La France a été la première destination du GNL américain en mars

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La rupture des liens énergétiques avec le gaz de l’agresseur russe est-elle enclenchée ? Les statistiques sont têtues. L’Europe semble avoir entamé son sevrage pour s’affranchir d’une dépendance monomaniaque avec un fournisseur principal alors que les États-Unis sont en train de lui ravir le rôle. Ou du moins dans la transition. 

L'Europe commencerait-elle à se sevrer vraiment du gaz russe alors que REPowerEU, le plan de la Commission européenne, vise à réduire sa dépendance des deux tiers cette année. Avec 155 milliards de m3 (Gm3) annuels, la Russie représente 45 % des importations de gaz et près de 40 % de la consommation de l'UE. Le commerce bilatéral de gaz naturel et de GNL entre les vingt-sept États membres européens et la Fédération de Russie est estimé à 20 Md$.

La question d'un éventuel embargo sur les énergies russes (au-delà du charbon, plus facile à substituer) ne fait toujours pas consensus au sein de la communauté européenne à la différence des États-Unis qui ont interdit, sans grand mérite, l'importation de pétrole et de gaz russes après l'invasion de l'Ukraine. Le niveau de dépendance est sans commune mesure.

Dépendante à 55 % d’un gaz de moins en moins fiable, a fortiori s’il faut le payer en roubles, l’exécutif allemand a également promis de s’en affranchir d'ici à la mi-2024. En réaction aux sanctions des acheteurs « inamicaux », mais plus encore à soutenir sa monnaie dévalorisée, le Kremlin a publié – ou envisage de le faire – un décret visant à payer le gaz russe en roubles depuis des comptes en Russie.

Fin de partie pour les États baltes

Sur la base des données Eurostat, dix États – Bulgarie, Tchéquie, Estonie, Lettonie, Hongrie, Autriche, Roumanie, Slovénie, Slovaquie, Finlande –, dépendraient même à plus de 75 % du fournisseur russe l'an dernier. Les États baltes ont cessé début avril d'importer « du gaz de l’agresseur » et utilisent des réserves de gaz stockées sous terre en Lettonie. À l’heure où il s’agit plutôt de remplir les cuves pour l'hiver prochain. « Il y a des années, mon pays a pris des décisions qui nous permettent aujourd'hui de rompre sans peine les liens énergétiques avec l'agresseur », a expliqué Uldis Bariss, PDG de Conexus Baltic Grid à la radio lettone. « Si nous pouvons le faire, le reste de l'Europe peut le faire aussi ».

Selon Eurostat, en 2020, la Russie comptait pour 93 % des importations estoniennes de gaz naturel, 100 % des importations lettones et 41,8 % des importations lituaniennes.

75 % des volumes de GNL américain livrées en mars

Un embargo sur l'énergie russe – gaz compris –, coûterait entre 0,3 et 3 % de PIB à l'Allemagne, d’après le Conseil d'analyse économique français. Et « la Lituanie, la Bulgarie, la Slovaquie, la Finlande ou la République tchèque peuvent connaître des baisses de revenu national comprises entre 1 et 5 % », estime-t-il.

Se tourner vers d'autres fournisseurs, notamment sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL) transporté par méthaniers, compenserait seulement en partie. Mais la France n’a visiblement pas tardé. L’Hexagone est le seul pays en Europe à disposer d’une capacité de regazéification importante avec ses quatre terminaux méthaniers, à Dunkerque, Montoir-de-Bretagne et deux à Fos. Tendance éphémère ou structurelle, la France a été la première destination des exportations de GNL américain en mars, devant l’Espagne et le Royaume-Uni, selon une analyse des données sur les flux réalisée le 4 avril par S&P Global Commodity Insights. La menace de Moscou de couper le gaz aux pays qui l'ont sanctionnée pour son invasion de l'Ukraine a manifestement eu l’effet d’un électrochoc.

Environ 75 % des volumes de GNL américain livrées en mars ont eu l’Europe et la Turquie pour destinations, contre environ 44 % il y a un an à la même période.

Seize livraisons en France

En nombre, les États-Unis ont assuré une centaine de livraisons en mars, soit 6 % de plus qu'en février et 28 % de plus qu'en mars 2021. La France a réceptionné 16 cargaisons de GNL américain, l'Espagne 15 et le Royaume-Uni 12, tandis que la Corée du Sud, la Turquie et les Pays-Bas se disputent la quatrième place.

Dans une déclaration commune du 25 mars, qui a posé les termes de la nouvelle coopération entre l'UE et le continent nord-américain, les États-Unis se sont engagés à fournir 15 Gm3 supplémentaires de GNL à l'UE en 2022, ce qui représenterait une augmentation considérable par rapport aux 22 Gm3 exportés 2021. Bruxelles s’est engagé garantir une demande « stable » à long terme, soit 50 Gm3 supplémentaires de GNL américain par an jusqu'en 2030 au moins.

Volatilité des prix, principal frein au sevrage

L'évolution constante de l'équilibre entre l'offre et la demande en Europe a entraîné une volatilité des prix du GNL livré. Avec pour effet de limiter les transits de GNL via le canal de Panama – car passage le plus court entre la côte américaine du Golfe du Mexique et l'Asie de l'Est et voie de passage royale du gaz naturel –, par rapport à la même période en 2021, selon l'Autorité du canal de Panama.

Le canal de Panama est en passe de mettre en œuvre un nouveau modèle de tarification. La nouvelle structure tarifaire proposée prévoit que les navires transitant sur lest (sans cargaison à bord) paient un pourcentage du péage normal en charge, indépendamment du segment de marché, tandis qu'un tarif spécial pour le voyage aller-retour des méthaniers serait progressivement supprimé. L’administration du canal souhaite manifestement que les péages reflètent l'évolution des conditions du marché, notamment l'augmentation de la demande mondiale de GNL.

Réduction de la consommation impérative

« Nous estimons que l'Europe ne sera en mesure de remplacer qu'environ 55 % des 155 Gm3 de gaz acheminés par les gazoducs russes dans le meilleur des cas », indique ING. La majeure partie, soit environ 68 Gm3, proviendra de l'augmentation des importations de GNL. « L'augmentation de la production intérieure de gaz de 14 Gm3 en Norvège, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni est également utile, de même que l'augmentation de 4 Gm3 des flux de gazoducs provenant de sources non russes. »

Pour atteindre les objectifs, la bancassurance néerlandaise estime que l’Europe ne pourra pas pour autant faire l’économie de la réduction de sa consommation. « L'augmentation de la production d'électricité à partir de charbon, la baisse des thermostats dans les bâtiments et la réduction de la production présentent le plus fort potentiel de réduction de la consommation de gaz. En estimant l'impact de ces mesures dans différents secteurs sur la demande globale de gaz, nous pensons que les décideurs d'entreprise et les ménages pourraient économiser 10 à 15 % de gaz en 2022. »

En réalité, c’est surtout la volatilité des prix qui incite les entreprises grandes consommatrices d'énergie à réduire leur production. Aux Pays-Bas, le producteur d'engrais Yara fait actuellement tourner sa production d'ammoniac à seulement 45 % de sa capacité de production, et certains sites de production en France et en Italie sont déjà en pause. L'aluminier néerlandais Aldel a annoncé en octobre dernier qu'il réduirait sa production de 60 à 70 % dans sa fonderie d'aluminium de Delfzijl pendant au moins six mois. Et les célèbres verriers italiens ont du mal à encaisser le choc tout comme la filière de l'horticulture sous serre.

Adeline Descamps

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