Ligne Marseille-Tanger : La Méridionale se donne jusqu'à la fin de l'année avant de trancher

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Maintien, arrêt ou repositionnement de la ligne entre Marseille et Tanger qui avait été lancée fin 2020. Le groupe Stef, actionnaire de la Méridionale, prendra une décision d’ici la fin de l’année. Le service assuré par deux ro-pax avait très bien démarré, le contexte sanitaire ayant affecté le trafic passagers mais incité à trouver des alternatives au tout-route pour le fret. Les habitudes passées ont repris leurs droits en dépit de la plus-value environnementale offerte par l’option maritime.

Marseille-Tanger et la Corse. Deux enjeux pour La Méridionale, qui vient par ailleurs de présenter le premier navire Zéro… émissions de gaz à effet de serre, dioxyde de soufre, particules de toute taille, métaux lourds, bruit et vibrations. La publication des résultats financiers par son actionnaire Stef ne rend pas serein pour ce qui concerne le premier objet de diversification de la spécialiste historique de la desserte maritime corse en délégation de service public (DSP), la ligne Tanger-Marseille.

Pour sa première émancipation hors du cadre sécurisé par des trafics subventionnés, la « petite filiale maritime » basée à Marseille du géant européen de la logistique sous température dirigée n’a pas choisi la facilité : concurrencer un trafic routier de remorques en proposant une desserte maritime longue sans qu’il s’agisse d’une autoroute de la mer. Son principal argument en dehors des prérequis « fréquence, transit time (38 à 40 heures), fiabilité et régularité » : l’économie d’une tonne de CO2 par remorque, soit 40 % des émissions en moins par rapport au tout-route via le détroit de Gibraltar (excepté courte traversée maritime de Tanger au port andalou d’Algésiras).

Lancée en décembre 2020, la ligne Marseille-Tanger demeure une source de coûts et un foyer de pertes. Au premier semestre, le chiffre d’affaires de la compagnie s’est élevé à 49,6 M€. Si les revenus ont progressé (+ 24 %) grâce à la fréquentation, la rentabilité opérationnelle s’est dégradée, les pertes atteignant 13,8 M€ (contre 12,7 M€ pour le premier semestre 2021). « L’essentiel de ces pertes provient du service avec Tanger », a reconnu Stanislas Lemor, le PDG de Stef, qui a misé gros sur ce projet. Alors que La Méridionale avait ramené de 26,3 à 19,5 M€ sa perte opérationnelle en 2021 (pour un chiffre d’affaires à 89,8 M€), la ligne Marseille-Maroc devrait donc encore peser négativement sur les résultats de l’ensemble de l’année si les trafics ne retrouvent pas leur progression régulière du taux de remplissage.

Coûts de soute et stop and go

La ligne a particulièrement souffert de l’envolée des coûts opérationnels, générée par la flambée des combustibles de soutes, que la BAF (bunker adjustment factor) n’a permis de couvrir que partiellement, à hauteur de 14 %. « Le taux de couverture a été relevé. Il est de 25 % désormais », précise le dirigeant. Outre l’embrasement du baril de Brent (ennemi de la route également), la ligne Marseille-Tanger a aussi pâti d’une exploitation en « stop and go » en raison des restrictions sanitaires.

Entre sa mise en service en décembre 2020 et avril 2022, date à laquelle les frontières ont été levées, la ligne, qui offre trois rotations hebdomadaires assurées par deux ro-pax, « n’a pu être exploitée que cinq mois à pleine capacité », rappelle Stanislas Lemor. « Dans le passager, les taux de remplissage atteignent 30 %, avec des pics à 50 % cet été. Dans le fret, ils s’élèvent à 35 % actuellement »

Opéré initialement avec le Girolata (800 passagers, 800 véhicules et 140 remorques), rejoint ensuite par le Pelagos (capacité de 200 véhicules et 170 remorques et jusqu’à 300 passagers), le service a perdu son trafic passagers en février 2021 avec la fermeture de la frontière française. Pour prouver sa détermination auprès du marché, La Méridionale a néanmoins maintenu son offre, ramenée toutefois à un seul navire. La ligne a pu reprendre mi-juin avec ses deux navires avant que le royaume chérifien prononce à son tour une fermeture.

Décision à prendre

« Nous sommes passés d’une cinquantaine de remorques à une quinzaine. La rentabilité de la ligne est adossée sur le passager, qui doit compenser les faiblesses enregistrées dans le fret roulant. Or, c’est nettement insuffisant pour rentabiliser le service », précise Marc Reverchon, le président de La Méridionale. Le contexte sanitaire a affectée le trafic passager mais la fermeture du détroit de Gibraltar suite à la crise diplomatique entre l’Espagne et le Maroc a incité à trouver des alternatives.

Les barrières une fois levées, la plus-value environnementale (à fortiori avec un navire, le Girolata, qui bénéficie de la connexion électrique à quai) par rapport à un transit direct par route ne semble pas suffisante pour révolutionner les façons de penser et d’opérer. « Les mauvaises habitudes du tout-route ont repris leurs droits », déplore le dirigeant, qui ne cache pas que la pérennité du service est entre les mains de sa maison-mère. « C’est le temps de l’actionnaire ».

Le maître des horloges y a mis une limite en effet : « nous allons poursuivre son exploitation au moins jusqu’à la fin de l’année. Le groupe décidera alors de maintenir ou d’arrêter la ligne, voire de la modifier », a signifié Stanislas Lemor.

Une plus-value pour le port de Marseille

La Méridionale s’était fixée pour objectif de capter 3 à 5 % des parts de marché sur les 350 000 à 500 000 remorques par an qui franchissent chaque année le détroit de Gibraltar avant de poursuivre leur chemin par la route ainsi que quelques parts du trafic passagers.

La proposition a trouvé un intérêt pour des opérations de groupage notamment mais l’offre entend aussi capter des flux de pièces automobile ainsi que de fruits et légumes en reefers (les deux navires sont dotés chacun de 40 à 60 prises frigorifiques), notamment les flux marocains à destination du marché du Grand Saint-Charles, à Perpignan, et de celui de Rungis.

À fin juin, le trafic de remorques du port de Marseille avait enregistré une progression de 14 % par rapport à 2019 (+ 4 % par rapport à 2021), en partie grâce à la ligne ro-pax de La Méridionale, avait reconnu Hervé Martel, le directeur général du port de Marseille à l’occasion de la présentation des trafics semestriels. Cela fait des années que le port phocéen, qui rêve de devenir un hub roulier avec le Maghreb mais a raté le tournant du ro-ro turc, tente, sans succès, de développer ce marché. L’initiative de La Méridionale a sans doute conforté, après coup, les équipes portuaires qui ont lancé en 2020 un appel d’offres pour l’exploitation d’un nouveau terminal Maroc. 

Encore faut-il pouvoir offrir une solution logistique globale, dépassant la desserte de port à port. C’est ce à quoi La Méridionale aspirait à terme avec ce projet : aboutir à une solution de ferroutage entre Afrique et Europe via Marseille. Pour l’heure, il manque à Marseille-Fos une offre ferroviaire combinée vers le Nord de l’Europe. Un dossier que Marc Reverchon, par ailleurs représentant de la place portuaire au sein du conseil du développement du GPMM, défend ardemment au sein de l’UMF.

Pas encore le moment ?

L’arrêt du service donnerait raison aux Cassandre, qui n’ont pas manqué de rappeler, à l’heure du lancement, les expériences passées, envisagées, retardées et avortées. La ligne ouverte en solo par CMA CGM en 2018 n’aura en effet tenu que quelques mois, faute de fiabilité notamment. L’armateur marseillais limite les risques aujourd’hui et opère actuellement un ro-ro avec une fréquence hebdomadaire depuis Marseille vers Casablanca.

En l’occurrence, La Méridionale n’a eu de cesse de prouver, même en temps covidien, qu’elle était à la hauteur de sa promesse en termes de fiabilité. Avec les délais, a fortiori pour des périssables ou des pièces automobiles, le prix reste un paramètre déterminant pour le chargeur tout comme le coût pour l’armateur. Marc Grolleau, président de l'Association française de transport routier international (Aftri), faisait partie de ceux qui ont accueilli la ligne avec scepticisme, mentionnant une grille tarifaire peu compétitive. 

« On tiendra le temps que l’actionnaire soutiendra », laisse entendre Marc Reverchon. Les mentalités ne seraient pas encore matures pour cueillir cette nouvelle offre ? Toujours est-il que les modèles logistiques sont en train d’évoluer, à en croire les professionnels, sous l’effet du grand chambardement des deux dernières années provoqué par l’épidémie. Face à l’effilochage des chaînes d’approvisionnement mondiales, qui perturbent les stocks jusqu’à présent desservis par des fournisseurs asiatiques éloignés, la tendance à rapprocher l’approvisionnement et la fabrication des marchés finaux européens prend forme. Les constructeurs automobiles allemands ont par exemple amorcé un mouvement de nearshoring avec le Maroc. Si la logistique doit se déplacer vers le Maghreb, le multimodal reste la solution quoi qu’il en soit, soutiennent ses promoteurs. 

Repositionnement entre Barcelone et le port marocain ?

Stanislas Lemor évoque pour sa part un repositionnement possible entre Barcelone et le port marocain avec, pour cibles, les flux de textiles entre le Maroc et l’Europe, ainsi que ceux de fruits et légumes qui remontent vers Perpignan. En février, la compagnie marseillaise avait ajouté une escale hebdomadaire à Alicante dans le sens sud-nord à raison d’un départ par semaine pour desservir en produits marocains le marché de fruits et légumes Saint-Charles de Perpignan.

Le port de Barcelone s’est en effet imposé en tant que plateforme logistique du sud de l’Europe et passage obligé des flux de fruits et légumes en Méditerranée. Surtout, le port catalan promeut activement le ro-ro comme alternative ou complément au conteneur. Il offre déjà une véritable alternative à la route, notamment vers l’Italie (Gênes, Civitavecchia, Livourne) et le Maghreb (Tanger, Alger, Tunis). D’autant que vers l’intérieur des terres, les connexions ferroviaires se densifient avec pour axes prioritaires, d’un côté vers Saragosse, Madrid, Lisbonne, et par ailleurs vers Perpignan et Lyon, routes qui dessinent la carte de sa zone d’influence, qui s’étend aussi sur mer jusqu’à Gênes, Civitavecchia et Tanger. 

Mais le marché est déjà préempté. Sur Barcelone-Tanger, la compagnie espagnole Suardiaz, spécialiste du ro-ro non accompagné (ligne Vigo-Saint Nazaire dédiée principalement aux pièces de Stellantis), a plutôt réussi avec sa ligne lancée en novembre 2020, concentrant son offre sur du fret non accompagné avec du textile, des fruits/légumes et des pièces détachées pour l’automobile. GNV (Grandi Navi Veloci, groupe MSC) dessert six routes vers le Maroc depuis les principaux ports de la Méditerranée via des liaisons bi et trihebdomadaires (Sète-Tanger et Sète-Nador, Gênes-Tanger, Barcelone-Tanger, Barcelone-Nador et la nouvelle Almería-Nado). La compagnie italienne Grimaldi, très active en Espagne, ne cache pas non plus ses ambitions.

Retour à la DSP 

Retour à la case départ ? La desserte de la Corse, au départ de Marseille, semble mieux se porter. « Les résultats des lignes sur Ajaccio et Propriano sont conformes à nos prévisions. L’activité estivale a été bonne », indique Stanislas Lemor.

La Méridionale a déposé le 25 juillet un dossier de candidature dans le cadre de la prochaine DSP (de 2023 à 2029). « Le dialogue compétitif avec les autorités corses débute et durera jusqu’à fin octobre ». L’ancienne consorts de la défunte SNCM, qui dans l’actuelle DSP (transitoire, du 1er mars 2021 au 31 décembre 2022) a dû se résoudre à partager avec Corsica Linea la ligne vers Ajaccio (opérée avec le Piana) et en solo se suffire de la desserte de Propriano (le Kalliste) sur les cinq lignes opérées à partir de Marseille, a postulé cette fois pour desservir Ajaccio et les ports secondaires du sud de la Corse.

Adeline Descamps avec la contribution d’Érick Demangeon

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