L'Autorité australienne de sécurité maritime (AMSA) a porté plainte contre le capitaine du porte-conteneurs APL England, qui a perdu plus de 50 conteneurs au large des côtes de la Nouvelle-Galles du Sud le 24 mai dernier. L’incident va sans doute raviver les débats sur un classique de l’histoire maritime.
À chaque nouvel accident, les mêmes cris d’orfraie. L’histoire maritime (on retrouve des premières traces en 1913) regorge de sinistres souvent graves dans lesquels la marchandise détient une grande part, si ce n’est toute la responsabilité. L’an dernier, les exemples ont été si nombreux qu’ils ont fait mentir les statistiques selon lesquelles un « incendie majeur de porte-conteneurs en mer se produit en moyenne tous les 60 jours ». Les évolutions du transport maritime, à commencer par le gigantisme dans le conteneur, a exacerbé le phénomène.
Certaines données alarment. L’International Cargo Handling Coordination Association estime à quelque 6 millions le nombre de conteneurs embarquant des marchandises dangereuses transportés par an. TT Club considère que près de 1,3 million de boîtes ne seraient pas correctement emballées ou mal identifiées. Allianz va plus loin, affirmant que 66 % des incidents liés à des dommages au fret, dont les coûts sont estimés à plus de 500 M$ par an, peuvent être attribués à des marchandises mal arrimées, emballées ou documentées. Selon le Système de notification d’incident de cargaison (CINS) – base de données partagées depuis 2001 par 17 compagnies maritimes qui recense tous les incidents liés au fret – plus d’un quart de tous les incendies signalés sont le fait de fret mal déclaré.
Mise à l’amende
L’an dernier, la loi des séries avait poussé certains armateurs à actionner la mesure qui fait souvent mouche : la sanction financière pour toutes tromperies sur la marchandise, et ce, de façon indistincte, qu’elles aient été commises avec la volonté délibérée de frauder (pour éviter les coûts et exigences réglementaires supplémentaires), par erreur ou méconnaissance des règles de l’étiquetage et l’emballage des marchandises dangereuses.
Une façon de sensibiliser les chargeurs et expéditeurs fret « sur tous les coûts et conséquences liés aux violations », à commencer par la « sécurité de notre équipage, de nos navires et des autres cargaisons à bord », avait poliment justifié Hapag-Lloyd auprès de ses clients. L’un de ses porte-conteneurs avait inauguré de façon spectaculaire l’année 2019 avec l’incendie du Yantian Express si violent que l’équipage avait été contraint d’abandonner le navire, lequel a ensuite été classé en avarie commune avec 320 conteneurs en pertes totales et 460 autres endommagés. On ne pouvait pas reprocher à l’armateur allemand de réagir avec précipitation. Entre 2015 et 2017, le logiciel « profiler » qu’il a développé pour déceler les défauts de déclaration dans son système de réservation avait identifié quelque 11 000 cargaisons mal déclarées.
Le leader mondial Maersk, qui a revu ses procédures d’arrimage et de chargement suite à l’incendie en mars 2018 du Maersk Honam, a pour sa part contraint ses clients à cocher une case, obligatoire, pour poursuivre leur réservation sur son site web, dans lequel le client doit s’engager sur l’honneur sur le respect de toutes les règles.
Relance d’un débat sans fin
L’affaire du porte-conteneurs APL England (5 500 EVP), qui a perdu une cinquantaine de conteneurs au large des côtes de la Nouvelle-Galles du Sud le 24 mai dernier et endommagé 74 autres, va sans doute réactiver les débats même si les premières inspections n’ont identifié aucune marchandise dangereuse et mettent en cause davantage l’armateur.
Le porte-conteneurs battant pavillon Singapour faisait route de la Chine vers Melbourne, en Australie, lorsqu'il a aurait subi une perte de propulsion dans une mer agitée à environ 73 km (45 miles) au sud-est de Sydney. L’autorité australienne de sécurité maritime (AMSA) n’a pas tardé à porter plainte contre le capitaine, accusé d'infractions liées à la pollution et/ou de dommages causés à l'environnement marin australien en raison d'un mauvais chargement de la cargaison. Les inspecteurs australiens, montés à bord du navire après son accostage à Brisbane, ont en effet considéré que les dispositifs d'arrimage de la cargaison étaient inadéquats et ont constaté une forte corrosion sur les points d'arrimage des conteneurs.
« Ces constatations sont des violations de la Convention SOLAS qui consiste à s'assurer qu'un navire et son équipement sont entretenus de manière à ne pas présenter de risque pour la sécurité du navire lui-même ou de quiconque à bord du navire », a déclaré Allan Schwartz, directeur général des opérations de l'AMSA. En conséquence, l'APL England a été immobilisé à Brisbane et ne sera pas libéré « tant qu'il n'aura pas été remédié à ces graves lacunes. C'est maintenant au propriétaire du navire, à ALP, et à l'exploitant d'y remédier ».
22 M$ exigés en garantie
Les autorités australiennes indiquent en outre que le même porte-conteneurs avait déjà perdu 37 conteneurs en Australie en août 2016. La compagnie n’appartenait alors pas encore au groupe CMA CGM, qui l’a pourtant acquise cette année-là auprès du groupe singapourien NOL (Neptune Orient Lines). Elles rappellent aussi qu’un incident similaire était survenu à bord du Yang Ming Efficiency en juin 2018, qui avait occasionné la perte de 81 conteneurs près de Newcastle.
Échaudées sans doute par ces tristes précédents alors que l’opération de récupération des conteneurs du Yang Ming vient à peine de se solder et que l’AMSA en est encore à récupérer les coûts associés au nettoyage auprès de l’assureur Britannia P&I, les autorités locales ont exigé cette fois une garantie financière de 22 M$ à l’assureur du APL England, Steamship Mutual.
Liste noire des fraudeurs
Les assureurs soutiennent par ailleurs que des listes noires de « professionnels » de la déclaration erronée de fret circulent alors qu’il s’agit là d’une infraction manifeste aux lois antitrust limitant en principe le partage d’informations ! L’an dernier, le TT Club avait lancé une vaste campagne d’information en faveur, selon son expression, de « l’intégrité du fret ». Sans autre prétention que de sensibiliser et sans doute aussi de forcer l’OMI à légiférer un peu plus. En plus des porte-conteneurs, les vraquiers continuent aussi de couler en raison de la liquéfaction de la cargaison. Un phénomène sans véritable solution à cette heure.
Adeline Descamps