La China State Shipbuilding Corp. et Qatar Petroleum ont officiellement signé un contrat de 2,86 Md$ pour la construction de méthaniers. L’accord a un goût amer pour les chantiers sud-coréens, maîtres de la technologie, mais savoureux pour le chinois Hudong-Zhonghua Shipbuilding, qui enregistre ainsi sa plus grande affaire jamais signée avec une société étrangère. Premier dénouement d’une véritable saga.
Le Qatar annonce. Le Qatar confirme. Le Qatar précise. Le Qatar prend son temps. Le Qatar visite… Depuis janvier 2019, une méga commande portant jusqu’à plusieurs dizaines de méthaniers tient la construction navale en haleine et alimente bruits et rumeurs jusqu’à cette annonce pour le moins inattendue compte tenu du contexte. Prenant le contrepied de ceux qui pensaient que la crise engendrée par la Covid 19 et la conjoncture du GNL allaient peut-être l’amener à retarder ses emplettes, le Qatar a officialisé une première commande de 15 méthaniers de 174 000 m3. Autre surprise, celle-là amère pour les Sud-Coréens, Qatar Petroleum l’a attribuée au chinois Hudong-Zhonghua Shipbuilding, filiale de China State Shipbuilding Corp. D’un montant de 2,86 Md$, le contrat est le plus important jamais enregistré à l’export par l’entreprise dans le secteur des méthaniers. Hudong-Zhonghua est le seul chantier en Chine capable de délivrer des méthaniers de grande taille. L'entreprise, qui a son siège à Pudong (Shanghai) et dispose de trois chantiers navals, en a déjà construit une vingtaine.
Interminable feuilleton
C’est peu de dire que la compagnie pétrolière et gazière de la petite monarchie du Golfe a pris son temps. Tout au long de l’année 2019, des représentants de Qatar Petroleum ont sillonné les chantiers asiatiques, sud-coréens, certes, mais aussi japonais et chinois en quête de l’expertise. Le Qatar envisageait dans un premier temps d’acquérir jusqu’à 60 méthaniers de types Q-Flex et Q-Max d’une capacité de 210 000 et 266 000 m3 pour étoffer et moderniser sa flotte à l’horizon 2023 en prévision d’une hausse de 43 % de sa production de GNL. « Nous avons besoin d’entre 50 et 60 navires pour transporter la production accrue de GNL qui passera de 77 à 110 millions Mt/j d’ici 2024 », déclarait en début d’année 2019 Saad Sherida Al-Kaabi, qui cumule les fonctions de ministre de l’Énergie du Qatar et PDG de Qatar Petroleum.
Ayant construit tous les méthaniers commandés par le Qatar de 2004 à 2007 et raflé la quasi-totalité des contrats portant sur le segment des méthaniers ces deux dernières années, HHI, DSME et Samsung Heavy (ces deux derniers qui ne devraient plus faire qu’un) se montraient confiants. D’autant plus que les représentants qataris ne cachaient pas au début leurs préférences.
Avril 2019. Coup de théâtre.
Le géant pétrolier public à l’appétit d’ogre annonce en avril un appel d'offres pour ce qui se présente comme le plus important programme de construction de nouveaux méthaniers de l'histoire. L’information fuite en marge de la 19e Conférence internationale sur le GNL à Shanghai (LNG2019), au cours de laquelle Qatar Petroleum a notamment dévoilé un certain nombre de contrats. Il est cette fois question d’une commande qui porterait, non plus sur 60, mais sur une centaine de méthaniers au cours de la prochaine décennie. Outre l'augmentation de sa capacité de production de GNL en lien avec différents investissements, notamment les projets d'expansion du champ gazier offshore géant North Field, Qatar Petroleum anticipe sur les besoins de transport d'Ocean LNG, une coentreprise entre Qatar Petroleum (70 %) et ExxonMobil (30 %) créée dans le cadre du projet Golden Pass LNG aux États-Unis.
Lobbying sud-coréen intense
En octobre dernier, de son côté, la Corée du Sud active le lobbying, mobilisant toutes ses énergies. Les compagnies sud-coréennes H-Line Shipping, Hyundai LNG Shipping, Korea Line, Pan Ocean et SK Shipping accompagnent à Doha une délégation ministérielle de sept ministres coréens, dont ceux de l’Énergie, des Affaires maritimes et du Transport. Réunion au cours de laquelle les deux pays ont par ailleurs, et entre autres, signé des accords de coopération dans les domaines maritime et énergétique.
Et cette méga commande qatarie ? s’interrogeait-on encore en début d’année. Le Qatar continue de brouiller les pistes. Mi-janvier, le directeur des opérations commerciales et du transport maritime de Qatargas, Alaa Abu Jbara, visite pour la seconde fois Hudong-Zhonghua. « L'avenir du GNL est en Chine », lance à la cantonade un responsable de Qatargas. À cette occasion, les deux parties conviennent de travailler conjointement au développement et à la construction d’un « méthanier compétitif » et s’engagent à explorer de nouvelles voies de coopération dans le secteur du GNL.
Les chantiers sud-coréens ont le blues
Fin d’un premier acte
C’est donc un premier aperçu de la commande la plus convoitée qui trouve un dénouement avec cette signature entre Lei Fanpei, président de la CSSC, et Saad Sherida AI-Kaabi, le PDG de Qatar Petroleum et ministre d'État aux Affaires énergétiques.
« La mise en œuvre du plan de construction de méthaniers de Qatar Petroleum va insuffler de la vitalité à l'industrie énergétique mondiale. La coopération pourra stabiliser le secteur et contribuer à stimuler l'économie mondiale » a déclaré Lei Fanpei. « Le projet de gaz naturel du Qatar porte sur un investissement jusqu'à 10 Md$ dans la construction de nouveaux navires. Hudong-Zhonghua a prouvé sa compétence dans la construction de navires de GNL en emportant ce premier lot », a ajouté Chen Jianliang, président de Hudong-Zhonghua.
Un choc pour les chantiers sud-coréens, qui traversent une mauvaise passe. La crise économique provoquée par le Covid 19 retarde sine die plusieurs projets dans les domaines de l’offshore et du GNL.
Adeline Descamps (avec la contribution de Thierry Joly)