Flambée du nombre de conteneurs perdus en mer

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L’accidentologie relative à la perte de conteneurs en mer s’est étoffée ces dix dernières années avec l’emprise croissante des porte-conteneurs sur la mer, en largeur, en longueur et en hauteur. Le World council shipping, seule entité à renseigner le phénomène depuis 2008, vient de publier une actualisation portant sur les trois dernières années. Les conditions météorologiques en 2020 et 2021 ont porté à 3 113 le nombre de boîtes passées par-dessus bord. Les armateurs reprennent l’initiative sur le sujet pour mieux prévenir alors que l’OMI prend son temps pour davantage encadrer...

Le phénomène porte une charge environnementale lourde. Il coûte cher aux assurances maritimes. Il est un défi technique pour les ingénieurs. Il est un casse-tête pour les régulateurs. Il donne des sueurs froides aux ship planners. Il est un fléau pour les armateurs.  

L’accidentologie des pertes de conteneurs en mer s’est étoffée ces dix dernières années avec l’emprise croissante des porte-conteneurs sur la mer, en largeur, en longueur et en hauteur. CMA CGM Otello (perte de 48 conteneurs), CMA CGM Verdi (85), Hyundai Fortune (60 à 90 dont 7 remplis d’hypochlorite de calcium), MSC Napoli (119), M/V Rena (169), SS El Faro (517), Annabella, Pacific Adventurer, Svendborg Maersk, CMA CGM Washington, Yang Ming Efficiency, MSC Zoe (342), APL England (81), MOL Comfort (4 293), E.R. Tianping (76), Ever Liberal (36)ONE Aquila, ONE Apus (1 816)Maersk Essen (750), Maersk Eindhoven (260)… tous évoquent de regrettables épisodes. 

Un phénomène comptable

En l’absence d’un système officiel de déclaration de pertes en mer, les données avancées par le World shipping council (WSC) font autorité. Mais elles ont un biais aux yeux de certains : elles reposent sur des informations renseignées par ses membres armateurs, tenus d’indiquer le nombre de conteneurs passés par-dessus bord au cours des trois années précédentes. Pour autant, elles constituent une base documentaire et sont plutôt représentatives puisque tous les adhérents de l’organisation ont répondu. Ensemble, ils représentent environ 80 % de la capacité totale du secteur du conteneur.  

Une analyse menée sur quatorze ans (2008- 2021) estime à 1 629 le nombre moyen de conteneurs perdus en mer chaque année. Une poussée de 18 % par rapport au précédent relevé, entre 2008 et 2019. L'inflation est manifeste comparé à la première période étudiée par le WSC. Entre 2008 et 2010, le phénomène était évalué à 675 unités par an, avant de quadrupler pour atteindre une moyenne annuelle de 2 683 entre 2011 et 2013. Le naufrage du MOL Comfort (2013) et l'échouement du M/V Rena (2011) ont gonflé les statistiques. Entre 2014 et 2016, en dépit de la tragédie du SS El Faro (2015) avec la mort de 33 membres d'équipage et les 517 conteneurs engloutis sous les flots, la tendance est repartie à la baisse avec une moyenne annuelle de 1 390. Le repli a été plus marqué encore sur la période 2017-2019, lorsque la perte annuelle moyenne s’est réduite à 779.  

Les deux dernières années (2020-2021) représentent donc une rupture inquiétante. En cause dans cette flambée, un nombre inhabituellement élevé d'incidents liés aux conditions météorologiques en 2020 et 2021 avec 3 113 conteneurs passés par-dessus bord. À eux deux, One et Maersk (One Apus et Maersk Essen) ont fait mentir la spirale baissière. Il faut cependant mettre en perspective ces données avec les 6 388 porte-conteneurs en service qui ont transporté 241 millions de conteneurs en 2021. Par rapport au volume transporté, la perte de conteneurs est donc réduite à 0,001 %. Mais tous s'accordent pour dire que cela reste trop. 

Des causes identifiées

Les causes ont été largement renseignées par les rapports d’enquête : conteneurs mal arrimés et fixés entre eux, disposés de façon inadéquate à bord, trop chargés, mal emballés, contenu faussement déclaré par méconnaissance ou sciemment pour ne pas avoir à payer le surcoût lié aux marchandises dangereuses, vieillissement accéléré des boîtes du fait de leur sur-sollicitation et conditions d’emploi… 

Le facteur humain est déterminant mais les conditions météorologiques restent un facteur aggravant. Si l’homme est en mesure de maîtriser certains paramètres, l’état de la mer ne se contrôle pas, en revanche. L’océan Pacifique, connu pour ses vagues scélérates, ne fait pas de cadeau. La navigation, pourtant domptée, ne maîtrise pas toujours les complexes mouvements de roulis et les forces latérales et verticales qui s’exercent dans tous les sens, a fortiori en cas de forte houle. Les torsions et frictions, qui en découlent malmènent le navire et sollicitent l'arrimage et la fixation des charges. Et plus le mur de conteneurs est haut, plus le navire est chargé, plus les piles sont soumises à de grands franc-bord.  

Or, les mastodontes de dernière génération sont capables d’aligner 24 rangées de conteneurs au-dessus du pont, autant dans le sens de la longueur, et d’empiler jusqu’à 24 conteneurs, 12 dans les cales et 10 à 12 en pontée. À pleine charge, les piles, hautes de 5 à 6 étages, offrent une forte prise au vent.

Des facteurs aggravants

Le P&I Standard Club, qui s’est penché sur le cas très spécifique des mégamax, a clairement mis en évidence les failles des dispositifs d'arrimage et de fixation. Les conteneurs fixés à l'aide de verrous aux quatre coins, des barres d'arrimage sont ensuite utilisées pour river les piles de conteneurs au pont. Or selon le Standard Club, elles ne permettraient d’atteindre que les premiers niveaux de conteneurs. Ce qui questionne les étages supérieurs. 

Bien que les systèmes soient agréés par classe, ils ne sont généralement pas inspectés par une société de classification. Il en va donc de la responsabilité de l’équipage. Sur un navire de 24 000 boîtes, vérifier x baies et gouttières n’est pas toujours compatible avec les exigences des cadences et la pression commerciale, constatent les assureurs.  

Défauts de contrôles sur les déclarations

Que ce soit le contenu, l’emballage ou la méthode d’arrimage, le capitaine d’un navire n’a pas la main. Il n’a pas la possibilité de voir ou de contrôler le contenu des conteneurs (pour des raisons de sûreté du fret) ni la façon dont ils ont été emballés tandis que les transporteurs dépendent généralement de tiers pour l'empotage et l'arrimage des marchandises dans les conteneurs. 

Facteur aggravant, les conteneurs dont le poids est mal déclaré. Pour résoudre le problème des conteneurs en surpoids, l’OMI a modifié la règle 2 du chapitre VI de la convention SOLAS en 2016 afin d'exiger la vérification du poids des conteneurs avant le chargement. Le propriétaire du fret est aujourd’hui tenu de fournir la masse brute vérifiée (VGM) en l'indiquant dans le connaissement. Cette déclaration est capitale car elle sert au ship planner pour établir le plan de chargement des navires.  

Les erreurs sont loin d’être marginales. Il y aurait 10 % de conteneurs déclarés dans la catégorie IMDG des « dangereux » mais autant qui ne le sont pas alors qu’ils devraient l’être. Ce sont autant de boîtes traitées comme les autres alors qu’elles devraient être placées à bord selon des règles et une surveillance spécifiques.  

En 2019, une série d’incendies sur des porte-conteneurs avait poussé certains armateurs à actionner la sanction financière pour tromperie sur la marchandise, qu’elle ait été commise avec la volonté délibérée de frauder, par erreur ou par méconnaissance des règles d’étiquetage et d’emballage. 

Un coût élevé à tous niveaux

Le phénomène coûte cher aux assurances maritimes. Le coût du sinistre du One Apus et de sa cargaison de conteneurs mutilés, dont les images ont marqué l’histoire, est estimé à plus de 200 M$. La perte de cargaisons du mémorable Mol Comfort aurait coûté au P&I Club quelque 440 M€ au titre des seules cargaisons.

Alerté par la récente évolution, le WSC a lancé, avec les compagnies maritimes, le projet MARIN Top Tier prévu sur trois ans et basé sur le principe « mieux connaître, c’est mieux prévenir ». « Il s'appuiera sur des analyses scientifiques, des études et des bureaux, ainsi que sur des mesures et des collectes de données en situation réelle afin de publier des recommandations », indique l’organisation maritime, basée aux États-Unis et revendiquant 90 % du transport maritime.  

Ainsi, par exemple, le roulis paramétrique, « un phénomène encore mal connu qui peut se développer de manière inattendue et avoir de graves conséquences », a fait l’objet d’un document mis à disposition des équipes en charge des opérations de façon à « planifier, reconnaître et agir pour prévenir le phénomène ».  

Nécessité de régulation accrue ? 

À l’OMI, le sujet est abordé au sein des Maritime Safety Committee (MSC), dont le dernier (MSC 105) s’est tenu en avril. En tant qu’État membre, la France est notamment à l’œuvre pour pousser une révision sur les réglementations techniques et juridiques en ce qui concerne les limites de conception des équipements d’arrimage des cargaisons, les conditions de chargement et de stabilité, qui ne sont plus adaptées aux porte-conteneurs de dernière génération. 

Elle demande « a minima une déclaration systématique de perte de conteneurs ainsi que des balises pour les récupérer plus facilement et ainsi, mieux maîtriser les impacts sur les milieux marins. » Actuellement, au niveau international, les exigences de déclaration obligatoire pour les pertes de conteneurs ne concernent que les boîtes chargées de marchandises dangereuses. Les organisations représentant les armateurs de porte-conteneurs soutiennent une généralisation. 

Outre les modifications apportées à la Convention SOLAS exigeant la vérification du poids des conteneurs, les normes ISO révisées concernant l'équipement d'arrimage et les moulages d'angle sont entrées en vigueur en 2015. Des avancées cependant encore maigres.

Mais les navires, toujours plus grands, les piles de conteneurs toujours plus hautes, les 241 millions de conteneurs en circulation, les 555 porte-conteneurs commandés en 2021 qui vont déferler sur le marché au cours des trois prochaines années... devraient motiver les plus prompts à légiférer.

Adeline Descamps

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