À l’heure de l’impérieuse nécessité de la décarbonation, le bon vieux fuel à haute teneur en soufre pourrait connaître un retour en grâce alors qu’il ne repésente plus aujourd’hui « qu’» un quart des ventes mondiales des combustibles de soute. Il doit son regain d’intérêt aux envolées du cours du brut.
Le prix du baril de Brent de la mer du Nord, l'une des deux références du marché avec le WTI, a connu le week-end dernier une poussée de fièvre en frôlant les 140 $ (139,16 $) en réaction aux propos tenus par Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, qui avait laissé entendre qu’une nouvelle sanction frappant les importations de pétrole russe était en discussion avec l’UE. Une position qui ne semblait pas être celle de la présidente de l’exécutif européen Ursula von der Leyen. La seule perspective d’un éventuel resserrement de l’offre a propulsé le cours du brut à des niveaux jusqu’alors peu fréquentés dans son histoire.
Flambée des carburants maritimes
Depuis plusieurs semaines, l’or noir, qui n’aura jamais autant mérité son appellation, ne cesse à vrai dire de grimper. Et avec lui, les prix du VLSFO, carburant à basse teneur en soufre, qui ont ces derniers jours dépassé les 900 $ dans les deux principaux centres mondiaux de soutage, à Singapour et Fujairah alors qu’il valait; à veille de l'invasion russe, 779 $ par tonne selon Ship&Bunker. Pour la première fois de l’histoire, le 7 mars, ils ont franchi la barre des 1 000 $ la tonne pour la première fois de l'histoire à Singapour, Rotterdam et Fujairah.
L’écart entre les deux combustibles de soutes les plus vendus – VLSFO et HFO (fuel à haute teneur en soufre) se creuse, au point d’atteindre en moyenne 234 $ dans les 20 principaux ports selon Ship & Bunker. Dans un tel contexte, l’intérêt des armateurs et propriétaires de navires pour le scrubber, qui permet de consommer du HFO (pétrole à haute teneur en soufre) tout en étant dans les clous de la réglementation IMO2020, va en être encore stimulé, le HFO s’établissant à moins de 600 €. Mais il risque lui aussi d’être gagné par la fièvre.
Prime aux scrubbers
Cette situation a un impact considérable sur les revenus journaliers des vraquiers et des pétroliers. Selon Clarksons Platou Securities, un VLCC (capacité de transport de 2 millions de barils de brut), consommant du VLSFO, gagne actuellement l'équivalent de 11 500 $/j sur le marché spot. En économisant 12 600 $/j sur son bunker, les revenus quotidiens du même navire propulsé au HFO et équipé de scrubber s’établissent à 24 100 $/j. Du simple au double. L’un près de son seuil de rentabilité (coûts de financement inclus), l’autre en perte d’exploitation.
D’après S&P Global Platts, qui a passé au crible le modèle économique des capesize (capacité d'environ 180 000 tpl) selon les mêmes critères, les ratios sont les mêmes, avec un différentiel de 8 202 $/j entre les vraquiers non équipés et équipés de scrubbers
« Plus le navire est grand, plus il consomme de carburant, ce qui explique pourquoi les VLCC, les capesize et les ULCC [ultra large crude carrier, mégapétroliers de 320 000 tpl, NDLR] ont largement adopté le scrubber, beaucoup plus que pour leurs homologues plus petits à l’instar des aframax, des handymax/handysize et des feeders », justifie le Bimco, association internationale des exploitants et propriétaires de flotte. Le carburant est une des principales composantes entrant dans la structure des coûts des compagnies maritimes. Sa part dans les dépenses d’exploitation peut ainsi atteindre 40 à 60 % pour les plus grands navires.
Les porte-conteneurs et les tankers, premiers clients des scrubbers
Selon les dernières statistiques disponibles (mars 2021), le nombre de navires équipés de scrubbers s’établissait à 3 935, tous segments confondus. Les dispositifs qui permettent d’épurer les gaz d’échappement des moteurs équipaient alors 15,9 % des porte-conteneurs (28,7 % en EVP), 11,4 % des vraquiers (22,7 % en tpl), 24,5 % des transporteurs de pétrole brut (29,9 % en tpl) et 4,2 % des navires-citernes (13,4 % en tpl).
Le porte-conteneurs reste le premier client du scrubber. Au 4 janvier 2022, la capacité totale de la flotte équipée était estimée à 7,52 MEVP par Alphaliner. HMM (83 % de sa flotte en exploitation), Evergreen (69 %) et MSC (48 %) figurent parmi les compagnies qui ont le plus plébiscité les systèmes. Adepte, Yang Ming (90 navires dont 50 en propriété) a également équipé 12 de ses porte-conteneurs cette année, portant le total à 26 unités.
La japonaise ONE a fait un grand pas en 2021 en portant le taux de pénétration de sa flotte de 9 à 18 % mais le taux d’équipement reste faible. En revanche, la radicalité du numéro trois mondial Cosco (175 navires en propriété) est plus visible : 10 % seulement de sa flotte équipée en janvier. La française CMA CGM n’y a pas non plus porté un grand intérêt : moins d’un quart de sa flotte y a eu recours et la situation n’a quasiment pas évoluer l’an dernier. Le numéro trois mondial du secteur a largement adopté le GNL (44 navires), ce qui peut expliquer en partie sa faible adhésion.
Le spécialiste du transport intra-asiatique Wan Hai était jusqu’à présent le seul transporteur du top 10 à ne pas avoir opté pour le système, après avoir confirmé en 2020 qu'il combinerait le carburant à faible teneur en soufre avec des surcharges. Les cinq unités de 13 200 EVP commandées en mars à HHI pour livraison en 2023 représenteront toutefois le premier investissement en la matière. « Elles seront les seules unités de ce type dans son carnet de commandes de 41 navires », souligne Alphaliner.
Adeline Descamps