La construction navale sud-coréenne inquiète des impacts de la guerre

Article réservé aux abonnés

L'invasion de l'Ukraine par la Russie, qui s'est ajoutée aux perturbations causées par la pandémie, crée des remous dans la construction navale mondiale dominée par la Corée du sud, la Chine et le Japon. La Corée du sud, classé parmi les pays inamicaux par la Russie, ne voit pas d’un bon oeil la neutralité tiède de Pékin à l’égard du Kremlin, grand client des méthaniers classe glace. Un domaine dans lequel la Chine gagne en compétences.

L’exode des intérêts russes provoqué par la cascade de sanctions internationales pourrait indirectement faire le jeu des chantiers navals chinois dans le domaine à haute valeur ajoutée qu’est la construction de méthaniers. La Corée du sud, qui en a la prééminence mondiale, craint en tout cas la stratégie de substitution chinoise qui pourrait en ressortir. Surtout en Arctique.

Bien que le soutien soit tiède, Pékin s’est bien gardé de mettre au ban son partenaire russe, grand exportateur de pétrole, de gaz et de charbon mais aussi de blé dont son pays a tant besoin. Peu de temps avant l’invasion le 24 février, les deux pays signaient des accords à long terme garantissant à la Chine des volumes sur certaines matières premières (100 Mt sur le charbon par exemple).

Séoul a au contraire soutenu les sanctions interdisant aux principales banques russes l'accès au réseau de paiement international Swift. Une position qui lui vaut à la fois d’être considéré comme « inamical » par le Kremlin mais qui place aussi les constructeurs navals du pays dans une position compliquée. Il sera difficile dans ces conditions de décrocher de nouvelles commandes.  

2,5 % du carnet de commandes mondial

Globalement, l'impact immédiat de la disgrâce russe sur l'industrie maritime mondiale est minime, étant donné que les navires liés à la Russie ne représentent que 2,5 % du carnet de commandes mondial, selon Maritime Strategies International. Mais sur les méthaniers classe glace, commandés en nombre pour servir les grands complexes gaziers en Arctique, les sud-coréens ont néanmoins beaucoup à perdre.  

De tous les constructeurs, Samsung Heavy Industries (SHI) possède le plus grand carnet de commandes avec des entités russes, totalisant 5 Md$ sur les 6,5 milliards de contrats engrangés par les trois grands faiseurs sud-coréens dans les méthaniers : Korea Shipbuilding & Offshore Engineering (KSOE) – qui chapeauté Hyundai Heavy Industries, Hyundai Mipo Dockyard et Hyundai Samho Heavy Industries–, SHI et DSME. 

Situation critique

Plus critique encore, alors que les chantiers se rétablissent financièrement des deux années pandémiques, est leur exposition aux méthaniers en cours de construction pour Novatek, le deuxième producteur de gaz naturel de Russie. SHI construit ainsi des blocs pour les 15 méthaniers brise-glace Arc7 dédiés à Sovcomflot (SCF) et Novatek. DSME doit livrer six unités à MOL et SCF en 2023. 

Les entreprises coréennes craignent les retards ou défauts de paiement de la part des armateurs russes du fait des sanctions financières contre ses banques. Or, les constructeurs navals reçoivent en principe 20 % du montant total de la construction à la signature du contrat et plus 60 % du paiement a été effectué lorsque le navire est livré si la construction a demandé cinq à six ans. Compte tenu des risques de paiement, il est probable que les constructeurs retardent l'achèvement et la livraison aux entreprises russes. Ce qui va peser sur les trésoreries.  

Montée en expertise des constructeurs chinois

Plus fondamentalement, l'exode russe ouvre à la Chine l’opportunité de gagner du terrain dans la construction de méthaniers, ces navires sophistiqués dont les sud-coréens ont la parfaite maîtrise. Les deux pays sont engagés dans une course acharnée pour le titre de première nation de construction navale, la Chine ayant dépassé la Corée par les commandes l’an dernier avec 49 % du carnet de commandes mondial. Mais jusqu’à ces dernières années, les chantiers chinois allaient peu sur le terrain de la technologie. Or, ils se sont illustrés récemment dans la conception et construction de navires au GNL (tels les megamax de CMA CGM), au méthanol et à l'ammoniac.

En dépit de leur montée en gamme ces dernières années, ils n’égalent pas encore leur petits voisins en matière de méthaniers brise-glace. Mais les entreprises d'État chinoises, cantonnées jusqu’alors au tout-venant, se sont sans complexe positonnées sur la construction de gaziers et navires polaires, épaulées par leurs instituts de recherche navale.

Si les constructeurs chinois revendiquent des capacités dans la construction de méthaniers de classe glace, les grandes entreprises russes ont néanmoins fait appel aux sud-coréens pour construire les séries de méthaniers dont ils ont besoin pour transporter le gaz foré en Arctique vers l’Asie et les États-Unis. 

Pour autant, contre toute attente, le Qatar a officialisé en avril 2020 une première commande de 15 méthaniers de 174 000 m3 (sur les 100 qu’il envisage de faire construire) et elle a eu un goût amère pour les Sud-Coréens. Qatar Petroleum l’a attribuée au chinois Hudong-Zhonghua, filiale du puissant groupe de construction navale China State Shipbuilding Corp (CSSC). D’un montant de 2,86 Md$, le contrat reste pour le chinois le plus important jamais enregistré avec une société étrangère dans le secteur des méthaniers. Hudong-Zhonghua était alors le seul chantier en Chine capable de délivrer des méthaniers de grande taille.

Influence à tous les niveaux

Mais plus encore Séoul craint-il l’influence de Pékin. La Chine est non seulement un grand client russe mais elle est aussi actionnaire d’entreprises russes du secteur de l'énergie et des matières premières. 

Les importations chinoises de gaz en provenance de Russie ont augmenté de plus de 50 % en 2021, atteignant 16,5 milliards de m3, en grande partie grâce au gazoduc Power of Siberia, qui transporte depuis 2019 du gaz depuis les champs situés en Iakoutie vers la Chine. D'ici 2025, avec le Power of Siberia 2, il devrait être en mesure de fournir 38 milliards de m3 à la seconde puisse économique mondiale. Gazprom sera alors le plus grand fournisseur de gaz naturel de la Chine. 

Le Power of Siberia 2 reliera en outre la Chine aux gisements de gaz de la péninsule de Yamal, jusqu’à présent destiné à alimenter en priorité l'Europe. 

Gazprom a en projet de relier la Chine aux champs pétroliers et gaziers de Sakhaline-1 et Sakhaline-2, dont les actionnaires occidentales (Shell et ExxonMobil) sont contraints de se retirer alors que le Japon, la Corée du Sud et Taïwan, qui ne sont plus « des amis de la Russie », sont les destinataires du gaz de Sakhaline-1. Un boulevard pour que les entreprises énergétiques chinoises épongent les capacités rendues disponibles.  

Soft power chinois

Alors que le marché s'attend à ce que la demande de transport maritime de GNL connaisse une augmentation conséquente du fait de la substitution au gaz russe transporté par gazoducs, il ne faudrait pas que la Chine préempte aussi la construction des navires qui lui acheminent son gaz, soupire-t-on du côté en Corée du Sud.

En février, la course aux nouvelles commandes entre les deux leaders mondiaux était toujours au coude à coude, la Corée devançant son concurrent en matière de nouvelles commandes mondiales en février avec 67 % du total, selon les données de Clarkson Research.  

Adeline Descamps

Shipping

Marchés

Boutique
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15