Alors que se tient à Glasgow la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique (COP26), le méthane s’est invité à la marge. Plus de 90 pays ont signé un engagement mondial visant à réduire ses émissions de 30 % d'ici 2030. Sa mise au ban met à nouveau en cause le GNL, un des rares carburants alternatifs disponibles à l’échelle.
Décarbonation du transport maritime, combien de divisions ? De nombreuses chapelles. Toutes les associations représentants les intérêts les plus divers du secteur, quel que soit le segment, sont sorties du bois à l’occasion du sommet mondial sur le climat (COP26) qui se tient actuellement à Glasgow. Comme une mise en voix dans la perspective du prochain Comité de protection sur l’environnement à l’OMI (MEPC) qui se tiendra du 8 au 12 novembre dont les dernières sessions compte des négociations décisives poour définir les conditions de la mise au pas environnementale du transport maritime.
Depuis quelques semaines, en amont de la COP26, les associations professionnelles font du battage médiatique. Elaboré par la coalition Getting to Zero, fruit d’un partenariat entre le Forum maritime mondial, le Forum économique mondial et Friends of Ocean Action, un « Call to Action » pour tendre au plus vite une « navigation à émission zéro d'ici 2050 » a déjà engrangé plus de 200 signatures à ce jour, parmi lesquelles, de grands armateurs et chargeurs, des sociétés de classification, des ports, des banquiers, des fournisseurs de carburants… Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, s’est aussi rallié à l’initiative. L’appel n’est pas non plus passé inaperçu auprès du président de la COP26, Alok Sharma, qui s’en fait le relais avant l’ouverture du rendez-vous dont il est le maître de cérémonie.
Déclaration universelle pour une décarbonation complète
Emmenés par le Danemark, quatorze pays*, où le secteur maritime pèse, viennent aussi de publier une « Déclaration sur le transport maritime à émission zéro d'ici 2050 ». La France s’est inscrite dans ce champ cantique en faveur de mesures de réductions in extenso et d’objectifs plus stricts pour 2030 et 2040 de façon à ce que le transport maritime soit en mesure d’être à « émissions nulles » d'ici 2050.
Toutes ces initiatives émergent dans un moment de grande confusion alors que l’organisation régissant le transport maritime, l'Organisation maritime internationale (OMI) – instance où le consensus est souverain (un groupe ne peut pas avancer plus vite que son membre le moins ambitieux) – patine dans ses ambitions fixées en 2018, à savoir réduire ses émissions de GES d'au moins 50 % d'ici 2050 par rapport à 2008.
Pour certains dirigeants maritimes, il s'agissait d'une première étape importante. Mais compte tenu des évolutions technologiques et surtout des dernières données scientifiques alarmantes du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat GIEC (réchauffement climatique en passe d'atteindre 2,7°C d'ici la fin du siècle, alors que le consensus scientifique veut que tout dépassement de 1,5°C soit catastrophique pour l'humanité), ils estiment qu’il est désormais temps d’allonger le pas avec des objectifs plus ambitieux. Message : le transport maritime ne doit pas se défiler, même si l'OMI semble filer. Et ce d’autant plus que la pandémie laisse en héritage des pénuries d’énergies qui ont réouvert la voie embarassante aux encombrants charbon et pétrole.
Tapage médiatique
Dans ce tapage contre une progression léthargique, la question du méthane a rebondi. Plus de 90 pays ont signé un engagement mondial visant à réduire de 30 % d'ici 2030 les émissions de ce deuxième gaz à effet de serre lié à l'activité humaine après le dioxyde de carbone mais autrement plus puissant pour son effet sur le réchauffement, 82 fois plus important par kg sur un horizon de 20 ans.
Les États-Unis et l'UE sont à la tête de cette vaste initiative, à laquelle se sont ralliés le Canada, la Corée du Sud, le Vietnam, la Colombie ou l'Argentine, mais méprisés par la Chine, l'Inde et la Russie. Les signataires de cet engagement représentaient 70 % du PIB mondial, selon Washington, qui va plus loin encore en édictant une série de nouvelles réglementations visant l'industrie pétrolière et gazière (installations existantes et à venir) astreintes à réduire collectivement de 41 Mt les émissions de méthane de 2023 à 2035, soit l'équivalent de 920 Mt de CO2, a précisé l'agence américaine de l’énergie (IAE). L’entrée en vigueur pourrait intervenir avant la fin 2022.
Méthane, épée de Damoclès pour le GNL
Les rejets de méthane dans l’atmosphère sont une épée de Damoclès pour les GNL en tant que carburant marin alors que les armateurs convertis sont de plus en plus nombreux. Selon les données de Clarksons arrêtées fin septembre, 704 navires, représentant 0,7 % de la flotte marchande mondiale, sont configurés pour être propulsés au GNL alors qu’une part non négligeable de 28,8 % en tonnage brut sortira des chantiers navals avec une configuration bicarburant.
Dans son rapport publié en août, le GIEC s'est attaqué pour la première fois au méthane émis par les navires au GNL et même à la production de gaz naturel liquéfié. Selon les experts, environ 0,3 °C des 1,1 °C de réchauffement de la planète lui est dû.
La dernière étude en date de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), appellant à ne plus investir dans des projets en lien avec le pétrole, le gaz naturel et le charbon ainsi que les mises en garde de la Banque mondiale, à l’endroit du GNL lui promettent un destin contrarié.
L’un des plus grands bailleurs de fonds mondial recommande sans demi-mesure de s'abstenir de soutenir ou d'investir dans des infrastructures de transport maritime au GNL et de réglementer plus sévèrement les émissions de méthane. Disposant d’un statut d'observateur à l'OMI en tant qu’entité des Nations unies, la Banque mondiale a consigné ses avis dans un rapport très critique qu’elle a soumis fin octobre à l'OMI, dans la perspective du prochain MEPC.
De plus en plus d’armateurs convertis au GNL
Les partisans du GNL ne désarment pas pour autant, le lobbying le plus puissant étant porté par Sea-LNG, qui oppose aux railleries des « progrès significatifs » dans la maîtrise du process : des réductions de GES allant jusqu'à 23 % (par rapport au carburants conventionnels, en chaîne complète et en intégrant les fuites de méthane) seraient réalisables dès à présent en utilisant le GNL comme carburant marin. Voire « avec la possibilité d'arriver à zéro grâce au bio-GNL et au GNL synthétique sans nécessiter de modification coûteuse comme l'a démontré le récent avitaillement du M/V ElbBlue d'Unifeeder avec du GNL synthétique ».
Ces données ont été recueillies dans le cadre d’une étude qui a évalué les principaux types de moteurs et sources d'approvisionnement mondiales, grâce aux données fournies par les motoristes – Caterpillar MaK, Caterpillar Solar Turbines, GE, MAN Energy Solutions, Rolls Royce (MTU), Wärtsilä et Winterthur Gas & Diesel – ainsi que par les fournisseurs de carburants, ExxonMobil, Shell et Total. Elle soutient, que d'ici 2030, le « glissement de méthane » aura été « pratiquement éliminé » grâce aux améliorations technologiques.
Dans sa dernière note, Alphatanker faisait valoir que le glissement de méthane est minime dans les moteurs haute pression de dernière génération et que les moteurs basse pression, considérablement améliorés, permettent déjà une réduction substantielle du phénomène.
Une excuse pour justifier l’inaction ?
Le Japon a pour sa part annoncé un nouveau programme de recherche visant à réduire de 70 % les émissions de méthane des navires alimentés au GNL au cours des six prochaines années. Cet objectif serait obtenu en combinant l’utilisation de catalyseurs et des améliorations des moteurs. Le système sera testé sur un vraquier construit par Namura Shipbuilding et exploité par MOL.
« Les arguments relatifs au glissement de méthane ne sont qu'une excuse pour dénigrer le GNL et justifier l'attente et l'inaction, assène Sea-LNG. On oublie souvent que tous les carburants synthétiques, tels que le GNL synthétique, l'ammoniac et le méthanol verts, sont dérivés du même élément constitutif : l'hydrogène produit par électrolyse à partir d'électricité renouvelable. Par conséquent, ils sont tous confrontés au même défi : le besoin de quantités massives d'énergie renouvelable qui n'existent pas aujourd'hui. Des centaines de milliards de dollars devront être investis pendant des décennies avant que ces carburants puissent atteindre le niveau nécessaire pour servir l'industrie maritime ». Comprendre : ne pas attendre indéfiniment et agir immédiatement. Le pragmatisme contre l’attentisme, suggèrent à peine les avocats du GNL.
Adeline Descamps
* dont l’Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Finlande, Honduras,Hongrie, Islande, Îles Marshall, Norvège, Panama, Suède…