Le port de Barcelone soigne son hinterland (français)

Article réservé aux abonnés

Les intentions sont claires. L’horizon est l’Hexagone. Les quarts sud-est et sud-ouest français sont des terrains de convoitise depuis plusieurs années pour le port catalan. L’intermodalité est un cheval de Troie pour élargir son rayon d’action. À l’occasion du SIL, l’autorité portuaire a mis les petits plats dans les grands pour accueillir en invitée très spéciale une délégation française de professionnels pour lesquels « le port espagnol pourrait être une solution à un moment donné ».

Son retour en béton au centre d'exposition de Montjuic de la Fira de Barcelone, après deux ans de contrariétés sanitaires, était manifestement très attendu. Plus de 12 150 personnes issues de 81 pays ont convergé vers le principal salon professionnel de la logistique et du transport dans la zone d’influence hispanique, équivalent espagnol de la SITL organisé par le Consorci de la Zona Franca de Barcelona. L’internationalisation y a retrouvé quelques lettres noblesses avec une participation étrangère estimée à 20 % parmi les 650 entreprises.

Les pavillons hissés par de grandes marques – Bayer, Bosch, Bricomart, Danone, Décathlon, entre autres, – ne sont pas passés inaperçus. Compte tenu du contexte – les perturbations dans le transport maritime – la résilience dans la logistique et sa durabilité ont saturé l’espace des conférences. Avec pour mantra : « l'intermodalité est la clé pour une chaîne logistique durable ». 

Densité des connexions ferroviaires

Du monde à l’intérieur. Des masses à l’extérieur. La tenue de la grand-messe du secteur a coïncidé avec un long week-end en Espagne et un retour en force des touristes le long de l’iconique Las Ramblas.

L’effervescence est palpable à Barcelone comme si le ralentissement induit par la pandémie avait réveillé un sentiment d’urgence, à agir. Le port catalan revient de loin. Au pic de l’épidémie, en mai 2020, les trafics conteneurisés ont dévissé de 34 % par rapport à 2019, une année qui avait déjà été désastreuse. Pourtant, dès novembre 2020, le rebond s'est enclenché sans pour autant conjurer la chute mais contenue à 11%. En 2021, un total de 3,5 MEVP* ont transité par le port démontrant une croissance en volume de 19,3 % par rapport à 2020 et de 6,2 % par rapport à 2019, année de comparaison plus pertinente. 

L’intermodalité n’est pas ici un gros mot. Elle est une affaire sérieuse. On ne s’y occupe pas exclusivement de ce qui se passe sur les quais quand la marchandise est arrivée à bon port mais de ce qui pourrait bloquer à terre pour aller chercher plus loin les flux dans son rayon d’action. 

Avec les dernières évolutions dans la ligne régulière – des armateurs qui investissent dans les pré- et post acheminements pour offrir un service de porte-à-porte –, l’ouverture d’un service dans un port dépendra plus que jamais de son offre en dessertes massifiées, de longue distance et compétitives. Seul le train permet cette amplitude. La part modale ferroviaire pour les conteneurs est maintenant à son plus haut niveau historique dans le plus petit des grands ports espagnols grâce à sa croissance de 18,4 % en 2021 : 15,5 % des conteneurs qui entrent et sortent empruntent le rail (42 % pour les véhicules), mobilisant une vingtaine de trains par jour. 

Grâce à la densité de ses connexions ferroviaires, Barcelone a pu tirer quelques bénéfices de l’implantation à Saragosse des grands distributeurs qui y ont semé leurs hubs de distribution. « Nous avons jusqu’à six trains par jour : ils sont souvent réservés par les compagnies maritimes qui proposent ainsi un service porte-à-porte depuis la Chine jusqu’à Saragosse », explique Claire Perez, qui représente le port catalan dans la région Auvergne-Rhône Alpes-Paca. 

Seul port à disposer d’une liaison ferroviaire directe avec la France

Le gouvernement espagnol milite de son côté, depuis plusieurs années, pour finaliser le Corridor méditerranéen, à savoir la construction d’un axe ferroviaire de 1 300 km entre Algésiras et la frontière française, doté de l’écartement des rails international UIC. L’isolement ferroviaire de l’Espagne, du fait de son écartement différent, oblige à réaliser un transbordement à la frontière franco-espagnole, effet repoussoir pour irriguer le nord de l’Europe via la France. Ce projet n’est pas exclusif au port andalou mais concerne les différents ports de commerce de la façade méditerranéenne espagnole.  

Pour l’heure, un seul tronçon est opérationnel entre le port de Barcelone et la France grâce à l’installation d’un troisième rail et l’utilisation de la LGV, via notamment le tunnel du Perthus. Le port catalan s’est de son côté activé pour réaliser les accès ferroviaires (UIC et ibérique) et routier directs si bien qu’il est seul port de la péninsule à disposer d’une liaison ferroviaire directe avec l’Hexagone à écartement international, sans transbordement à la frontière donc. Les infrastructures sont prêtes mais les coûts de production font que les trains ne sont rentables que sur les longues distances malgré l’entrée en lice de nouveaux acteurs privés dans la traction. Mais les services portuaires ne désespèrent pas. 

Hutchison Ports BEST, le plus grand terminal ferroviaire européen

Les deux terminaux à conteneurs implantés à Barcelone sont particulièrement bien dotés en voies ferrées et continuent d’investir. APM Terminals Barcelona, le terminal détenu à 100 % par la filiale portuaire (APM Terminals) du groupe Maersk (qui n’y escale pas), dispose de 4,5 km de voies ferrée à quai et de six voies de 750 m à double écartement UIC- Ibérique, ce qui lui permet notamment d’offrir des connexions directes avec les terminaux à conteneurs intérieurs de Saragosse et de Madrid grâce à des trains-navettes dédiés.

« Ces deux terminaux sont idéalement placés à proximité des centres de distribution des grandes multinationales. Ce service offre un certain nombre d'avantages et de réductions de coûts, en particulier pour les textiles, la ferraille d'exportation et les produits agricoles espagnols », explique Jordi Vidal Valero, le directeur des opérations de l’infrastructure (1,5 MEVP), dont le contrat de concession vient d’être prolongé jusqu'en 2036. Un investissement de 170 M€ a été convenu afin de permettre au terminal fréquenté majoritairement par des 15 000 EVP (notamment ceux du service MD1 de THE Alliance vers l’Asie) de traiter les plus grands porte-conteneurs en service.  

L’autre terminal, Hutchison Ports BEST, opéré par Synergy (capacité de 2,75 MEVP), filiale de l’opérateur portuaire hongkongais Hutchison, vante son terminal ferroviaire comme étant « le plus grand dans un port européen », avec six services ferroviaires hebdomadaires (bientôt neuf) et ses huit voies à double écartement qui autorisent des trains de 750 m de façon à offrir à prix compétitif un service en porte-à-porte. 

Des services « tout-en-un »

Opérationnel depuis 2012, Synergy a commencé par développer des services réguliers par le rail depuis le port de Barcelone vers trois terminaux intérieurs dont celui qu’il opère à Noáin (TIN) en Navarre, à une centaine de km d’Hendaye. Depuis son terminal, l'opérateur dessert le sud-ouest de la France (Bayonne) en camion, via un partenariat avec un transitaire navarrais, Gimex. Une solution rail-route pour l’instant plus avantageuse que par le rail du fait de la rupture de transbordement. 

Le service quasi-quotidien (5 j/7), qui connecte de ce fait des chargeurs français avec Barcelone via TIN, offre un transit time économisant jusqu'à 11 jours (par rapport aux services maritimes de l'Atlantique) « à un coût plus avantageux que la liaison équivalente vers Fos-sur-Mer ou que les services maritimes de l’Atlantique », assure Pablo García, directeur général de Synergy, qui a recruté un commercial à plein temps pour adresser le marché français (Alberto Jimenez Garcia).  

Poussant sa démarche de prêt-à-porter, le manutentionnaire, a développé un « tout-en-un » associant train, camion, cross-docking, dédouanement et stockage. Il va jusqu’à offrir au client la possibilité de « récupérer la marchandise à sa porte et à l’heure qui lui convient et de l’acheminer par camion vers Noáin d’où le convoi part pour Barcelone tous les matins ».

Les deux terminaux investissent aussi chacun de leur côté dans le reefer (1 000 prises reefers pour APMT, 2 700 pour BEST) ciblant, avec le transport à température contrôlée, les exportateurs agro-alimentaires particulièrement implantés dans le sud-ouest.

Dernière illustration de l’intérêt croissant pour le pays voisin, Maersk a ouvert en début d’année un centre de dégroupage de marchandises importées (maritime, aérien) au coeur de la Zone d’activités logistiques (ZAL) du port, exploitée par la société CILSA, pour « fournir des services logistiques à la péninsule ibérique et au sud de la France ». L’arrivée de Maersk, qui a préempté le dernier espace disponible de la ZAL, conforte par ailleurs le positionnement de Barcelone en tant que « hub logistique international au sud de l’Europe », ambition inscrite dans le marbre de son plan stratégique 2021-2025.

Horizon l’Hexagone

Les intentions n’abusent pas. Les quarts sud-est et sud-ouest français sont des prolongements naturels. Et le port espagnol allonge les moyens. À l’occasion du SIL a été accueillie une délégation « origine France », dont les membres du Propeller Club de Lyon, des professionnels et utilisateurs originaires des régions Auvergne-Rhône Alpes-Paca, Occitanie et Aquitaine, mais aussi des ressortissants des pays du grand Nord pour lesquels « le port peut être une solution à un moment donné », leur expliquent Claire Perez et son homologue à Toulouse Nathalie Thomas. Barcelone a en effet investi dans deux représentations commerciales à Lyon et Toulouse « pour qu’il y ait toujours quelqu’un au bout du fil en support ».

Ce service client déporté, qui vient en appui à la direction commerciale de Barcelone, fonctionne comme un couteau suisse ­– multi-usages (résolution de problématiques techniques des importateurs et exportateurs), multifonctions (conseils sur les lignes, les transit-time, recommandations de prestataires) – et comme une voiture balai pour drainer du trafic vers les infrastructures portuaires catalanes. Un service de dentellière qui paraît quasi anachronique alors que le port a parallèlement investi dans un portail truffé d’outils de tracking et de monitoring qui permettent aux propriétaires de fret de filer en temps réel le passage portuaire de leurs marchandises, vidéos à l’appui.

Si l’armateur est le roi dans les ports – ces derniers se plaignent régulièrement de jouer les variables d’ajustement – le propriétaire de la marchandise est un prince à Barcelone. Avec son engagement « Efficiency network », la garantie qualité du port, qui fixe des KPI à tous les acteurs intervenant à un moment ou un autre de la chaîne (compagnies maritimes, terminaux, institutions, transporteurs et transitaires, 90 membres), les engage à respecter des niveaux de qualité et d’efficacité dans les opérations, sans quoi un dédouanement hors délais, un embarquement raté…devront se compenser financièrement auprès du chargeur. Au-delà de la compensation, cela oblige le port à auditer régulièrement ses process pour identifier les points de rupture dans le sans-couture. Les services portuaires ne disent pas si les KPI tiennent en période de trous d’air comme l’expérimente depuis deux ans l’industrie dans son grand ensemble.  

Jeu collectif

Pour ces deux jours en « special guest », Barcelone a préparé le terrain de façon à ce qu’aucun coin et recoin du port n’échappe pas à ses invités. Côté autorité portuaire, Lluis Paris, directeur département automobile, ro-ro, ro-pax, ferry et vrac, Eduard Moya, chef de produit conteneur et Carles Mayol, directeur département conteneur, ont été dépêchés. Côté terminaux, Jordi Vidal Valero, directeur des opérations et Fátima Viñas Lema, responsable de la clientèle renseignent pour APM Terminals Barcelona tandis que Pablo Garcia, directeur général de Synergy et Alberto Jimenez, son commercial France, ont joué le jeu de la totale disponibilité.  

En clou du spectacle, la visite du terminal semi-automatisé mis en service il y a 10 ans moyennant un investissement initial de 580 M€, complété depuis par quelque autres 200 M€. Impression atteinte avec cet incroyable ballet aérien téléopéré en surplomb des 13 portiques sur 1 500 m de quai et le va-et-vient assez graphique de huit spreaders. Pas un mouvement de trop. Vingt-sept blocks d’une capacité de 2 500 EVP chacun pour un traitement simultané de 140 camions. 350 opérations de chargement et déchargement traitées par jour en moyenne. Trente-deux cavaliers mènent une autre danse (la mise à quai n’est pas automatique).

Ce jour-là, un mastodonte de MSC, le premier client de l’installation avec une part de trafic estimée à plus de 50 %, était à quai. BEST est équipé de grues d’une hauteur de levage de 47 m avec une portée de 24 rangées de nature à traiter des porte-conteneurs de 23 000 EVP. Le terminal peut ainsi servir d’escale à la boucle Asie-Med Jade exploitée par l’armateur italo-suisse dans le cadre de l’alliance 2M. Sur ce service, il déploie une flotte de navires entre 19 500 et 23 700 EVP. 

Productivité record

 « Un 18 000 EVP peut nécessiter 11 000 mouvements et quatre jours et demi d’opération mais c’est bien moins que la moyenne mondiale à six jours, assure Alberto Jimenez Garcia, le commercial de Synergy pour la France. Alors que le taux moyen mondial de productivité est de 22 mouvements par heure et par grue et la moyenne européenne à 27, nous sommes à 41. » Le conseil d'administration de Hutchison Port vient d’approuver un investissement de 60 M€ dont 30 M€ pour porter la capacité de ses blocks de 27 à 34, soit une augmentation de 26 % ou 700 000 EVP.  

« Notre terminal est encore manuel mais notre productivité n’a rien à envier à celle de BEST avec une productivité de 30 mouvements par heure et jusqu’à 40 à pleine capacité », défend avec panache Eduard Moya, chef de produit « conteneur » au sein du port, mais aussi ancien cadre de APM Terminals.  

Interdite, l’assemblée française marque l’étonnement. Interpellé par cette réaction, le responsable précise : « ici, les dockers travaillent à la pièce. Puis ils sont productifs plus ils gagnent de l’argent. Cela fait toute la différence ». Sourires crispés dans la salle.

Adeline Descamps 

* Transbordement : 43 %

   Hinterland : 57 % dont 56 % à l’export et 44 % à l’import 

   Reefer : 11 %

 

Des méga yachts mais pas de paquebots ?

{{ENC:1}}

Shipping

Port

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15