La crise énergétique mondiale aura pris la Chine en flagrant délit de contradiction dans ses intentions tout en révélant un conflit d’intérêt direct entre la réduction des émissions de carbone et le maintien du fonctionnement de ses chaînes de production. Et par voie de conséquence, de l’approvisionnement mondial puisque d’elle dépend la fabrication d’une quantité industrielle de biens marchands.
Après avoir émis des restrictions sur l’extraction de charbon en fermant les petites mines inefficientes et sur les importations du combustible pour s’affranchir progressivement des sources d’énergie fossiles et des prix mondiaux élevés, la seconde puissance économie mondiale et premier émetteur de carbone doit faire marche arrière, confrontée à des pannes d’électricité géantes provoquées par des pénuries de charbon, qui assure toujours 60 % de sa production électrique. La situation a entraîné l'arrêt des chaînes de production et affecte les exportations de la principale usine du monde. La flambée des prix du gaz, qui est censé remplacer le charbon dans la transition, n’arrange rien.
Les entreprises des secteurs à forte consommation d'énergie comme l'acier, l'imprimerie, le textile, le bois, les produits chimiques, les plastiques et la fabrication de biens, ont été invitées à restreindre leur production à deux ou trois jours par semaine. À un moment où la reprise économique et le boom de consommation sollicitent grandement les capacités de production chinoises. Les plus grandes provinces consommatrices d'électricité du pays – Guangdong, Jiangsu et Zhejiang – sont aussi celles qui représentent près de 60 % des 2 500 Md$ d'exportations de la Chine. La liste des multinationales qui se disent affectées en ricochet s’allongent : Apple, Tesla, Microsoft et Dell pour les plus notoires.
Crise de l'énergie : les vrais gagnants
Réduire les émissions sans nuire à l’économie
Les autorités chinoises ont demandé dernièrement à 72 mines de charbon de Mongolie-Intérieure, région de production de charbon en Chine, d’augmenter leur production à hauteur de 98 Mt. Avant cela, Pékin avait déjà demandé aux fournisseurs d'électricité d'accroître les importations de charbon « de manière ordonnée » afin d'atténuer la pression sur l'offre. En conséquence, les importations de charbon de la Chine ont bondi de 76 % en septembre (32,88 Mt). En 2021, la Chine aura extrait plus de charbon que les 3,9 milliards de tonnes de 2020 et importé davantage de charbon.
« Alors que le monde se prépare à discuter de mesures plus agressives pour réduire les émissions de CO2 lors de la conférence sur le climat COP26 à Glasgow, la Chine vient d'envoyer le pire signal. Cette décision soulève des questions quant à la capacité du pays à atteindre les objectifs de réduction des émissions de carbone fixés dans son 14e plan quinquennal (2025) », résume Jun Du, un universitaire et professeur d'économie, dont le propos est d’attirer l’attention sur les coûts de la décarbonation pour l'économie réelle à court terme. La Chine en serait une démonstration à grande échelle : « malgré toutes les technologies à faible émission de carbone, nous sommes encore loin de pouvoir compter sur elles pour réduire les émissions de carbone sans nuire à l'économie. »
Inquiétudes inflationnistes
Pékin a également autorisé les centrales électriques au charbon à répercuter les coûts élevés de production sur certains utilisateurs finaux à des prix basés sur le marché, une rupture importante avec la politique précédente qui permettait à l'industrie de conclure des accords à prix fixe avec les fournisseurs. Cette décision a renforcé les inquiétudes quant à la montée des pressions inflationnistes mondiales.
« Les économies dirigées ont des inconvénients, poursuit le chercheur. En Chine, le plafonnement fixe du prix de l'électricité a empêché les prix d'augmenter, même si cela signifiait produire à perte. En raison des pénuries, certains grands fabricants ont survécu en ayant recours à des générateurs (ce qui signifie au passage davantage d'émissions de carbone), tandis que des acteurs plus modestes n'ont pas pu honorer leurs commandes et ont fait faillite. Les grands fabricants cherchant à récupérer ces coûts, et la diminution des exportations de marchandises aidant, les prix à la consommation mondiaux vont augmenter.»
Énergie : le nouveau point de blocage des circuits d'approvisionnement
Minerai de fer au plus bas
Le charbon est au plus haut mais le minerai de fer est au plancher. Les importations de minerai de fer de la Chine ont baissé de 1,9 % en septembre par rapport au mois précédent, selon l'Administration générale des douanes, alors que les contrôles sur la production d'acier brut, liés aux mesures environnementales, ont limité les intrants de la fabrication d’acier. Les coupures intermittentes de courant ont également pesé sur l'activité des hauts-fourneaux.
Le premier consommateur mondial a importé en septembre 95,61 Mt de minerai de fer, ingrédients clés avec le charbon à coke de la fabrication d’acier, contre 97,49 millions en août et 108,55 millions en septembre. Au cours des trois premiers trimestres de l'année, les importations chinoises ont totalisé 841,95 Mt (- 3 % par rapport à la même période de l'année précédente).
Le ministère chinois de l'Industrie a notifié aux aciéries du nord de la Chine qu’elles devraient réduire leur production du 15 novembre à la mi-mars afin d'améliorer la qualité de l'air. « Les taux d'utilisation de la capacité des hauts fourneaux chinois restant proches des plus bas niveaux enregistrés sur plusieurs années avant les JO d'hiver de Pékin, nous pensons que cela entraînera une augmentation importante des stocks portuaires au cours des prochains mois », a réagi le courtier en négoce de matières premières Navigate Commodities. Les exportations chinoises de produits sidérurgiques ont atteint 53,02 Mt au cours des neuf premiers mois tandis que les importations d'acier se sont élevés à 10,72 Mt.
Rio Tinto revoit ses estimations à la baisse
L’un des géants du secteur minier, l’anglo-australien Rio Tinto, a revu à la baisse ses prévisions de livraisons de minerai de fer pour 2021, qui devrait lui faire perdre sa place de premier producteur mondial au profit de son rival brésilien Vale.
Le groupe évoque un « resserrement du marché du travail en Australie occidentale ayant retardé l'achèvement d'une nouvelle mine à Gudai-Darri », le durcissement des contraintes réglementaires de la Chine et un fort ralentissement de l'activité immobilière dans ce pays. Celle-ci n’est pas liée qu’à la pression réglementaire. Les agitations autour de l’éventualité d’une faillite du plus grand promoteur du pays Evergrande, lourde de conséquences sur la construction et la demande d'acier, ont provoqué la panique.
Rio Tinto s'attend désormais à ce que les exportations de minerai de fer de Pilbara pour 2021 se situent entre 320 et 325 Mt contre 325 à 340 Mt estimées initialement. Les prix du minerai de fer ont diminué de près de moitié depuis qu'ils ont atteint un pic à la mi-mai.
L’australien enregistre en outre des revers dans le financement de ses nouveaux projets, rapport Reuters. Il a par exemple retardé de trois mois la mise en production de la mine de cuivre d'Oyu Tolgoi en Mongolie, l'une des plus grandes au monde, désormais fixée à janvier 2023. Les retards ne seraient pas liés à une problématique d’accès aux capitaux, qui se resserre également pour les actifs énergivores. Le financement supplémentaire requis (3,6 Md$) et les retards accumulés ont fini par irriter le gouvernement mongol, qui détient une participation de 34 %, et engendré des tensions avec son partenaire dans la coentreprise Turquoise Hill.
Adeline Descamps
GNL : La Chine contracte avec les États-Unis sur fond d’inquiétudes
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