue plusieurs critères inédits.
Outre le fait d’ouvrir la séquence des livraisons au GNL pour l’armateur italo-suisse, le néo-panamax est le seul à ce jour à être doté de cuves de GNL de type C (sphérique et non prismatique, prévues et renforcées pour transporter le gaz liquéfié par compression). Il y a actuellement trois techniques de fabrication des cuves : à membrane (type A), souvent intégrées à la coque, à sphères (Types B et C) et prismatique (type B). Le type C est souvent réservé aux navires de petite taille ou à faible rayon d'action, la contenance étant relativement réduite. Celle du MSC est hors norme de ce point de vue avec sa capacité de 12 300 m3
Il est en outre l’unique navire de 14 000 EVP en mesure d’embarquer 20 rangées de conteneurs bien qu’il ne mesure que 335 m. C’est-à-dire autant qu’un navire long de 365 m et bien que la cuve consomme plusieurs centaines d’EVP.
Enfin, il est financé par Tiger Group Investments, qui a commandé deux navires en mars 2020 pour un montant de 115 M$ l’unité. Le MSC Washington sera, comme son sisterships MSC Virginia, géré par Greathorse Shipping, une société de Tiger Group.
MSC en pole position pour les commandes
Si les très grands porte-conteneurs, ceux de 24 000 EVP accaparent tous les regards, ils ne figurent pourtant pas dans la classe des navires les plus plébiscités par les commandes.
Seul 10 mégamax rejoindront la flotte mondiale de lignes régulières en 2022 mais là aussi MSC est, avec Evergreen, le seul destinataire. En 2023, MSC sera encore au programme mais rejoint par ONE, Hapag-Lloyd et OOCL. En 2024, Hapag-Lloyd et OOCL recevront d'autres unités de leurs séries respectives de douze navires, avant que les livraisons des plus grands ne s'épuisent. Sur les 728 livraisons programmées entre 2022 et 2024, cette catégorie totalisent 52 unités (1,28 MEVP).
En revanche, les néo-panamax (12 000-16 000 EVP) – des unités de 330 à 366 m de long avec 19 à 20 rangées de conteneurs dans la classification d’Alphaliner –, dominent la majorité de la capacité mise en service d’ici fin 2024 : 209 navires, totalisant 3,04 soit 52,7 % du carnet de carnet de commandes mondial de 5,77 MEVP (sur la base des commandes confirmées, sans les options). Les huit premiers transporteurs de la classe mondiale doivent tous en recevoir, à l'exception de Cosco et de HMM, qu'ils soient en pleine propriété, affrétés (auprès de EPS, Seaspan, Shoei Kisen) ou les deux.
On prête au japonais ONE l’intention de passer commandes de 10 unités de 13 000 EVP, probablement confiés à parts égales à Imabari au Japon et Hyundai en Corée du Sud pour des livraisons attendues à partir de la mi-2025.
Jusqu’alors limités aux lignes principales est-ouest, cette lignée de porte-conteneurs a colonisé de nombreux services de second rang, vers l'Inde, l'Afrique occidentale et les côtes américaines.
GNL, méthanol ou ammoniac ?
À moins d'un an de l'entrée en vigueur des normes plus strictes de l'OMI en matière d'émissions de carbone, il n'y a toujours pas consensus autour de la voie la plus vertueuse. Dans l’expectative, l’option « ready to », prêt à être converti à un carburant alternatif, que ce soit le GNL, le méthanol voire l’ammoniac, rencontre un certain succès.
Pour ce qui est des navires destinés à fonctionner dès le premier jour avec de nouveaux carburants, seuls ceux au GNL et au méthanol ont attiré des commandes : 127 unités, totalisant 2,16 MEVP de capacité, dont 12 dans la classe des mégamax (23-24 000 EVP) et 73 dans celle des néo-panamax (1,11 MEVP). Le seul CMA CGM absorbe 44 unités au GNL sur une flotte de 560 navires tandis que Maersk a passé commande de 12 unités de 16 000 EVP au méthanol (+ un feeder).
Pas de consensus
Le GNL continue de diviser. La Banque mondiale a même franchi un cap dans le rejet. Le bailleur de fonds international s’est positionné l’an dernier et, étude à l’appui, a recommandé aux États de cesser de financer des infrastructures de soutage de GNL, imputant les fuite de méthane, aux effets sur le réchauffement de la planètre autrement plus néfastes que le CO2. Disposant d’un statut d'observateur à l'OMI en tant qu’entité des Nations unies, la Banque mondiale a consigné ses avis dans un rapport très critique soumis fin octobre à l'OMI.
Selon les chercheurs, l'utilisation du GNL ne permettrait au mieux qu’une réduction de 8 % des émissions de gaz à effet de serre (celles visées par les nouvelles réglementations) et au pis, une augmentation de 9 %.
En 2021, un total de 561 porte-conteneurs avaient été commandés contre 114 en 2020 et 107 en 2019. Les commandes ont totalisé 43,39 Md$. Les chantiers chinois, sud-coréens et japonais en ont accaparé 314, soit 65,8 % du total mondial.
Adeline Descamps