Le coronavirus n’a manifestement pas dit son dernier mot. Il poursuit son oeuvre de dérèglement des flux. Les compagnies maritimes sont contraintes de dérouter les reefers à destination de Tianjin vers d’autres ports, faute de prises disponibles. Les inspections sanitaires ralentissent les opérations et saturent les espaces. Outre-Atlantique, la congestion des grands ports des côtes est et ouest-américaines fait réagir la Commission maritime fédérale américaine.
Pénurie. La faible disponibilité des équipements est en passe de devenir la grande cause du transport maritime de cette fin d’année. Alors que la carence de boîtes est critique sur toutes les lignes en raison d’une déstructuration de la supply chain – des infrastructures portuaires apparemment pas dimensionnées pour gérer des à-coups et des transporteurs qui peinent à gérer une demande subite – les reefers menacent à leur tour de céder. Ou plus précisément, ce sont les prises reefers qui font défaut. Dans un avis à leur clientèle, MSC, ONE et Hapag-Lloyd ont alerté sur une problématique au terminal de Xingang à Tianjin, l'une des principales portes d'entrée en Chine pour le fret frigorifique. Mais la problématique guette déjà d’autres ports chinois. « Les procédures sanitaires relatives aux cargaisons réfrigérées importées ralentissent les opérations dans le port de Xingang, où les reefers restent à quai, occupant toutes les prises. MSC ne peut pas assurer le déchargement dans le port désigné où la source d'énergie n'est peut-être pas disponible », a ainsi indiqué le numéro 2 mondial du transport maritime par conteneurs, anticipant de probables retards en raison des goulets d’étranglement
Inspections accrues
La Chine a renforcé dernièrement ses contrôles anti-Covid sur les cargaisons réfrigérées. Non sans raison, les autorités chinoises ont identifié les importations de denrées surgelées comme étant de possibles sources de contamination. Pékin semble croire qu’elles pourraient être à l’origine des « rechutes » observées ici et là. Deux villes du sud de la province de Fujian ont également trouvé des traces du virus dans du bœuf congelé en provenance d'Inde et d'Argentine. Idem à Wuhan, d’où est d’ailleurs parti le virus avant de se répandre sur toute la planète. Dans le doute, les autorités chinoises veillent à parer tous départs de feu épidémiques et serrent un peu plus la vis sur les exigences sanitaires. Jusqu'à présent, le géant asiatique a suspendu les importations de 99 fournisseurs dans 20 pays.
Retards et déroutements
En conséquence, les compagnies cherchent à se rabattre sur d’autres ports tels que Qingdao et Dalian, ou à décharger à la prochaine escale. Une situation aux airs de « déjà vécu » à vrai dire. En mars, à l’acmé de la crise, faute de personnels, la saturation des quais chinois avait provoqué des retards dans le dédouanement et des cargaisons déroutées sans préavis. « Cette situation, qui échappe au contrôle de Hapag-Lloyd, risque de se poursuivre au cours des prochaines semaines », a déclaré de façon peu engageante la compagnie allemande.
ONE a très rapidement appliqué une surcharge de 1 300 $ par conteneur pour les reefers à destination de Tianjin, sauf « si les clients désignent un autre port de déchargement ». Tout en indiquant qu'il était difficile de trouver des ports alternatifs, MSC a prévenu qu’il facturerait des frais pour stockage et des surestaries si les conteneurs devaient être déchargés ailleurs que dans le port indiqué sur le contrat de transport ou si le voyage devait être ajourné.
Les ports-refuges pourraient se raréfier. Shanghai a commencé à mettre en œuvre des mesures similaires à celle de Tianjin, en inspectant les produits frigorifiques importés.
Congestion dans les grands ports américains
Outre-Atlantique, dans les ports de Long Beach, Los Angeles, New York et New Jersey, ce sont les mêmes images de chaos. La congestion croissante des quais a fini par alerter la Commission maritime fédérale américaine. Saisie par les usagers des ports, qui s'inquiètent de plus en plus du manque de conteneurs disponibles pour leurs exports, l’administration américaine a décidé de passer au tamis les pratiques des compagnies en matière de gestion des équipements. La FMC semble considérer qu’elle amplifie les goulets d'étranglement en amont et aval de la supply chain.
Le 19 novembre, la FMC a ainsi émis une ordonnance qui élargit le périmètre de l’enquête 29 intitulée « Engagement de la chaîne logistique du transport maritime international ». Elle avait été lancé suite à l’arrêté, publié le 31 mars, qui avait pour objet d'identifier des solutions opérationnelles pour pallier les dysfonctionnements de la chaîne d’approvisionnement engendrés par la crise sanitaire.
« Pratiques potentiellement déraisonnables »
Cette fois, le nouvel objet de l’étude vise déterminer si les pratiques des compagnies de transport maritime en matière de détention et de surestaries dans et autour des terminaux maritimes ainsi que de gestion des conteneurs à l’export (repositionnement des vides, pénurie des boîtes) enfreignent l'article 46 U.S.C. 41102. Cet article stipule notamment que les différents acteurs de la chaîne d'approvisionnement doivent « établir, observer et appliquer des règlements justes et raisonnables » dans la manipulation des biens, tels que les conteneurs.
Si la FMC salue l’attitude des compagnies qui « ont développé des pratiques plus équitables au fur et à mesure de l'évolution de la crise au cours des dernières semaines », elle prête aussi l’oreille à des remontées plus négatives : « des rapports indiquent que certains transporteurs menacent de faire payer des frais élevés pour le non-respect des délais de retour des conteneurs vides, même dans les cas où la congestion a rendu cette opération difficile ou impossible ».
Les transporteurs de la ligne régulière convoqués par le ministère chinois des Transports
Pression commerciale
Des allégations plus graves font état de pression commerciale exercée par certains transporteurs maritimes. La situation risque de raviver certains contentieux entre chargeurs et transporteurs. Les premiers reprochent de façon récurrente aux seconds un pouvoir trop important du fait de leur organisation en alliances et de la concentration qu’elles ont générée. Les quatre premiers transporteurs (Maersk, MSC, Cosco et CMA CGM) représentent 60 % de l’offre de services.
Dans un contexte de taux record sur le transpacifique et de pénurie sans précédent de boîtes, les relations se tendent. Les dirigeants des compagnies maritimes ont été entendus ces dernières semaines par les autorités maritimes chinoises. Le 12 novembre dernier, le ministère sud-coréen des Océans et de la Pêche a également convoqué neuf compagnies internationales, s’étonnant de la préférence accordée aux cargaisons chinoises au détriment de celle des exportateurs coréens. Un interventionnisme d’État qui ne semble pas troubler Rodolphe Saadé, le PDG du numéro 4 mondial de la ligne conteneurisée, qui dans un entretien accordé au Financial Times, semblait le légitimer.
Dans le Financial Times, Rodolphe Saadé revient sur sa "convocation" par les autorités chinoises
Une fabuleuse année
Pour les plus grandes compagnies de transport de conteneurs, 2020 restera une année terriblement compliquée du point de vue opérationnel mais intéressante sur le plan financier. Elles sont en voie de réaliser un bénéfice d'exploitation exceptionnel. Selon les calculs de Sea-Intelligence, le profit réalisé collectivement devrait dépasser les 14 Md$ contre 5,9 Md$ en 2019. Au firmament depuis des semaines, le Shanghai Containerized Freight Index (SCFI), baromètre du fret conteneurisé au départ de la Chine vers le reste du monde, ne manifeste aucun signe de fatigue. Il continue d'augmenter, enregistrant encore ces derniers jours une hausse de 4,4 % pour atteindre 1938,32 points.
Adeline Descamps