Trois ans après la déclaration de la guerre de la Russie à l’Ukraine, des milliers de morts, des destructions massives, des exactions et atrocités sans nom, des milliards d’euros et de dollars dépensés au nom de « l’indépendance souveraine » du pays agressé, Donald Trump a balayé en 90 minutes de conversation auto-complaisante avec l’agresseur Vladimir Poutine tout ce que la précédente administration américaine prônait jusqu'à présent aux côtés des Européens. En s’alignant sur les désidératas du maître du Kremlin, qui n’entend que la capitulation, il a opéré une OPA hostile sur le droit international sans avoir même entamé la phase de négociations. Envers et contre tous, excepté son interlocuteur russe. La situation militaire sur le front continue, elle, de se dégrader. Les autorités ukrainiennes ont dénoncé ces dernières heures l’attaque du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Le trafic en mer Noire y a été néanmoins maintenu en 2024 en dépit des attaques contre les infrastructures portuaires et des grèves (sic) dans les ports de l'oblast d'Odessa, d’où l’Ukraine a aménagé son propre corridor parallèle à la suite du retrait de la Russie. Pour mémoire, un accord avait été négocié avec la Russie en août 2022 sous l’égide de l’ONU pour permettre les échanges de céréales au départ des ports d’Odessa, de Chornomorsk et de Yuzhny/Pivdennyi, dont les deux pays étaient avant la guerre de grands fournisseurs. Mais Moscou s’en était désengagé en juillet 2023, un an et un mois après son entrée en vigueur. Kiev a très rapidement réagi pour initier une voie maritime sécure, sans exclusive cette fois pour les céréales, de façon à maintenir un trafic import/export.
2 705 escales en 2024
Au total, 2 705 navires ont transité par Kherson, Yuzhny/Pivdennyi ou Odessa en 2024 (sachant que Berdiansk et Marioupol, tous deux sur la mer d’Azoz sont passés sous contrôle russe), totalisant 79,9 Mtpl (759 navires et 32,4 Mtpl en 2022). Ce maintien du commerce extérieur est d’autant plus notable que les ports continuent d’être pris pour cibles. Le 31 janvier, une frappe de missiles russes a fait des blessés et des dégâts à Odessa. La semaine dernière, l'armée de l'air ukrainienne a déclaré avoir abattu 78 drones qui visaient, selon ses renseignements, les infrastructures du port.
Retour timoré mais avéré
C’est dans ce contexte que des transporteurs reprennent la route de l’Ukraine.
Odessa a reçu il y a quelques jours le Lila Canada, porte-conteneurs de CMA CGM de 1 118 EVP, dans le cadre d’un service direct entre la Grèce et l'Ukraine et avec ses propres navires, a rapporté The Odessa Journal, sur la base des déclarations de l'Association ukrainienne des transitaires internationaux. Le navire est arrivé le 7 février et se trouve actuellement (le 14 février) le long des côtes grecques.
Alphaliner avait indiqué, dans une de ses dernières notes, que le groupe français allait lancer en février une nouvelle boucle Méditerranée-Mer Noire reliant le Pirée et Istanbul à Odessa, commercialisée sous le nom d'Odessa Express. Un service opéré au moyen de deux navires, dont le TJ Orhan (1 550 EVP) en plus du Lila Canada.
Si CMA CGM est la première compagnie à s’aventurer en mer Noire avec un service direct depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, c’est MSC qui fut le premier dans le conteneur à revenir dans les eaux minées avec son Ukraine Shuttle. Le leader mondial dans le transport maritime de conteneurs y alloue un seul navire, le MSC Levante F (1 118 EVP), qui opère depuis Tekirdag, le terminal du transporteur pour la Méditerranée orientale et rallie Odessa après une escale à Poti.
Mouvement enclenché il y a plusieurs mois
Un mouvement se dessine à vrai dire depuis quelques mois. En avril dernier, l'Ukraine a accueilli des services réguliers de feeders, lorsque la société ukrainienne de transport et de logistique Iteris (basée à Odessa) a initié une nouvelle boucle entre la Roumanie et le pays en guerre moyennant deux navires de 300 EVP à l’amorçage puis un seul d’une capacité de 1 118 EVP et deux liaisons hebdomadaires entre Constanta et Chornomorsk. En escalant aux terminaux DP World et de Socep Container Terminal, la ligne peut ainsi se connecter aux réseaux intra-méditerranéens. En mai 2024, Hapag-Lloyd y a affrété ses slots. Le spécialiste turc du short sea Akkon Lines a également ajouté Chornomorsk à l'itinéraire de son New Black Sea service.
En mer Rouge ?
Sur le front de l’autre guerre, en mer Rouge, les transporteurs sont plus attentistes, rompus par l’expérience aux vicissitudes politiques affectant la navigation dans les eaux du golfe Persique. L’histoire du Proche-Orient enseigne que l’apaisement des conflits y est rarement de très longue durée.
Le trafic n’y a pas repris bien que la dernière attaque signalée en mer Rouge contre des navires marchands remonte au 10 décembre, lorsque des drones et des missiles houthis ont plu sur un convoi de navires battant pavillon américain et des navires de guerre américains.
Les derniers jours montrent que la trêve, signée le 19 janvier après 15 mois de guerre et pour une durée initiale de 42 jours, est prête à s’effriter à tout moment. Les négociations sur la deuxième phase, censée prendre effet début mars, n’ont toujours pas commencé.
La situation conditionne les attaques des Houthis yéménites, alliés de l’Iran, contre les navires marchands en mer Rouge et dans le golfe d'Aden. La faction armée, qui dit agir en « soutien et par solidarité avec le peuple palestinien », avait annoncé le 20 janvier la suspension de ses actions après la signature du cessez-le-feu tout en spécifiant clairement être en mesure de revenir à la situation antérieure en cas d'escalade israélienne à Gaza. Les Houthis ont prouvé à plusieurs reprises qu’ils avaient la gâchette facile.
Le canal de Suez en suspens
Une partie de la flotte mondiale continue de contourner l’Afrique pour relier l’Asie et l’Europe. Il y a néanmoins quelques cas isolés (des tests ?). Le Salalah LNG (145 500 m³), exploité par la compagnie maritime publique omanaise Asyad Shipping sous pavillon du Panama, est unanimement reconnu comme le premier méthanier non affilié à la Russie à avoir emprunté le détroit de Bab-el-Mandeb depuis plus d'un an.
Osama Rabie, le patron de l'Autorité du canal de Suez, société gestionnaire de l’infrastructure qui paie un lourd écot à cette guerre en raison de la désertion massive des navires, se montrait très optimiste ces derniers jours auprès de l’agence Bloomberg. Le capitaine s'attend à ce que le trafic revienne progressivement à une jauge normale d'ici la fin mars et se rétablisse complètement d'ici le milieu de l'année si le cessez-le-feu est maintenu.
Les revenus du canal ont chuté d'environ 60 % (32 navires par jour effectuent le transit, soit la moitié du record de 75 navires en jauge ordinaire) et les pertes estimées pour l'exercice fiscal en cours (clôturé en juin) devraient avoisiner les 7 Md$ selon ses déclarations. Faire taire les armes est donc crucial pour le « cours d’eau » qui veut encore croire à son caractère incontournable.
Adeline Descamps