COP26 : Agitation et remous dans le transport maritime

À la veille de l’ouverture de la 26e session de la Conférence des Nations Unies sur le climat, l'ambiance est électrique. La publication d’une étude par le Maersk Mc-Kinney Møller Center n’y est pas étrangère. Elle pointe les éléments essentiels dont le secteur a besoin pour se frayer un chemin vers le zéro émission en 2050. À savoir les conditions politiques, techniques, économiques et commerciales.

Elles ne sont pas toutes du même cru. Certaines ont imprimé plus que d’autres. La 21e session de la Conférence des Nations Unies sur le climat (COP 21) à Paris en 2015 a une rémanence particulière en tant que véritable marqueur d'une prise de conscience des responsabilités humaines sur le réchauffement de la planète. Cette année-là, un traité historique et universel a engagé les États signataires à maintenir les températures mondiales « bien en dessous » de 2°C par rapport à l'époque préindustrielle et de préférence à 1,5°C.

Six ans plus tard, alors que la planète envoie régulièrement des messages d’alertes – incendies, inondations, températures anormalement élevées en Sibérie, sécheresse extrême, cyclones, ouragans et tempêtes en taille XXL –, l’accord-cadre, entré en vigueur le 4 novembre 2016, est resté une lettre d’intention. L’objectif de maintenir les températures mondiales au plus près d'1,5°C de réchauffement d'ici 2100 n’est radicalement plus réaliste ou du moins pas au rythme des engagements actuels des États. On va droit dans le mur, disait en substance le rapport rendu en août par le Groupe international d'experts sur le climat (Giec). La COP26, organisée par le Royaume-Uni en partenariat avec l'Italie, dans la ville écossaise de Glasgow, revêt dans ce contexte un caractère d’urgence et sonne comme une opération ultime pour soulager une Terre malade et donner une chance de survie aux prochaines générations, comme l’énoncent les scientifiques.

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Hystérisation

À quelques jours de l’ouverture, la conférence onusienne sur le climat met la pression sur les décideurs du globe et électrise et hystérise à la marge. Le transport maritime, qui n’avait pas été curieusement abordé par l’Accord de Paris mais qui sera probablement inclus dans la future version, s’agite dans tous les sens. Représentant 3 % des émissions mondiales, le secteur a une dette envers la planète. Et même s’il présente la plus faible intensité d'émissions en termes d'équivalent CO2/tonne-km, il y a urgence à décarboner au vu de la croissance des échanges mondiaux et donc de la demande de transport si bien qu’il pourrait être responsable de 5 à 8 % des émissions mondiales d'ici à 2050.

L’agitation n’est en fait que la traduction d’un trouble : le chemin vers la décarbonation pour le transport maritime est certes pavé de bonnes intentions mais jalonné d’embûches qui retarderont ou même empêcheront la transition si elles ne sont pas déjouées. Les décisions d’investissement doivent se prendre maintenant, insistent les différentes représentations du secteur. Or, elles sont fortement tributaires de technologies nouvelles et inconnues, de types de carburants non disponibles et d'une réglementation qui n'est pas encore en place. 

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Impatience et urgence

L’impatience se manifeste. Comme en témoigne un appel à l’action signé plus de 200 chefs d'entreprises et organisations représentant l'ensemble de la chaîne de valeur*. « Il s’agit d’un signal fort à l’attention des gouvernements qui se réunissent à Glasgow », explique Johannah Christensen, directrice générale du Forum maritime mondial, à l’initiative de cette action aux côtés de la coalition Getting to Zero. « Il est temps d'élever les ambitions. Si les gouvernements veulent être des héros du climat lors de la COP26, ils doivent également l'être au sein de l'OMI, où une action urgente est nécessaire pour aligner le transport maritime sur l’Accord de Paris. »

Plus précisément, les signataires appellent les gouvernements à mettre en place les cadres politiques « qui feront du transport maritime à émission zéro le choix par défaut d'ici 2030 » – autrement dit des mesures basées sur le marché – et « à soutenir les investissements nécessaires » pour en atténuer les risques financiers. 

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Un sommet maritime en parallèle

« La plus grande assemblée de dirigeants des plus grandes entreprises de transport maritime, de l'énergie et de la finance, des ministres et représentants d'États maritimes se réunira pour une conférence historique sur la décarbonation lors de la COP26 », annonce de son côté l’ICS, la Chambre maritime internationale.

Pour cet événement (sponsorisé par MSC avec le concours de DNV, BP et Hapag Lloyd) programmé en marge de la COP 26, le 6 novembre au centre de technologie et d'innovation de l'université de Strathclyde, et intitulé Shaping the Future of Shipping (« façonner l'avenir du transport maritime »), l’organisation a sollicité le haut de la pyramide de ses membres. Ont été confirmés Christine Cabau-Woehrel, à la tête des actifs industriels du groupe CMA CGM, Rolf Habben Jansen, patron de Hapag-Lloyd AG, Bud Darr, vice-président de MSC Group, Lasse Kristoffersen, PDG de Torvald Klaveness, Jeremy Nixon, CEO de ONE, Vandita Pant, directeur commercial du géant minier BHP, Svein Steimler, PDG de NYK Europe, Bo Cerup-Simonsen, PDG de Maersk McKinney….

Taxe carbone et mécanisme de marché

 « Les discussions sont destinées à alimenter les États en solutions et propositions pour la conférence sur le climat et la prochaine réunion à l'OMI [Comité de protection du milieu marin, MEPC 77, qui se réunit du 22 au 26 novembre, NDLR] », indique l’ICS. L’organisation ne manquera pas de réactiver l’idée d’une taxe sur le carbone appliquée aux navires de plus de 5 000 tonnes brutes par le biais d'un mécanisme mondial fondé sur le marché. Tous devraient aussi sans doute vanter l’intérêt de la création d’un fonds de R&D financé par une contribution obligatoire prélevée auprès des compagnies pour financer la révolution de propulsion qui sera nécessaire pour désintoxiquer un secteur abonné aux énergies fossiles.

Agitation impatiente

En publiant « la stratégie nécessaire pour la transition vers un transport maritime à émissions nulles », le Maersk Mc-Kinney Møller Center for Zero Carbon Shipping n’est pas étranger à l’agitation ambiante. C’est la première publication émise par ce centre de recherche et de connaissances créé en juin 2020 par un consortium d’entreprises dont Maersk, ABS, Cargill, MAN Energy Solutions, Mitsubishi Heavy Industries, NYK Lines ou encore Siemens Energy.

« Et elle ne sera pas la dernière, indique la préface de ce document de 69 pages. Nous serons amenés à publier des documents stratégiques similaires afin d'exposer notre vision et fournir nos recommandations sur la base des dernières recherches et connaissances. Nos points de vue évolueront à mesure que les nouvelles technologies arriveront à maturité et que la réglementation changera. » 

Réussir dans quatre domaines

En attendant, au grand mérite de ce premier sceau, les sources d’émissions ressortent nettement définies, les contraintes précisément établies, les actions nécessaires sur un plan réglementaire, politique et commercial listées et le futur mix énergétique profilé.

Pour résumer, il faut réussir dans quatre domaines pour que la transition ait lieu mais même si tous les leviers (réglementaires, politiques, commerciaux...) sont activés, les effets resteront encore loin des objectifs de l'accord de Paris. Plus précisément, les réductions de 2050 ne représenteront qu'environ un quart de ce qu'il faut pour atteindre l'objectif d'une température « bien inférieure à 2 °C » et un cinquième de ce qu'il faut pour être neutre en carbone.

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Sources d’émissions définies

Trois segments – le vrac, les navires-citernes et les conteneurs –, contribuent à la plupart des émissions maritimes (65 %) et les volumes devraient augmenter d'ici 2050, ce qui en fait des domaines d'intervention prioritaires.

En juin, trois grands transporteurs maritimes de conteneurs ont annoncé publiquement leur intention d'atteindre l'objectif zéro émission d'ici à 2050. « Cela paraît peu mais à elles trois, elles représentent plus de 30 % de la flotte mondiale de conteneurs. Si l'on ajoute celles qui mettront en œuvre les mesures décidées à l’OMI, on pourrait aboutir à un transport de conteneurs sans fossiles à 64 % d'ici à 2050 », indique le document.

S'engageant également de plus en plus à respecter les objectifs de l'OMI, les segments du vrac et des pétroliers ne laissent entrevoir qu'un changement d'environ 10 % peut-on lire. « Si les ambitions de réduction des émissions sont toutes réalisées, au moins 22 % des tonnes-milles mondiales seraient transportées sans émission de carbone d'ici 2050 », soutient aussi le rapport.

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Contraintes établies

Au rang des contraintes, l'écart de coût actuel entre les combustibles fossiles conventionnels et les alternatives vertes (jusqu’à 2 à 8 fois supérieur) est un gouffre. Si les technologies sont connues, elles ne sont pas encore commercialisées et encore moins prêtes pour une distribution à l’échelle. L'investissement dans ces technologies est risqué en raison de diversité des options de carburants alternatifs (pas moins de cinq groupes de candidats : l'hydrogène, l'ammoniac, le méthanol, le méthane et les biocarburants).

« Sur la base des projections de coûts futurs, le coût total de possession des armateurs [qui comprend l’acquisition, l’exploitation et le personnel de maintenance, NDLR] est jusqu’à deux fois plus élevé avec des carburants alternatifs. Avec des prix bas et des chaînes d'approvisionnement déjà établies, les combustibles fossiles sont des concurrents difficiles à battre », ont conscience les auteurs de l’examen.

Leviers identifiés

Parmi les mesures nécessaires pour aller au bout du chemin, le Maersk Center défend une taxe mondiale sur le carbone (actuellement, 61 systèmes d'échange de quotas d'émission seraient en place ou prévus dans le monde, couvrant environ 22 % des émissions mondiales). L’analyse a limité la recherche à l'impact des taxes sur les émissions, option de tarification du carbone la plus débattue à ce jour au niveau mondial. Elle montre qu'un prélèvement forfaitaire d'environ 230 $/tCO2-eq d'ici 2025, associé à des mesures réglementaires et politiques, permettrait d'obtenir la réduction nécessaire d'ici 2050 et pénaliserait suffisamment l'utilisation de combustibles fossiles.

Carburants alternatifs passés au crible

En ce qui concerne le mix énergétique à venir, l’étude a le mérite de l’approfondissement de chacune des voies : disponibilité, temps de la mise à l’échelle, niveau de la contribution, compétitivité-coûts et différentiel avec les énergies fossiles, disponibilité en fonction de la concurrence avec d’autres secteurs etc.

En fonction de ces éléments, les carburants dits bleus, dont l’ammoniac, et les biocarburants sont susceptibles de jouer un rôle important dans la transition énergétique.

« L'ammoniac pourrait être le seul carburant bleu pertinent à condition qu’il y ait des normes pour le captage et stockage du carbone et que les émissions méthane en amont soient traitées. Les biocarburants joueront probablement un rôle à mesure que leur capacité de production, leur maturation technologique et leurs chaînes d'approvisionnement atteindront l'échelle nécessaire : le biométhane jouera un rôle de premier plan à partir des années 2030, et le bio-méthanol et les bio-huiles auront un impact sur la flotte à partir des années 2040. » Enfin, d'autres e-carburants, à l’instar du e-méthanol, pourraient ne pas avoir un rôle important au cours des premières années de la transition, « en raison de leur manque de compétitivité-coûts », indique encore le document.

Des doutes 

Avec l’agitation, les doutes percent. « Des émissions nulles d'ici 2050 ne suffiront pas à la plupart des pays développés si l'on veut limiter le réchauffement planétaire à 1,5°C et l'objectif de réduire de moitié les émissions d'ici 2030 est hors de portée », assène Rémi Eriksen, le PDG de DNV. La société de classification norvégienne vient de produire un autre rapport intitulé Pathway to Net Zero Emissions. Pour contenir le réchauffement climatique, l'Amérique du Nord et l'Europe doivent être neutres en carbone d'ici 2042, puis négatives par la suite. La Grande Chine doit également réduire ses émissions de 98 % d'ici 2050 par rapport aux niveaux de 2019.  Il existe des régions qui ne peuvent pas, de manière réaliste, s'affranchir complètement des combustibles fossiles dans le même laps de temps, comme le sous-continent indien, qui réduira ses émissions de 64 %. »

Quant aux secteurs dits difficiles à décarboner, ils mettront plus de temps à le faire : « même si des secteurs comme le transport maritime (- 90 % d'émissions de CO2 en 2050) et la sidérurgie (- 82 %) accélèrent l'introduction de technologies plus vertes, ils resteront des émetteurs nets en 2050 ». 

DNV estime les investissements nécessaires, en particulier à court terme, à 55 Md$ pour les énergies renouvelables et 35 Md$ pour les réseaux sur 30 ans. Mais il replace les enjeux là où ils doivent se situer : « les coûts supplémentaires liés à l'atteinte d'une température de 1,5 °C représentent moins de 1 % du PIB mondial au cours des trente prochaines années. C’est le temps plus que l’argent qui est le principal obstacle à la réalisation des objectifs. »

Adeline Descamps

*Anglo American, A.P. Moller- Maersk, BHP, Bolloré Logistics, BP, BW LPG, Cargill, Carnival, Citi, DSME, ENGIE, Euronav, Fortescue Metals Group, GasLog, Hapag-Lloyd, Iberdrola, Lloyd's Register, MOL, MSC ONE, Ørsted, Panama Canal Authority, port de Rotterdam, PSA International, Rio Tinto, Shell, Swire Shipping, Trafigura, Ultranav, Unilever, V.Group, Volvo et Yara…

 

 

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