La Chine, via son ministère des Transports, a introduit le 1er juin un renforcement des contrôles et des amendes sur les déclarations trompeuses de marchandises. La décision chinoise va donner du grain à moudre aux compagnies, entrées l'an dernier dans une phase répressive...
Y-a-t-il tromperie sur la marchandise ? La Chine, via son ministère des Transports, a annoncé le 1er juin un renforcement des contrôles sur les déclarations de marchandises quant au poids et au contenu. La décision chinoise devrait ravir les armateurs qui, suite à une loi des séries d’incidents sur des porte-conteneurs l’an dernier – incendies et pertes de conteneurs à la mer – ont fini par durcir le ton et… passer à l’amende pour toute cargaison mal déclarée. Et ce, de façon indistincte, que la déclaration ait été commise avec la volonté délibérée de frauder (pour obtenir des taux de fret inférieurs, les matières inertes n’étant pas facturées au même prix que les dangereuses), par erreur ou méconnaissance des règles d’étiquetage et d’emballage des marchandises dangereuses.
« Toute incohérence entre la cargaison déclarée dans les documents et sa réalité constatée entraînera des frais », avait justifié OOCL, la filiale de Cosco, qui a dans le même temps revisité ses conditions d’acceptation du fret dangereux ainsi que sa politique de contrôle « par des vérifications supplémentaires avant chargement et des inspections aléatoires ». En termes de pénalisation, les transporteurs n’ont pas fait dans la demi-mesure. Tout conteneur « trompeur » peut coûter entre 15 000 $ pour Hapag-Lloyd et 35 000 $ pour le taïwanais Evergreen.
Pénalisation et responsabilisation
Traumatisé par l’incendie en mars 2018 du Maersk Honam, le transporteur danois est passé pour sa part à la responsabilisation juridique du client, désormais invité à cocher une case, obligatoire, pour poursuivre la réservation sur son site web. Le texte à signer est explicite. « Je confirme en tant qu’expéditeur que les marchandises figurant dans cette réservation NE SONT PAS classées comme marchandises dangereuses telles que définies et/ou classées dans le Code maritime international des marchandises dangereuses 2016 (IMDG), qu’elles sont sûres pour le transport par mer, emballées et chargées conformément au Code of Practice for Packing of Cargo Transport Units 2014 ».
« Il ne faudrait pas non plus que la stigmatisation des manquements constatés du côté des chargeurs serve d’écran de fumée pour cacher les défauts d’arrimage et d’élingage de conteneurs en pontée, lesquels relèvent de la responsabilité directe des compagnies », protestent certains professionnels. Dans l’incident du APL England, qui a perdu des conteneurs au large des côtes de la Nouvelle-Galles du Sud le 24 mai dernier, les inspecteurs australiens ont en effet considéré que les dispositifs d'arrimage de la cargaison étaient inadéquats et que les points d’arrimage des conteneurs avaient subi une forte corrosion.
Bonne foi l’expéditeur
La confusion des données sur le nombre de cargaisons responsables des incidents nuit « à une perception réaliste des risques et à une attitude responsable en matière de responsabilité », expliquait Peregrine Storrs-Fox, directeur de la gestion des risques au sein de TT Club, à l’occasion du lancement d’une campagne de prévention l’an dernier
Pour l’assureur international, 66 % des incidents liés à des dommages au fret, dont les coûts sont estimés à plus de 500 M$ par an, peuvent être attribués aux défaillances dans le processus d’emballage, certes dans l’arrimage, mais aussi et surtout dans l’identification, déclaration et documentation des marchandises. Les conteneurs sont positionnés dans le navire selon leur poids, dangerosité, besoin en énergies (conteneurs frigorifiques raccordés à l’électricité), les escales à venir… Or l’armateur se fie aux déclarations du client. « Les marchandises sont emballées avant qu’elles ne parviennent sur le navire de l’armateur ou chez le transporteur, lesquels dépendent de la déclaration et de la bonne foi de l’expéditeur quant au contenu du conteneur », abonde l’assureur.
Déclarations génériques
Les réglementations qui encadrent la sécurité de la cargaison existent pourtant. La déclaration de la Masse brute vérifiée (MBV ou VGM, Verified Gross Mass) est une obligation qui incombe au chargeur ou au transitaire/commissionnaire. Un code d'usages (approuvé en 2014) pour l'emballage des conteneurs décrit les procédures et techniques spécifiques de sécurité. Dans la pratique, comme il est impossible de procéder systématiquement à la pesée physique de chaque conteneur plein, des écarts de 2 à 3 % entre le déclaré et le constaté sont tolérés en cas de contrôle. Classifiées par le Code maritime international IMDG, les marchandises dangereuses doivent être déclarées en principe lors de l’établissement du contrat maritime.
Réglementations obsolètes ou dépassées ? Les associations et ONG pointent des failles et déplorent le manque de contrôle. La Surfrider Foundation Europe, ONG spécialisée dans la protection des océans, considère que le système de déclaration de la cargaison se polarise trop sur le poids de chaque conteneur et pas suffisamment sur « la nature des marchandises transportées ». L’association estime en outre que le « ship planning » peut ne pas être totalement conforme au descriptif de la répartition de la cargaison fourni au port, l’armateur pouvant embarquer de nouveaux conteneurs, même après avoir déposé le fameux document. « Avec l'accélération croissante des mouvements et des chargements, les dockers, les inspecteurs, les armateurs et le commandant du bateau manquent de temps pour vérifier les conteneurs et contrôler la fiabilité des déclarations », indique pour sa part l'ONG Robin des Bois.
Certains armateurs semblent le penser également. L’incendie du Maersk Honam, dans lequel cinq membres d’équipage ont perdu la vie, avait conduit le leader mondial du transport maritime à édicter de nouvelles lignes directrices pour l’arrimage des marchandises dangereuses, qui avaient été pourtant fixées à bord conformément aux exigences du IMDG. « Cela nous a clairement montré que les réglementations et pratiques internationales en la matière [devaient] être revues », avait alors expliqué le géant danois du transport maritime Maersk qui avait, par exemple, décidé d’interdire l’entreposage des marchandises dangereuses à proximité de la salle des machines.
Le salut par les technologies
Hapag-Lloyd a développé un algorithme « profiler » afin de déceler dans son système de réservation les défauts de déclaration des marchandises. Le World shipping council milite pour un système de balayage des cargaisons qui permettrait d’identifier les réservations d’espaces de fret contenant des marchandises dangereuses non ou mal déclarées. La traçabilité des conteneurs suscite aussi beaucoup d’espoirs. L’enjeu des nouvelles technologies et de la digitalisation est aussi à ce niveau…
Adeline Descamps
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