À en juger par les manœuvres d’évitement pour atteindre les quais – un coup d’œil au plan d’aménagement des infrastructures permet de n’en pas douter – et par les concessions de navigation consenties par les exploitants depuis des années (une heure de navigation stérile, entrée et sortie comprises), leur patience paraît hors du temps. Comme les bassins phocéens « découpés au siècle dernier » et maintenus dans leur jus originel « comme si rien n’avait bougé autour d’eux », plantent les professionnels fédérés au sein de l’UMF de Marseille Fos.
La reconfiguration des installations portuaires en centre-ville de Marseille, il en était déjà question dans le rapport Cousquer de 2011 qui a servi de base à la négociation de la charte ville-port. On parlait alors, à l’horizon 2025, de la « nécessaire adaptation » à l’accueil des navires de plus grande taille, du développement d’un terminal ferry international et d’un schéma d’organisation des bassins par pôles d’exploitation.
La première phrase du Grand projet stratégique 2014-2018 du Grand Port maritime de Marseille mentionnait, rappelle l’UMF qui a la mémoire des promesses, « la démolition des éléments dangereux pour le trafic maritime, le dragage de la digue du large, la suppression du tenon d’Arenc et des travaux terrestres ». Celui de 2020-2024 évoquait un hub roulier méditerranéen, un grand port de voitures neuves et la complémentarité avec les autoroutes ferroviaires.
Actuel plan d’aménagement des bassins ferries et ro-pax
À défaut d’investissements
Entre temps, les secteurs du ro-pax et du roulier ont été gagnés par le XXL. La concurrence y est prégnante, à commencer par les plus proches voisins de Marseille Fos, aux ambitions affirmées et soutenues par leurs tutelles territoriales (CCI et région). Celles de Toulon pour les trafics ro-pax et de voitures sur l’Afrique du Nord, et de Sète sur le ro-ro vers la Turquie depuis la reprise d’UN Roro par DFDS (avec connexion ferroviaire et un objectif est de 40 000 unités de fret en 2025).
En comparaison, Marseille Fos n’a pas investi sur ces trafics depuis longtemps si bien que ses bassins, limités à la fois dans les accès, les postes à quai et surfaces de stockage, ne seraient plus garantis de préserver les flux existants (ro-pax Corse, ro-ro Tunisie, voitures neuves Corse, voitures neuves import Turquie), ni de faire face à moyen terme à l’évolution des gabarits sur la Corse (seuls les ferries de moins de 180 m peuvent être positionnés aujourd’hui), à l’accueil de grands rouliers de 230 m pour desservir la Tunisie (potentiel estimé à 70 000 remorques), à saisir les opportunités d’un trafic ro-pax (de niche avec 10 000 remorques) sur le Maroc et l’Algérie ou encore à prétendre au marché roulant (exigeant en termes d’intermodalité) avec la Turquie qui pourrait drainer 90 000 remorques.
Des limites et des contraintes
« Le bassin Grande Joliette n’est accessible qu’aux navires de moins de 180 m, soit la limite du cercle d’évitage. La passe d’Arenc est limitée aux navires de moins de 150 m donc les bassins National et d’Arenc ne sont accessibles que par le Nord. Le bassin National est accessible qu’aux navires de 200 m max (210 m avec des conditions de vent favorables) par la passe Pinède. Seul le Bassin Pinède est accessible à tous les formats de roulier mais jusqu’à 260 m », dresse Jean-Philippe Salducci, président de la station de pilotage Marseille-Fos.
Phénomène atypique, une partie des navires pour la Corse est traitée à des postes de la digue du large soit pour des questions de gabarit, soit de vent, mais quatre postes ne sont pas adaptés à pour les trafics passagers Corse.
Diagnostic économique et technique
« À chaque conférence de presse, on vous dit que les navires sont de plus en plus grands, que les armateurs ont des ambitions, que les flux augmentent. Par exemple, sur la Corse, c'est une évolution constante du trafic à deux chiffres pendant des années. Pendant ce temps, on n’a pas bougé », reconnait Alain Mistre, le président de l’UMF, qui n’hésite plus à agiter le chiffon rouge social. « Il y a 1 500 établissements pour 41 500 emplois directs et indirects, publics et privés, liés au secteur industriel et portuaire de Marseille Fos dont 17 000 emplois sur la seule ville de Marseille. On considère que 1 500 EVP génèrent 10 emplois dans le portuaire, la logistique et le transport. Il est donc crucial de maintenir et développer les trafics historiques de Marseille liés aux activités économiques des bassins est : le roulier, le passager, les conteneurs et les voitures ».
L’Union maritime et fluviale de Marseille Fos a ainsi confié, il y a quelques mois, une étude à l’Isemar, avec pour finalité d’établir un diagnostic indépendant (économique, technique) et de disposer d’une vision qui « permette d’envisager un port roulier moderne adapté à la réalité des trois marchés : le ro-pax national (Corse) et international (Maghreb), les remorques et marchandises diverses en roulant (Maghreb, Turquie, Méditerranée Orientale) et les car-carriers de véhicules neufs ». Le tout avec « des solutions pérennes qui ne se monnaient pas en centaines mais en dizaines de millions d’euros », désamorce Alain Mistre.
Quatre principes directeurs
Les professionnels en tirent quatre principes directeurs : « des travaux structurels pour faciliter la navigation dans les bassins ; le remodelage des bassins et môles, la redistribution des espaces dédiés (terminaux, postes à quai) et des solutions pour les autoroutes ferroviaires. »
Parmi les points les plus urgents à traiter : une circulation nord-sud (la fameuse diamétralisation aujourd’hui impossible à cause d’un évitage). « S'il y a une avarie sur l’un des ponts mobiles, les navires sont pris en otages à l'intérieur du port pendant des semaines, voire des mois, le temps des réparations », rappelle Jean-Philippe Salducci, qui veut rendre le bassin de la Grande Joliette accessible par le Nord et par le Sud. « En supprimant l’évitage, l’accueil des navires de 210 m au quai du Maroc sera aussi possible »
L’arasement des obstacles à la circulation nautique des bassins, le repositionnement au Terminal Roulier Sud (TRS) des flux de véhicules neufs, la création d’un Terminal Roulier Nord (pour les flux internationaux et surtout des connexions ferroviaires pour les remorques), et une réorganisation terrestre des terminaux et des trafics font partie de leurs priorités.
Les trois reconfiguration des bassins Est envisagées dans le diagnostic de l’Isemar.
Trois options et des solutions ferroviaires
L’UMF propose trois options, qui correspondent à trois fourchettes d’investissement, entre 30 M€ pour l’option a minima et jusqu’à 90 M€ pour une proposition plus ambitieuse. Une solution alternative entre les deux consisterait à araser deux môles en conservant l’ambition de plus d’espaces, les postes à quai de 200 m étant au nombre de trois.
« Réaménager les bassins ne peut pas être dissocié d’un pré- et post-acheminement efficient », souligne pour sa part Marc Reverchon, président de La Méridionale. Un point qui n’avait pas vraiment été traité par le rapport Cousquer, rappelle-t-il.
Le port de Marseille Fos a des ambitions en la matière, souhaitant porter la part ferroviaire à 35 % contre 15 % aujourd’hui. Or, les professionnels réagissent vivement à un aménagement et calendrier qui leur ont été présentés notamment par la SNCF et la Dreal. « On nous dit qu’on devrait se contenter de deux trains par jours jusqu’en 2027 alors qu’il y en a aujourd’hui quatre. Deux trains ont été déménagés à Miramas sur la plateforme logistique Clésud à 50 km du centre-ville alors que les marchandises sont destinées au marché de consommation marseillais. C’est d'une totale absurdité puisque le fret sera renvoyé par camions ».
Le terminal de Mourepiane, historique dossier de mésentente
Les bassins Est ne disposent pas encore d’un système ferroviaire adapté aux trafics rouliers, contrairement aux conteneurs. Actuellement, l’accès au port n’est possible que par le faisceau d’Arenc, voies dont la longueur (550 m) n’autorise pas les trains longs de 750 m, le gabarit compétitif. Or, le faisceau entre en conflit d’usage avec la grande affaire ferroviaire de la métropole : la ligne nouvelle Provence-Côte d’Azur qui fait la part belle aux TER.
« Compte tenu de l’évolution à terme des trafics rouliers et conteneurs : il faudrait six trains par jour de 700 m de long », fulmine Marc Reverchon, par ailleurs représentant de la place portuaire au sein du conseil du développement du GPMM.
Le terminal combiné, qui devait être terminé en 2024, a subi des années de valse-hésitation. Et Le calendrier du raccordement de Mourepiane, qui doit permettre de connecter le port à la ligne historique Marseille-Paris, a essuyé un nouveau report jusqu’en 2027. La découverte d’une pollution au chrome au niveau du tunnel de Soulat est avancée pour justifier le nouvel délai. La précédente enquête publique avait, elle, achoppé sur la crainte des riverains.
Pour l’UMF, la mise en service du terminal combiné et le raccordement ferroviaire vont de pair car la connexion permettrait l’ouverture d’une autoroute ferroviaire et les professionnels n’ont pas l’intention d’attendre jusqu’en 2031 pour l’obtenir. C’est pourtant bien le calendrier avancé. « On n’attendra pas quatre ans de plus pour que le raccordement de Mourepiane soit entrepris alors qu’il devrait être mise en service en décembre 2014, et encore moins jusqu’en 2031 », s’emporte Marc Reverchon.
« Soit on avance, soit on ferme »
Visiblement, l’UMF peine à faire comprendre les fonctionnalités ferroviaires dont les métiers qu’elle représente ont besoin.
« Cette étude a aussi été réalisée pour démontrer qu’il nous faut des trains en continuité du transport maritime. Si on n’a pas les navires qui amènent du trafic des remorques, des passagers, des conteneurs, des voitures et si on n’a pas les trains en sortie, tous les travaux seront vains », insiste Alain Mistre, qui dit avoir été entendu par le préfet alors qu’une dernière rencontre est prévue à la préfecture des Bouches-du-Rhône en juillet avec pour ordre du jour, « la desserte ferroviaire des bassins est de Marseille ».
Sans cela, les activités se retrouveraient menacées, met en garde l’ex-président du Comité marseillais des armateurs français et directeur d’exploitation portuaire de Corsica Linea. « On présente un schéma d’ensemble qui permet un développement économique adapté à la réalité économique d’aujourd’hui et à un prix raisonnable. Soit on se donne les moyens et on avance, soit on ferme ».
Adeline Descamps