Une guerre tombe rarement bien mais en l’occurrence elle tombe vraiment très mal. Elle cueille un marché pétrolier mal en point. La demande mondiale de pétrole est en passe de remonter à des niveaux pré-pandémiques dans les mois à venir. Or les stocks de pétrole dans l'OCDE sont à leur plus bas niveau depuis 2014, à 255 millions de barils, en dessous de leur moyenne sur cinq ans.
La capacité de production pétrolière en réserve mondiale est d'environ 4 millions de barils par jour. Les prix du Brent et du brut américain WTI atteignent des sommets inégalés depuis huit ans, autour de 100 $, dopés par les craintes d'une perturbation de l'approvisionnement énergétique russe.
Dans ces circonstances, les membres de l’OPEP+ emmenés par la Russie, qui contrôlent environ la moitié de l'offre mondiale de brut, ne parviennent pas à suivre le rythme assigné par leurs quotas, qui ont été relevés chaque mois. L’alliance n’a pas atteint ses objectifs faute des investissements sur les champs pétrolifères nécessaires. Selon la dernière enquête S&P Global Platts OPEC+, le mois de janvier a été marqué par un déficit de 600 000 b/j par rapport aux quotas.
OPEP sous pression
D'ici octobre, en vertu de l'accord d'approvisionnement OPEP+, la Russie est censée atteindre 11 millions de barils par jour, un niveau de production qu'elle n'a jamais été près d'atteindre. En janvier dernier, le pays a pompé 10,08 millions de b/j de pétrole brut en janvier.
Les capacités de réserve de l'OPEP+ seront en grande partie épuisées d'ici à la fin de 2022. Il appartiendra alors à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, qui détiennent la grande majorité des capacités de production inutilisées du groupe, de répondre à la demande croissante. Les États-Unis les presse d'exploiter cet excédent pour refroidir l'inflation record. Ce à quoi Ryad et Abu Dhabi se sont jusqu’à présent refusés pour ne pas mettre à mal l’équilibre de leurs relations avec Moscou qui a mis tant de temps à se trouver.
C’est pour enrayer une chute des prix du pétrole de trois ans que l'OPEP avait courtisé en 2016 la Russie et neuf autres pays. En 2020, le désaccord profond entre l’Arabie Saoudite et la Russie quant à la conduite à tenir au sujet des restrictions de production dans un contexte de crise absolue – des avions cloués au sol, des usines sous cloches –, avait fait plonger la référence WTI en dessous de zéro.
Prime pour risque géopolitique
L’annonce imminente d’un « plan massif de sanctions » après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui viseront probablement ses exportations de pétrole, rebat les cartes à nouveau et de nombreux observateurs guettent avec un certain amusement la réaction de l’OPEP vis-à-vis de ce partenaire mis au ban de la communauté internationale. Jusqu’à présent, la seule perspective d'une guerre autour de l'Ukraine aura déjà généré l’introduction d’une prime de risque géopolitique pouvant atteindre 20 dollars par baril.
Joseph McMonigle, le secrétaire général du Forum international de l'énergie (IEF), formée par les pays producteurs et consommateurs pour promouvoir le dialogue et la coopération sur les objectifs communs de stabilité énergétique, est sorti de sa réserve ces dernières heures pour demander « aux nations de faire preuve de diligence » : « Les données montrent que le marché est déjà vulnérable à la volatilité en raison de l'équilibre serré entre l'offre et la demande, de la réduction des stocks et de la faible capacité de production disponible. Un manque d'investissement dans les projets pétroliers et gaziers en amont et des goulets d'étranglement dans la chaîne d'approvisionnement exposent davantage le système énergétique mondial à des risques », a-t-il déclaré.
Retour dans le jeu de l’Iran
Curiosité, le marché en viendrait à espérer qu’un accord sur le nucléaire iranien intervienne rapidement pour pouvoir compter sur un approvisionnement important. L’OPEP, dont l'Iran est l'un des cinq membres fondateurs, pourrait y voir un moyen de pallier les manques de son objectif de production.
Le ministère iranien des Affaires étrangères a indiqué le 21 février que les négociations avaient considérablement progressé et qu'il restait deux ou trois points à régler, toutefois conditionnés à des décisions de l'UE et des États-Unis, qui ont à l’heure actuelle d’autres priorités.
Les rapports indiquent que l'accord pourrait impliquer une levée progressive des sanctions par étapes. Pour rappel, les États-Unis, sous l’administration de Donald Trump, ont fait voler en éclat l’accord multilatéral (le JCPOA, Joint Comprehensive Plan of Action) conclu en 2015 entre l’Iran et le groupe 5+1 (Allemagne, Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie). Entré en vigueur début 2016, il devait garantir le caractère civil du programme nucléaire iranien en soumettant le pays à un strict contrôle de ses activités en contrepartie de la levée partielle et progressive des sanctions économiques internationales.
Une injection conséquente sur le marché
Bien que certains « transports » aient visiblement échapper à la détection et à l'application en particulier vers l'Asie* (dans un article du Financial Times, Euronav, DHT Holdings et Frontline ont déclaré qu'environ 70 VLCC ont transporté du pétrole iranien et vénézuélien sanctionné), la dénonciation de l’accord a soustrait au marché une quantité importante de pétrole (3,83 millions de barils par jour en 2018).
Selon l'Agence internationale de l'énergie, une issue positive des négociations ramener 1,3 Mb/j sur le marché. Une grande partie proviendra probablement des stockage flottants amassés par l'Iran, qui sont passés de 13,8 à 42,5 millions de barils au cours des deux dernières années, selon la société de données sur les matières premières Kpler.
Une fois les sanctions levées, la National Iranian Oil (NIOC) rétablira la production de pétrole à 3,3 Mb/j en l'espace d'un mois, puis l'augmentera à 4 millions, soit son niveau avant embargo, a assuré Farokh Alikhani, adjoint à la production de la NIOC auprès de la chaîne publique Shana News.
Impact positif sur les revenus des pétroliers
Selon Poten & Partners, cela pourrait avoir un impact positif sur les revenus des pétroliers. L'Iran possède 54 tankers dans sa flotte d'État, mais la plupart sont utilisés pour le stockage flottant depuis des années, et il est peu probable qu'ils soient prêts à naviguer immédiatement. Le retour au bercail de l’Iran pourrait donc être une affaire profitable à l’affrètement.
Alors que le transport maritime de pétrole vit sa pire récession, les exploitants de VLCC se demandent toujours quand ils vont remonter des profondeurs. Le commerce mondial de pétrole par voie maritime est un enjeu : il représente quelque 45 millions de barils de pétrole par jour, selon Euronav. L’armateur de tankers belge, DHT et Frontline représentent à eux trois 11 % de la flotte mondiale. C’est la double peine pour les propriétaires de pétroliers qui sont eux même confrontés à la hausse incroyable des coûts du combustible.
Selon la dernière évaluation de Ship & Bunker, le prix moyen du VLSFO dans les 20 principaux ports de soutage atteint désormais les 731,50 $ la tonne. À ce niveau, les pertes quotidiennes d’un VLCC opérant entre le golfe Persique et de l'Asie du Nord s'élèvent à plus de 14 000 $ et à 3 000 $ pour les transporteurs de produits pétroliers LR1 et LR2, selon les estimations des courtiers.
Adeline Descamps
* Pour échapper à la vigilance, les navires utilisent des tactiques telles que la désactivation de leurs systèmes AIS, la falsification de documents, l'utilisation de sociétés écrans. Les exploitants de tankers sont les premiers à demander une plus grande vigilance de l’OMI à l’encontre de ses « armateurs voyous ».