L'ascension fulgurante de l'Allemagne en tant qu'importateur de GNL

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Berlin, qui n’avait pas de terminaux méthaniers avant la guerre en Ukraine, s’est doté d’une capacité de regazéification et d’importation de GNL à une allure militaire. La première économie européenne, dont l’industrie est particulièrement vorace en énergies, a confirmé le 1er septembre un nouveau projet de FRSU, déjà annoncé, avec notamment le groupe français Engie. L'ensemble des projets, privés et publics, couvriront environ un tiers de la demande totale de gaz de l'Allemagne.

L’annonce le 31 août d’une nouvelle suspension des livraisons de gaz russe via Nord Stream 1 a fait l’effet d’un arc électrique pour les chancelleries européennes qui sortaient à peine de la torpeur estivale. Annoncée cet été par le géant russe Gazprom, cette énième interruption a été cette fois justifiée par des travaux dans une station de compression, située en Russie. Elle fait suite à un ensemble d’opérations de maintenance que l’éxécutif européen dénonce comme des manoeuvres de rétorsion aux sanctions internationales. Au fil des mois, Gazprom a réduit de 80 % les quantités livrées par cette conduite dont on ne peut plus ne pas savoir qu’elle relie directement les champs gaziers sibériens au nord de l'Allemagne et acheminait environ un tiers des 153 milliards de m3 de gaz achetés annuellement par l'UE. Du moins, c’était avant. Avant l'invasion russe de l'Ukraine et les craintes de pénuries énergétiques l'hiver prochain qui font galoper les prix des énergies. La fièvre s’est emparée de l'électricité ces derniers jours.

Cinquième projet en quelques mois

C’est dans ce contexte que Berlin a confirmé le 1er septembre le nouveau projet de terminal flottant de GNL qui avait été annoncé en juillet. L’unité flottante de regazéification sera développée et exploitée par un groupement composé du français Engie, du belge Tree Energy Solutions TES et de l'allemand E.ON. Selon le communiqué, Engie est responsable de l'affrètement du FSRU pour le compte du BMWK, pour une partie de son approvisionnement en GNL, et avec TES pour le développement et l'exploitation du FSRU.

Le FSRU, qui aura la capacité d’injecter « au moins cinq milliards de m3 par an », devrait être opérationnel au quatrième trimestre 2023, a précisé dans un communiqué ministère fédéral allemand de l'Économie et de la Protection du climat (BMWK). Le méthanier Exemplar, dont la livraison est imminente, est affrété pour cinq ans et fourni par Excelerate Energy. C’est le deuxième que l'entreprise américaine loue aux Européens après l’Excelsior pour l’Albanie.

Il sera basé à Wilhelmshaven en 2023, où une installation similaire est en cours de construction, et devrait commencer à desservir la Finlande et l'Estonie dès cette année dans le cadre d'un contrat d'affrètement de 10 ans avec Gasgrid.

 TES, soutenu par la société d'investissement AtlasInvest, y développe par ailleurs depuis 2019 un complexe d'importation d'hydrogène et de GNL et prévoit de démarrer les opérations à grande échelle d'ici 2025. En juin, l’entreprise avait déclaré qu’elle avait reçu 25 marques d’intérêt pour la réservation de capacités.

Quelques ports mobilisés

La première économie européenne s’active sur le front du gaz pour couper définitivement le cordon énergétique avec Moscou, dont l’Allemagne dépendait encore à 35 % en juin pour le gaz contre toutefois 55 % avant la guerre en Ukraine (142 milliards de m3 en 2021).

Pour rappel, les sociétés norvégienne Höegh LNG et grecque Dynagas ont signé des accords d’affrètement pour deux FRSU chacun avec le BMWK. Ils seront installés à Brunsbüttel et Wilhelmshaven, tous affrétés par Uniper. Ce dernier, principal fournisseur d’électricité allemand et premier importateur européen de gaz russe, a également lancé les travaux du premier terminal flottant à Wilhemshaven et prévoit de le mettre en service cet hiver en dépit de ses difficultés financières.  L'opérateur du réseau gazier néerlandais Gasunie s'attend à ce que le terminal soit mis en service d'ici la fin de l'année. L'Allemagne a récemment signé un accord avec RWE, Uniper, EnBW et VNG pour la fourniture de GNL à deux FSRU dont l’approvisionnement est ainsi assuré entièrement jusqu'en mars 2024.

À ces chantiers, il faut y ajouter une initiative, qui relève elle de la sphère privée, la première pour l’instant en Allemagne. Deutsche ReGas a annoncé le 13 juillet avoir signé un accord avec le TotalEnergies pour l’installation par le groupe français d’un FSRU dans le port de Lubmin, l’actuel point de sortie des gazoducs Nord Stream 1 et 2, lequel n’a jamais été mis en service en raison des tensions entre Berlin et Moscou avant même le conflit russo-ukrainien. Dès le mois de décembre, l’unité devrait injecter 4,5 milliards de m³ de GNL dans le réseau de gaz naturel allemand selon un dispositif combinant un système FSU (Floating Storage Unit) – méthaniers navettes et un FSRU

Objectif d’un stock de gaz de 95 % d’ici novembre

Si tous ces projets se concrétisent, l'Allemagne, qui n’avait aucun terminal méthanier avant la guerre en Ukraine, disposera de six unités de regazéification qui lui permettront d'importer du gaz naturel liquéfié et de diversifier ses fournisseurs, en augmentant notamment ses achats auprès des États-Unis, du Qatar ou encore du Canada, les grands producteurs mondiaux de GNL. Ensemble, les projets privés et publics couvriront « environ un tiers » de la demande totale de gaz de l'Allemagne, selon le ministère. 

Très rapidement après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’Allemagne avait débloqué une enveloppe de près de 3 Md$ pour éviter la dislocation de son marché énergétique alors que son industrie est particulièrement vorace en énergie.

Face aux risques de pénurie, Berlin s’est assigné une série d'objectifs pour que les stocks de gaz atteignent 95 % d'ici le 1er novembre, avant le début de l'hiver (autour de 85 % à cette heure). Pour ce faire, le gouvernement a adopté des mesures d'économie de la ressource, entre recours accru au charbon, diminution de la consommation des bâtiments publics et incitations aux entreprises. En juillet dernier, les entreprises ont consommé 21,3 % de gaz en moins par rapport à la moyenne des mêmes mois entre 2018 à 2021. Berlin a également débloqué une enveloppe exceptionnelle de 1,5 Md€ pour acheter du GNL afin d'assurer son approvisionnement, auprès du Qatar et des États-Unis, notamment. 

En France, le premier terminal flottant confirmé

En France, bien équipée par rapport à la moyenne européenne avec les terminaux méthaniers sur les Grands Ports maritimes de Marseille Fos (Fos Tonkin et Fos Cavaou), Nantes Saint-Nazaire et Dunkerque, la mise en service au quai de Bougainville dans le port du Havre d’une première unité en version flottante a été confirmée pour septembre 2023. Le projet, porté par le groupe pétrolier et gazier TotalEnergies et l’opérateur du réseau de transport de gaz en France GRTgaz, a reçu cet été le feu vert administratif.

 « TotalEnergies installera le FSRU et en assurera l’opération, GRTgaz assurera la construction et l’opération de la canalisation de raccordement au réseau de transport gaz », a réparti la préfecture de Seine-Maritime.TotalEnergies, qui dispose de deux FSRU, va dépêcher le Cape Ann. Doté d’une cuve d’une capacité de 145 000 m3, il « permettra d’injecter jusqu’à 5 milliards de m3 de gaz naturel par an dans le réseau national, ce qui représente environ 60 % du gaz russe importé par la France en 2021 et 10 % de la consommation annuelle française », indiquent les porteurs de projet.

Pour permettre le transfert du GNL regazéifié de l'unité flottante de stockage et de regazéification vers la berge, un bras de chargement marine sera fourni par le français Technip Energies. Les travaux de raccordement du FSRU au réseau national consisteront en la pose d’une canalisation de 3,5 km de long, avec un passage sous le canal du Havre, effectué par micro-tunnelier, sur une distance de 650 m et à une profondeur de 6 m sous le fond du chenal de navigation. Le chantier doit démarrer à l'automne pour une mise en service en septembre 2023. 

Espagne en hub énergétique de l’Europe

De son côté, l'Espagne, qui fait également partie des pays bien pourvus avec la plus grande capacité de regazéification de toute l'UE via six installations, entend donner corps à son projet de gazoduc Midcat – abréviation de Midi (sud de la France) et de Catalogne (nord-est de l'Espagne), les deux régions qu'il connecterait – et permettrait à l'Espagne, mais aussi au Portugal, d'acheminer du gaz, provenant sous forme de GNL des États-Unis ou du Qatar, vers l'Europe centrale en passant par la France.

Lancé en 2013, le projet avait été abandonné en 2019 par Paris et Madrid en raison de son impact environnemental et de son faible intérêt économique. Mais la guerre en Ukraine et les menaces de pénurie lui ont donné une nouvelle actualité. La France ne semble pas particulièrement intéressée si bien que l’Espagne pourrait lui substituer l’Italie avec une interconnexion énergétique reliant Barcelone à Livourne.

Adeline Descamps

 

 

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