Malgré la baisse, tout au long de l'année 2022, des taux de fret spot sur les grandes routes maritimes au départ de la Chine, les compagnies ont présenté jusqu’à la fin du troisième trimestre des performances financières exceptionnelles même si les marges étaient en repli. Ils ont mis à profit cette manne financière pour investir dans l’intégration verticale à des fins de diversification mais aussi pour consolider leur premier métier : armer des navires.
MSC, Evergreen et CMA CGM avaient été les transporteurs les plus expansionnistes en 2021. Ils se sont de nouveau distingués en 2022 pour leur soif absolue de capacités. Dans cette course aux EVP et aux parts de marché, MSC reste le primus inter pares d’après les données communiquées par Alphaliner en tout début d’année. Après avoir augmenté la capacité de sa flotte de 411 000 EVP (+ 10,7 %) en 2021, l’armateur genevois a ajouté 321 500 EVP en 2022 (+ 7,5 %), essentiellement en puisant dans le marché S&P. Seuls 83 600 EVP sont en effet à mettre au crédit de nouvelles constructions. MSC a ainsi absorbé 44 % en EVP du total des commandes de 2022, soit 92 navires de 420 000 EVP.
MSC en surplomb
Le leader de la ligne régulière, qui a actuellement en commande 1,7 MEVP (l’équivalent de la flotte d’Evergreen), surplombe le classement mondial avec une capacité de 4,61 MEVP et distance de 379 000 EVP son challenger Maersk, ex-Premier, qui a fait d’autres choix que celui de la stratégie de l’offre.
Ainsi, le numéro deux du transport maritime de conteneurs a perdu 61 700 EVP de capacité au cours de l'année 2022. Plus intéressant, cette perte est essentiellement liée à la restitution de navires affrétés qui n’ont pas été reconduits car d’autres armateurs se sont montrés disposés à payer des taux d'affrètement plus élevés ou à accepter des périodes d'affrètement plus longues, assure Alphaliner. Depuis deux ans, le rapport de force est à l’avantage des propriétaires de flotte, qui ont largement abusé de cette aubaine extrêmement rare, et qui restera peut-être unique dans les annales de leur secteur, pour fixer leurs conditions.
Evergreen est passé devant ONE
Depuis deux ans, Evergreen, qui a déjà reçu une dizaine de ses 15 futurs géants verts de plus 24 000 EVP, joue à la course à l’échalotte avec MSC, dont les mastodontes qui restent à livrer raviront le titre de « plus grand porte-conteneurs au monde ».
Cette voracité d’EVP a permis à l’armateur taïwanais de passer devant ONE dans le classement mondial des géants du secteur, qui figure parmi les rares armateurs qui n’ont pas cédé à la tentation d’hyper-croissance (avec Maersk, Cosco et HMM, qui ont tous réduit leur flotte). L'année dernière, Evergreen a pris livraison de pas moins de vingt navires neufs (217 500 EVP), dont sept megamax destinés au trafic Asie-Europe.
Quant à l’armateur français, qui a recouvré sa troisième place en 2021 à la faveur d’un passage à vide de Cosco, il a étoffé sa flotte de plus de 225 000 EVP dont 31 navires totalisant 102 500 EVP sur le marché de l’occasion. A l’instar de Maersk, Cosco est en décroissance depuis deux ans, ayant réduit sa capacité de 3,2 % en 2021 et de 2,1 % l’an dernier. Mais avec près de 885 000 EVP en commandes (78 navires), l’armateur chinois dispose du deuxième plus grand carnet de commandes de navires du secteur (derrière MSC). Non seulement, il a renoué avec la commandes mais encore, il a opté pour le méthanol en commandant fin octobre douze porte-conteneurs de 24 000 EVP bicarburant pour une valeur de près de 2,9 Md$.
Alerte rouge sur les capacités
Les fragilités de l’un d’entre eux sont connus du point de vue de ce seul paramètre. La quasi-totalité de la flotte de ZIM est affrétée (sur les 138 porte-conteneurs, seuls huit sont en propriété). L’an dernier, le transporteur coté à la bourse de New York mais basé à Haïfa a acquis l’équivalent de 120 000 EVP (+ 29 %), la majeure partie affrétée. « Avec la fin de sa coopération avec les partenaires de 2M sur les routes Asie-Méditerranée et Asie-côte ouest-américaine, le transporteur avait besoin d'un tonnage supplémentaire pour maintenir une forte présence sur ces routes », justifie Alphaliner.
L’équivalent de quelque 6,7 MEVP (les données divergent selon les sources) devraient affluer sur les lignes dans les deux à trois prochaines années. La mise au rebut est, elle, estimée à 350 000 EVP en 2023, insuffisant pour résorber l'afflux incontrôlé.
La problématique, qui ne semblait pas effrayer il y a encore quelques mois alors que la demande et les taux de fret étaient au plus haut, inquiète désormais dans un contexte de ralentissement généralisé au niveau mondial. La situation est plus critique encore pour les propriétaires de flotte car ces nouveaux navires « prennent la place » de ceux qui auraient dû être loués alors qu’ils ont eux-mêmes largement cédé à la gourmandise de nouveaux navires.
Adeline Descamps
